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Français et juif, ma réponse à «Juif ou français, il faut choisir»

 

Français et juif, ma réponse à «Juif ou français, il faut choisir»

Réponse à ma consœur, à double titre, Rachael Levy et à son article titré «Juif ou français, il faut choisir».

Je suis un des fondateurs de Slate, je suis juif, je suis bien plus âgé que Rachael Levy et suis profondément attaché à mon pays et à la laïcité. Je ne crois pas, bien au contraire, que l'antisémitisme a pour origine la laïcité. Notre modèle a des défauts mais il ne doit pas être un tel repoussoir si la France abrite aujourd'hui les plus importantes communautés juive et musulmane d'Europe.

La laïcité n'est pas un dogme, mais au contraire une réponse à la volonté d'intégrer dans une même société des personnes d'origines ethniques et religieuses diverses autour de mêmes valeurs qui justement ne sont pas religieuses.

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Quant à l'antisémitisme, il est avant tout le fruit de la compétition sanglante et millénaire entre des religions qui par définition détiennent toutes LA vérité. La laïcité a pour immense vertu de faire sortir cet affrontement de l'espace public.

Rachael Levy confond l'antisémitisme historique, religieux et politique, qui depuis 2.000 ans a imprégné l'Europe, et l'antijudaïsme venu depuis quelques décennies du monde arabo-musulman, conséquence directe de la création de l'Etat d'Israël et du conflit israélo-palestinien.

Plaies historiques

Troisième point, la vision que je trouve manichéenne de Rachael, journaliste américaine, occulte la complexité de la société française. Elle passe sous silence le fait que Napoléon a été le premier en Europe à émanciper les juifs; que lors de l'affaire Dreyfus la France était bien coupée en deux et que les dreyfusards ont gagné; et que si l'occupation a vu nombre de Français collaborer, d'autres Français de gauche et de droite risquaient dans le même temps leur vie pour sauver des juifs… dont mes parents.

Voilà pour poser les termes, à mes yeux, de la question juive en France aujourd'hui, au lendemain d'un massacre perpétré sur notre sol de juifs ciblés pour cela, pour avoir eu le seul tort d'exister.

Pour Rachael Levy, cet acte est le reflet d'une façon ou d'une autre de l'incapacité de la France à admettre la permanence de l'antisémitisme qui se perçoit à la fois dans des comportements quotidiens et dans son histoire. Ce texte a suscité de nombreux commentaires très souvent critiques, prouvant ainsi qu'elle mettait le doigt là où cela fait mal.

Car les plaies historiques de l'antisémitisme sont loin d'être toutes refermées. Les juifs des générations de la Seconde Guerre mondiale et leurs enfants ont tous vécu le régime de Vichy comme une trahison. Et l'antisémitisme se nourrit en retour du reproche fait aux juifs d'instrumentaliser la Shoah et de l'accusation de «double allégeance» avec l'Etat d'Israël.

Société communautaire

Mais cela ne valide pas pour autant la thèse de l'article de Rachael Levy qui n'est d'ailleurs pas vraiment nouvelle aux Etats-Unis. Juive américaine qui a vécu plusieurs années en France, Rachael l'a fait sienne en toute bonne foi, mais elle se trompe.

Cela tient pour une bonne part à l'incompréhension par une société communautariste de ce que peut être une société laïque ayant réussi à faire disparaître en grande partie de la sphère publique les références religieuses. L'Europe et les Etats-Unis n'ont pas du tout la même histoire et les mêmes références.

Les Etats-Unis ont été construits par des communautés religieuses fuyant les persécutions. Elles ont créé dans la douleur un pays où les communautés ethniques et religieuses vivent aujourd'hui à peu près harmonieusement les unes à côté des autres. Il a fallu deux siècles pour y parvenir.

L'histoire européenne est la résultante de 3.000 ans de luttes sanglantes pour le pouvoir politique et religieux qui ont accouché au siècle dernier des deux totalitarismes les plus effrayants et les plus meurtriers de l'histoire de l'humanité. Nos sociétés européennes, même si, pris par l'instantané et le futile, nous en avons peu conscience, sont marquées au fer par cette histoire et celle plus proche de la décolonisation et de l'immigration qui a vu les ex-colonisés venir s'installer dans les anciens pays colonisateurs.

