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Impressions de retour de Tunisie… un pays jusqu’à présent démocratique

 

Impressions de retour de Tunisie… un pays jusqu’à présent démocratique

 

 

 

 

 

Consultant indépendant, spécialiste des relations euro-méditerranéennes, l’auteur a de fortes attaches en Tunisie où il se rend souvent. Ses impressions sont donc celles d’un observateur très avisé.

Par Jean François Coustillière*

 

Une semaine en Tunisie: l’occasion de regarder et d’observer ce pays, où je reviens le plus souvent possible, mais aussi l’opportunité d’échanger avec des Tunisiens d’origines diverses et des Européens expatriés qui s’efforcent de parcourir le pays et d’en découvrir la diversité tant humaine qu’économique. Mais alors, où en est ce pays qui, il y a un peu plus d’un an, vivait une «révolution» qui le conduisait à être la première nation arabo-méditerranéenne à «dégager» son dirigeant et à faire le choix d’une démarche démocratique avec l’ambition de faire émerger un Etat de droit?

La société

Nous sommes le 1er mai 2012, le peuple manifeste dans la rue à travers trois défilés plutôt calme et bon enfant. Une première sur cette rive méditerranéenne où, jusqu’en 2011, il n’était pas question de laisser ainsi la population s’exprimer aussi librement. Les slogans remettant en cause le gouvernement étaient nombreux, ainsi que ceux appelant à le soutenir…

La société que l’on croise dans la rue est diverse et tolérante. Les femmes se côtoient dans des tenues qui vont des plus «occidentalisées» aux plus «orientales» (traduire : en foulard, hijab et même niqab intégral). Les hommes se partagent également des apparences qui traduisent des choix variés entre Occident et tradition allant même jusqu’à des tenues inspirées de celles, moyen-orientales, qui étaient pratiquement inconnues en Tunisie jusqu’à ces dernières années.

Si globalement l’affichage volontaire de l’attachement à la religion, par le choix d’un vêtement particulier, est plus fréquent qu’il n’a pu l’être dans le passé, il reste majoritairement traditionnel. Il est beaucoup plus rare de rencontrer des femmes ou des hommes vêtus conformément aux critères extrêmes en vigueur dans les pays du Golfe arabo-persique.

L’accueil est chaleureux et ouvert, souvent interrogatif sur la perception que peut avoir un Occidental de la nouvelle Tunisie. Certes tout n’est pas positif. Les «erreurs» dans le rendu de monnaies sont plus nombreuses qu’autrefois (taxis, caissier du zoo, etc.), la circulation est encore plus anarchique quelle ne l’était, l’incivisme est plus que courant… On dit aussi que la sécurité individuelle n’est plus aussi assurée qu’avant. Peut-être, mais quelle est la part attribuable à l’information médiatique sur les délits, plus transparente qu’auparavant quand le régime faisait en sorte que la Tunisie ne connaisse pratiquement – en n’en parlant pas dans les médias – ni agression, ni vol, ni délit?

La gouvernance

Une chose est certaine, la voie suivie par la Tunisie depuis janvier 2011 constitue un «sans faute», ou presque, sur le plan démocratique. Les élections y ont été observées par l’Union européenne1 qui a dit leur transparence. On aimerait que cette volonté de transparence anime de la même façon tous les pays de la région…

Aujourd’hui, cette démarche démocratique se traduit par des affrontements le plus souvent non violents, des invectives, des polémiques, des manœuvres politiciennes… de la part de partis très diversifiés entre libéraux, progressistes, conservateurs religieux et, comme dans nombre de démocraties, des extrémistes. Les alliances se font et se défont. Des instrumentalisations et des manipulations s’exercent comme ailleurs. Nul n’est capable de savoir ce qui en sortira, pour autant la démarche est jusqu’à présent démocratique.

Si la vigilance doit continuer à s’appliquer sur le respect de l’Etat de droit, l’égalité entre citoyens et la protection des minorités auxquels manifestement aspire la majorité de la population, il convient de ne pas adhérer aux thèses alarmistes que certains développent souvent à des fins d’intérêt personnel.

