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Fillon, Copé et le mot juif

 

Fillon, Copé et le mot juif

 

CLAUDE ASKOLOVITCH

 

 

Le mot juif flotte dans les ruisseaux souterrains de la République, il ressort parfois et la gêne surgit : on en est encore là ? Il fut jadis, un mot de haine et d’opprobre, de duels et de mort, qu’on vomissait sur Blum, Mandel ou Mendes... Désormais, la politesse règne avec les apparences, François Fillon n’évoquera que les «origines» de Jean-François Copé, et chacun comprendra. 

Seule la rue ose la haine brute, et on entendait des «Sarkozy sale juif»  dans des émeutes en 2005. Chez les intégrés et les cravatés, la litote règne, le trait est rare, on oublie, il n’en est que plus étrange. En 2000, Pierre Moscovici, ministre des Affaires européennes, était étiqueté germanophobe, donc mauvais européen, parce que juif, dans l’europhile Libération . En 2008, François Bayrou analysait le papisme ostentatoire de Sarkozy, comme la preuve d’un complexe lié au judaïsme de son grand-père. En 2011, quelques semaines avant la divine surprise du Sofitel, le président des députés UMP Christian Jacob opposait le cosmopolite Strauss-Kahn à la «France des terroirs»,  tandis que le ministre Laurent Wauquiez vantait ses «racines» contre celles de DSK. 

Le mot juif était suggéré par la droite aux abois dans une petite saloperie inutile. Le cas Fillon-Copé est une nouvelle étape dans ce réveil de l’incongru. Sur RMC, Fillon, interrompu par le journaliste, a prétendu dédouaner son rival du péché d’alliance avec le Front national, en évoquant ses origines: « Je ne le crois pas, parce que je pense que tout dans ses origines, dans son engagement politique le conduit... » Cette phrase tronquée en dit déjà trop. Premièrement. François Fillon voit Copé en juif. Pas seulement en juif (en rival, en ambitieux, en démagogue droitier, en compagnon peut-être) mais aussi en juif, et en juif dont le judaïsme expliquerait une position politique, au demeurant honorable. Copé est certes juif, d’ascendance roumaine et nord-africaine, et ne s’en cache pas (plus?), mais n’en fait pas un argument public, ne l’a jamais fait. C’est Fillon qui le désigne, et qui se révèle ainsi, non pas antisémite, évidemment, mais... Mais ? Mais catégorisant, discernant, distinguant, repérant peut-être, réveillant une différence ancestrale. Copé est juif et c’est pour cela que... Fillon le fait-il malgré lui, spontanément, ou a-t-il voulu connoter son adversaire, pour l’affaiblir auprès des droites dures ? 

Dans les deux cas, c’est ennuyeux, tant François Fillon, dans la compétition UMPiste, est censé incarner la modération, une droite apaisée de toute son histoire, droite dans sa glaise et son terroir de bon sens, loin de l’énervement des villes et des modernes. Nous voilà bien. Dans ce que promène cette droite -dans ce qui flotte dans la France de toujours-  il n’y a pas que les principes d’économie et le respect du aux enseignants, il y aussi la vieille étrangeté du mot juif. Fillon, lors de la polémique sur le halal, s’était déjà oublié en invitant juifs et musulmans à reconsidérer leurs «traditions ancestrales». Cela fait deux fois.  

Jean-François Copé devrait méditer aussi cette séquence et se demander si Fillon, en le désignant, n’a pas éclairé une vérité. Ce jeune homme se promène au sein d’une certaine droite française comme Dalio/La Chesnaye dans la Sologne de la Règle du Jeu. Riche, hâbleur, affairiste ou soupçonné de l’être, menant la danse des nantis qui narguent la misère, mais différent pourtant, subtilement, irrémédiablement. Sarkozy a déjà connu ce déphasage, et en souffrait. Copé est moins à vif, mais rencontrera les mêmes mésaventures; rejeté non pas pour ses duretés ou ses outrances, mais pour quelque chose qui lui échappe. Paradoxalement ou logiquement, Copé épouse aussi le destin de Sarkozy en s’égarant dans une droitisation voulue, surjouée, forcée, poussée jusqu’à l’absurde, honteuse, et vaine au demeurant. 

Il y a dans sa course à l’identitaire, dans la vulgarité de l’affaire des chocolatines, dans sa constance à pointer l’islam et des musulmans comme des menaces pour l’équilibre républicain, il y a dans sa proximité avec Buisson, quelque chose de triste et d’inutile. Comme si monter à l’extrême valait brevet de France ou de peuple, rattrapait l’irrattrapable, suppléait à la terre qui ne ment pas... Au fond des choses, l’homme Copé, fils de juif et gaulliste, sait ce vaut le Front national, et quel dégout le saisit en considérant ce parti né de l’Algérie française et de collabos. 

Dans son discours de campagne interne, Copé, par moment, déborde les frontistes, par tactique et entraînement, pensant les éliminer. Mais il doit comprendre qu’en faisant bruit commun avec le frontisme -sur l’islam notamment- il alimente le fascisme plus sûrement que par un pacte électoral. Le comprendre, et l’assumer. Peut-être ses origines, effectivement, séparent encore Copé de Marine Le Pen. Si c’est le cas, c’est énorme, mais c’est terriblement insuffisant. 

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