Antijudaïsme décomplexé

Pour en revenir à l'antisémitisme, il a, du fait de cette histoire, deux sources bien distinctes. D'abord, l'antisémitisme historique d'origine avant tout religieuse. Le christianisme s'est construit comme le successeur et le remplaçant du judaïsme.

Les juifs qui n'acceptaient pas la nouvelle religion étaient par construction un témoignage insupportable de la persistance dans l'erreur et de la contestation du dogme. «Un peuple témoin». Preuve de cela, Dieu les a punis, en faisant du «peuple déicide» un «peuple errant».

Cet antisémitisme chrétien a connu une traduction politique, en France et dans le reste de l'Europe, du XVIIIe au XXe siècle. Un antisémitisme de droite qui accuse les juifs de détruire de l'intérieur l'identité française et de disposer d'un pouvoir occulte (le complot mondial juif) et un antisémitisme de gauche qui, sur des thèses assez proches, reproche avant tout aux juifs d'être les vecteurs d'un capitalisme destructeur, mondial et étranger (notamment anglo-saxon).

Ces thèses ont remporté et remportent encore, il faut le dire, un succès considérable. Il suffit de se promener dans les recoins d'Internet qui, comme chacun le sait, peut abriter la face sombre de nos sociétés et de nos inconscients collectifs.

Ceci dit, dans les pays occidentaux marqués par la déchristianisation et la culpabilité née de la Shoah, l'antisémitisme a disparu de la sphère publique et politique. C'est tout au plus un réflexe culturel. En ce sens, la question juive, qui a agité les philosophes des XIXe et XXe siècles et conduit d'ailleurs à la naissance du sionisme, ne se pose plus.

Mais a surgi depuis un demi-siècle un autre antisémitisme ou, plus précisément, un autre antijudaïsme moins souterrain et plus décomplexé, car il échappe à la culpabilité héritée de la Shoah. Il vient du monde arabo-musulman et a pour origine l'existence d'Israël, le conflit israélo-arabe et l'utilisation de la figure du juif comme cause de tous les problèmes du monde arabe.

Cet antisémitisme moderne recycle, bien sûr, bon nombre de thèses anciennes, parfois le mot sioniste remplace le mot juif, mais au contraire de l'antisémitisme historique, le politique a cette fois précédé le religieux. Les islamistes se sont mis assez tardivement, au cours des deux dernières décennies, à désigner les juifs et pas seulement la civilisation occidentale, comme leur ennemi de choix.

Les juifs, victimes ou coupables

L'erreur de Rachael Levy est de mêler les deux courants antisémites en considérant qu'ils n'en font qu'un. Je me souviens de la difficulté que j'avais eue, j'étais alors correspondant aux Etats-Unis, à expliquer aux Américains qu'en 2002, la recrudescence d'actes antisémites en France n'avait rien à voir avec le fait que Jean-Marie Le Pen se trouvait au second tour de l'élection présidentielle.

Les actes antisémites tenaient à l'identification de quelques jeunes voyous issus de la communauté musulmane française avec la deuxième Intifada, tandis que Le Pen avait fait campagne contre l'immigration… musulmane.

Pour autant, je tiens à remercier Rachael Levy pour son courage, sa candeur et pour un regard extérieur et donc dérangeant sur une question qui reste douloureuse de notre histoire... et de notre présent.

La virulence des réactions à son texte, qui, après tout, n'est qu'un témoignage à prendre comme tel, illustre bien la force des sentiments plus ou moins refoulés en France autour de l'antisémitisme. Il reste tout simplement impossible de ne pas considérer les juifs autrement que comme des victimes ou des coupables.

Les accusations de la journaliste américaine ont provoqué des réactions outragées au sein même de la rédaction de Slate. J'y vois la preuve de la nécessité de ne surtout pas considérer que l'antisémitisme en France appartient définitivement au passé ou n'est que le fait des adeptes du djihad.

Eric Leser

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