Bien sûr, il est toujours possible de regretter les carences du gouvernement en place, mais il convient aussi de rappeler que ce pays, il y a à peine plus d’un an, vivait encore sous la férule d’un pouvoir interdisant toute expression libre à son peuple. Rappelons-nous l’état de la presse, de la télévision, de la police, de l’administration, leur soumission, leur flagornerie, leur arrogance, leurs abus…

La situation est aujourd’hui déjà bien différente, même si les effets de la révolte se font sentir sur l’économie, la qualité des services publics, l’emploi. La société civile émerge à travers la création de centaines associations, de débats multiples, de nombreux colloques sans omettre le nombre et la diversité des partis. Bien sûr, il y a aussi des signes d’intolérance naissante possible, comme par exemple, l’absence de vin accompagnant les repas sur un vol Tunisie: faute d’approvisionnement ou manifestation volontaire d’une Nouvelle Tunisie? Toujours est-il que la démocratie ne se décrète pas, elle s’acquiert et l’histoire des pays européens montre que cela peut être long, voire douloureux.

Léconomie

Il est évident que la situation globalement mauvaise de l’emploi en Tunisie avant 2011 s’est encore dégradée avec la «révolution». Le choix était entre rester dans le système de gouvernance de prédation et ne pas pouvoir espérer de mieux vivre et prendre le risque du changement pour établir de nouvelles règles visant à améliorer la vie du peuple, sachant que la «révolution» aurait un prix.

Les Tunisiens ont choisi. L’année 2011 a bien sûr été dévastatrice pour une économie déjà très affaiblie. Aujourd’hui, il semble que certains indicateurs fassent apparaître un redressement.

Le vrai défi immédiat est le tourisme dans la mesure où la relance de ce secteur, indépendamment des choix qui pourront être faits ultérieurement, s’applique à un outil déjà existant capable de dynamiser très rapidement des emplois.

L’observation des rues de Tunis et sa banlieue, mais aussi des régions tant au sud qu’au nord, est éloquente: il y a urgence. Les hôtels des zones touristiques, même si ce 1er mai plus de 4.000 croisiéristes étaient attendus à La Goulette, restent trop peu remplis.

Quel soutien de l'Europe?

Ce pays conserve les traits qui le caractérisaient avant 2011. La chaleur de l’accueil, l’esprit de tolérance, l’humour, la qualité de vie, l’intérêt de son patrimoine diversifié, sa gastronomie restent entiers.

La Tunisie est toujours cette alchimie réussie entre Occident et Orient, islam et autre religions monothéistes, tradition et modernisme, arabicité et Europe qui a séduit tant d’hommes et femmes d’origines diverses. Elle constitue une passerelle entre Europe et Afrique tout autant vitale à l’Union européenne qu’au monde méditerranéen. Un soutien fort à cette démocratie naissante, dont le succès est essentiel aussi bien pour la Tunisie elle-même que pour l’UE devrait être une priorité non seulement de l’UE mais aussi de chacun des pays membres de celle-ci.

Force est de constater que le résultat n’est pas à la hauteur des attentes ainsi que l’ont souligné la majorité des intervenants au XVe Forum international de ‘‘Réalités’’, organisée les 26, 27 et 28 avril 2012 à Hammamet. La frilosité reprochée, notamment à certain membres de l’UE, est fortement dommageable et peut engager l’avenir, même s’il apparaît que certains pays, européens ou non, tels l’Allemagne ou les Etats-Unis, s’investissent sérieusement aux côtés de la société civile et des médias.

En conclusion, à la fin de ce court séjour, il semble évident qu’il importe de ne pas se laisser abuser par les officines qui, en France ou en Tunisie, s’emploient à noircir le tableau et surfent sur les incidents pour conforter les scénarios les plus sombres. Le peuple tunisien mérite qu’on lui accorde la plus grande confiance. Il a montré qu’il était capable de se prendre en main et de défendre ses intérêts. Récemment encore il a fait preuve de maturité et démontre qu’il joue le jeu de la démocratie avec détermination.

Les gouvernements européens doivent apporter leur soutien à ce pays, et cela de façon prioritaire, tant que les valeurs auxquelles l’Union européenne est attachée y progressent.

Les peuples européens pourront alors montrer leur confiance en ce peuple ami en retrouvant le chemin de leurs vacances en Tunisie alors même que les caractéristiques de ce pays qui les séduisaient avant 2011 restent d’actualité.

Cet engagement est nécessaire au développement harmonieux de la Tunisie, mais tout aussi important pour nous Européens.

* Consultant indépendant, spécialiste des questions de relations internationales en Méditerranée,Toulon, France.

Note :

1- Rapport de la Mission d’observation électorale en Tunisie 2011 de l’élection de l’Assemblée nationale constituante du 25 octobre 2011: «Les observateurs de la Meo-UE ont évalué positivement (qualitatifs «très bien» et «bien») les opérations électorales à hauteur de 97% des 1.649 bureaux de vote (BV) observés.»

 

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