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Images d’une rebaybia, par Sylvaine Conord

Images d’une rebaybia

 

J’assistai à une rencontre festive, appelée rebaybia, qui avait lieu régulièrement une fois par mois en région parisienne (au moment de l’enquête). Cette sorte d’après-midi dansant à caractère semi-privé est animée par des orchestres composés de musiciens et chanteurs tunisiens. Elle est réservée à une clientèle essentiellement féminine, et majoritairement juive tunisienne, qui tient à conserver le caractère intime de ces rendez-vous. Ces rencontres sont en effet vécues par les participantes comme un espace-temps libre de toutes contraintes domestiques et conjugales. Je fus parfois témoin, dans ces circonstances, de scènes que je reconnus être des manifestations d’états de transe. Mais ce jour-là fut le seul où je fus autorisée à prendre des photos. Des liens de confiance s’étaient établis avant que je sois invitée à « entrer dans la danse » lors d’une rebaybia, équipée de mon matériel de prise de vues.

 

Les sons des instruments de musique « traditionnels » (derbourka, bendir, târ, kralet, ghaîta) associés à la voix du chanteur entraînent les femmes dans des danses et des états de relâchement. Alors, il n’est pas rare d’observer des manifestations d’états de transes. Je les ai par la suite analysés comme étant des transes de possession, associées à une croyance populaire en les djnoun (sortes de génies), croyance encore très répandue au Maghreb (Rouget, 1980 : 383).
Les photographies présentées côte à côte montrent des aspects de l’enchaînement des gestes d’une femme entrant en transe (enregistrés à deux moments distincts) d’abord lents (image nette, photographie 1, en haut), puis rapides (flou, photographie 2, en bas). Deux de ses amies l’accompagnent sans dire un mot, et semblent la retenir au moyen d’un foulard enroulé autour de ses hanches.

Les effets de mise en scène de soi et les changements de comportements dus à la présence d’une observatrice photographe sont quasiment inexistants car les sujets photographiés sont entièrement engagés dans l’action.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Danses lors d’une rebaybia

 

La principale activité de ces rencontres est la danse. Intimement lié à la fête - qu’elle soit religieuse ou profane - le thème de la danse est apparu dès les premiers entretiens enregistrés dans les cafés. La pratique de la danse dans les milieux judaïques populaires étudiés est vécue comme un moyen d’expression essentiel pour les femmes. Ces rendez-vous représentent pour ces femmes une occasion de se montrer parées de leurs plus belles toilettes, leur offrant la possibilité de mettre en valeur, du moins de soigner leur apparence. Il n’est pas rare qu’en arrivant dans la salle réservée pour une rebaybia, elles aillent se changer discrètement afin de revêtir des vêtements (apportés dans un sac) exclusivement réservés à cette occasion. C’est le cas de la robe de couleur verte et brillante représentée sur cette image. Elle sera ôtée avant de quitter cet univers festif, semi-clos, afin d’être remplacée par des habits plus adaptés aux espaces publics (rue, métro).

J’ai noté que la présence d’un appareil photographique avait renforcé le goût de la mise en scène durant ces moments forts de la vie collective. Le procédé photographique devient pour les sujets photographiés un moyen de fixer une présentation de soi attachée à ces moments d’exception.

Sylvaine Conord

Publie au prealable par la revue ethnographiques.org

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Les rbaibyia étaient assez courantes dans ma famille. C'étaient des cérémonies d'exorcisme. Lorsqu'un enfant était malade, ma mère réunissait une vingtaine de femmes dans une chambre obscure avec deux ou trois musiciennes ou chanteuses musulmanes. Les femmes dansaient jusqu'à épuisement, jusqu'à être prises de convulsions et tomber en transes dans un inconscient total. Il fallait que la bave coule de la bouche de ma mère pour que les démons, les jnouns, soient chassés. Les femmes criaient alors de joie en scandant "i saliyiem ou i nejiem" pour saluer la fuite des démons et accueillir les anges gardiens. Pas un seul homme n'était présent. Enfant, avant mon tfelim, je pouvais y assister.
Vingt ans plus tard, Georges Lapassade a beaucoup travaillé là dessus. Ses deux livres sur la transe expliquent un peu tout ça à sa manière.

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