Insultes, regard, menaces : je suis juif. Aujourd'hui, j'évite certains quartiers de Paris
Par Yves Krief
Retraité
LE PLUS. Un journaliste israélien vêtu d’une kippa s’est promené pendant 10 heures dans les rues de Paris pour voir "ce que ressentent les juifs parisiens". Insultes, crachats, l’expérience a donné quelques sueurs froides à Zvika Klein. Yves Krief, administrateur de la synagogue de la Roquette à Paris, porte la kippa pour shabbat. Le reste du temps, il préfère ne pas prendre le risque. Témoignage.
Édité par Louise Auvitu
Porter la kippa est une obligation pour une personne de confession juive. Ce couvre-chef créé une séparation entre dieu et nous, mortels. C’est un signe d’humilité.
Pourtant, aujourd’hui, peu de personnes portent la kippa tous les jours car beaucoup craignent d’attirer les regards.
"Tu n’as pas à être ici"
Shabbat est le seul jour où je me sens obligé de la porter. J’y tiens. Je me rends à la synagogue, je la mets sur ma tête, puis j’en ressors et je l’ôte, sans me cacher. Quand je vais dans une épicerie casher ou dans tout autres lieux communautaires, je la porte également. Elle est toujours à portée de main.
Je n’ai jamais été agressé directement parce que j’étais coiffé de ma kippa. En revanche, les regards sont constants. Certaines personnes ne se gênent pas pour me faire comprendre par un simple coup d’œil que je ne suis pas le bienvenu. C’est comme s’ils me disaient :
"Tu n’as pas à être ici. Pars au plus vite."
J’ai quelques notions d’arabe et il m’arrive d’entendre quelques brides de leurs conversations : "Regardez comment ils sont habillés, ils sont ridicules" ; "Toi le juif, tu dois être blindé aux as".
Je ne suis pas riche, mais les clichés ont la vie dure. J’ai remarqué que ces attaques sont rarement frontales. Elles se font souvent en douce, par lâcheté.
Je ne préfère pas prendre de risques
Je me suis déjà senti chassé, pointé du doigt, mais je n’ai jamais eu peur. Je ne ressens simplement pas le besoin de prendre des risques inconsidérés, et je ne veux surtout pas donner à qui ce soit la moindre occasion de me railler.
À 62 ans, je suis père de huit enfants. Je leur ai toujours déconseillé de porter la kippa en dehors de shabbat. S’ils veulent la porter, je leur demande de la dissimuler sous une casquette.
L’un de mes fils est à l’université. Là-bas, il est obligé de rester transparent, c’est-à-dire sans kippa, et je trouve ça normal. Mais une fois dehors, il lui arrive de la remettre. Il m’a déjà fait part d’insultes dont il a pu être victime et même de bousculades, notamment dans les transports en commun.
J’ai beaucoup d’amis musulmans et quand je leur parle de mes craintes, ils sont souvent très surpris et ne comprennent pas pourquoi je n’ose pas porter la kippa quotidiennement. Ça fait partie de ma vie de juif.
Belleville, oui, Barbès, non
À Paris, tous les quartiers ne se valent pas. Je travaille dans le 11e arrondissement de Paris et je n’ai jamais eu le moindre problème. Dans notre synagogue, nous recevons régulièrement des imams pour échanger sur nos façons de gérer notre lieu de culte.
À Belleville, j’ai même l’impression que depuis les attentats de "Charlie Hebdo", les commerçants du marché sont de plus en plus sympathiques. En revanche, je n’ose plus me rendre dans le nord de la capitale. Avant, j’aimais aller dans le quartier de Barbès pour pouvoir acheter des CD.
Aujourd’hui, je suis persuadé que l’on me dévisagerait. Alors peut-être que je me trompe, mais je ne veux pas prendre le risque.
Il y a peu une dame de la synagogue m’a raconté qu’elle s’était rendue aux puces de Montreuil pour faire ses courses. Comme d’autres femmes juives, elle était coiffée d’une perruque. Les commerçants l’ont insultée, lui ont jeté son sac de provision à la figure, puis l’ont carrément ignoré.
Un homme reste un homme
Je me souviens des années 1970 alors que je travaillais du côté de Belleville. À l’époque de la guerre de Kipour, puis de celle des Six jours, il y avait bien des affrontements entre juifs et musulmans, mais cela ne durait que peu de temps. Au bout de quelques jours, on réglait nos affaires et nous allions manger tous ensemble.
Aujourd’hui, la résonnance antisémite est bien plus importante. Dès qu’une affaire éclate, les médias s’en emparent et attisent les craintes.
Cette atmosphère malsaine n’est peut-être pas nouvelle mais elle est exacerbée. J’espère qu’un jour nous retrouverons une sorte d’équilibre, car je reste persuadé qu’un homme reste un homme, et cela peu importe sa religion. La phrase qui nous unira tous est : "Aime ton prochain comme toi-même."
Je n’ai aucune envie de fuir. Même s’il m’arrive d’envisager de partir en Israël, j’aime la France. Mon père et son frère étaient engagés volontaires pendant la Seconde Guerre mondiale. Mon oncle Victor y a laissé sa vie. Je me sens Français avant d’être juif.
Propos recueillis par Louise Auvitu.
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