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A Kiryat Arba, les Bné Ménaché, une tribu pas si perdue que cela, Par Muriel Kenn

 

A Kiryat Arba, les Bné Ménaché, une tribu pas si perdue que cela (info # 012409/11) [article généraliste]

Par Muriel Kenn © Metula News Agency

Muriel Kenn est auteur de romans, de pièces de théâtre, et de nombreux sketchs, qu’elle interprète dans ses propres spectacles. Elle vit à Paris, où elle exerce principalement son métier d'humoriste. Elle est toujours curieuse, parfois naïve, mais souvent lucide et humaniste.

Nous nous trouvions, avec ma consœur Sandra Ores, dans un bus qui nous conduisait de Tel-Aviv à Kiryat Arba.

Un beau jeune-homme était assis près de nous, il portait une kippa, et des tzitsits (des franges rituelles blanches) dépassaient de son jeans.

Il était typé asiatique, les yeux un peu bridés, la peau basanée, et ses cheveux étaient noirs épais et raides.

« Il ressemble à un Thaïlandais ! », me dit Sandra, « c'est étrange un religieux juif thaïlandais... »

En fait non, c'était un religieux-juif-Bné-Ménaché !

Pas banal non plus.

Pourtant « ça » court les rues à Kiryat Arba, enfin, je veux dire... ils déambulent dans les rues, en petits groupes, avec une démarche très zen...

Dans la ville, dès notre arrivé, nous en avons croisé des dizaines ; normal, ils sont plus de 700 à vivre ici, sur 8 000 habitants.

Ils parlent tous anglais et nous avions soudain des tonnes de questions à leur poser.

Ils ont souvent été un peu trop discrets à notre goût, et répondaient presque toujours d'une manière assez succincte. « Ca fait partie de notre culture », explique leur Rav, le rabbin Shimon Ganté, l’un des leurs : « les Bné-Ménaché (fils de Ménaché), n'aiment pas beaucoup se mettre en avant ».

On avait remarqué.

J'ai pu cependant, avec un peu de patience, satisfaire ma curiosité et répondre à quelques-uns de mes questionnements...

Mais d'où viennent-ils au fait ?

La tribu des Bné-Ménaché serait l'une des dix tribus perdues d'Israël (Ménaché), contraintes à l'exil par l'empire assyrien. Ils auraient traversé la Perse, l’Afghanistan, le Tibet et la Chine, puis se seraient installés dans les Etats montagneux de Manipur et de Mizoram.

D'abord animistes, puis, il y a environ deux siècles, presque tous seraient devenus chrétiens, sous l'influence de missionnaires britanniques dépêchés dans la région. Ils sont aujourd'hui un million et demi à vivre dans ces régions, au nord-est de l’Inde.

Et comment sont-ils devenus juifs ?

En 1950, le guide de l'une de leurs tribus, la tribu Challianthanga, fait une sorte de rêve prémonitoire, dans lequel il voyait tous ses disciples aller vivre en Israël. Il leur demande alors d'adopter les coutumes juives et de développer leur judaïsme.

Les Bné-Ménaché se mettent donc à suivre les règles de la cacherout - règles d'alimentation juive religieuse - et du nida (règles relatives à la pureté conjugale). Ils respectent le shabbat et pratiquent la circoncision des nouveau-nés.

Le retour au Judaïsme

En 1968, au lendemain de la Guerre des Six jours, 5000 d'entre eux deviennent franchement pratiquants, affirmant avoir réalisé un retour au judaïsme, religion de leurs ancêtres.

Certains d'entre eux envoient leurs enfants étudier dans les écoles juives de Bombay. Ils requièrent l'aide d’autres communautés juives du monde, car ils se trouvent en manque de livres de prière et de taliths (châle indispensable à la prière des hommes juifs), de même que d’autres objets religieux nécessaires à la pratique du judaïsme.

En 1974, ils adressent plusieurs demandes visant à les autoriser à venir s’établir en Israël, dont une requête à Madame Golda Meir, alors 1er ministre, mais ils ne reçurent aucune réponse positive.

Le déblocage des portes de Sion

Les premiers Bné-Ménaché à faire leur « alya » (le retour en Israël) arrivent en Terre promise à la fin des années 1990. Munis d’un visa de touriste, ils suivent en Israël un processus de conversion à l’Institut Meïr de Jérusalem, une yeshivah (centre d'étude de la Torah et du Talmud dans le judaïsme orthodoxe).

Ils arrivent individuellement, et leur processus de conversion est facilité par les autorités rabbiniques orthodoxes.

Qui les a aidés ?

Le Rabbin Eliahou Avichaël a consacré sa vie à la recherche des dispersés d'Israël et des descendants des dix tribus. Il fut le premier à révéler au monde l’existence de cette « tribu perdue ».

En 1975, Avichaël créa à Jérusalem l’organisation Amishav (mon peuple revient). Cette association s'occupe des dispersés d'Israël à travers le monde et s’emploie à établir des contacts pour favoriser leur retour sur la terre d'Israël. Amishav jouit de l'appui de nombreuses personnalités religieuses et politiques à travers le monde.

Combien de Bné-Ménaché vivent-ils déjà en Israel ?

Aujourd'hui, ils sont environ 1500. 800 sont répartis entre Nitzan, Karmiel, Maalot et Beith-el. Il n'y a que très peu de familles qui se sont établies à Jérusalem. La plus grande communauté est celle que nous avons rencontrée à Kiryat Arba, où vivent 700 de ces Israélites retrouvés.

Présents dans les implantations

Le Bné Ménaché renforcent notamment la présence juive en Cisjordanie. Face à la démographie galopante des Palestiniens, la présence des tribus perdues semble être un argument d’Israël pour l’aider à remporter cette sorte de guerre de l’utérus, officieusement lancée entre les Juifs et les Palestiniens.

A Kiryat Arba, les Bné Ménaché partagent avec les autres habitants de la commune la même synagogue, les mêmes coutumes, et leurs enfants fréquentent les mêmes écoles.

Selon le maire, Malahi Levinger : « Ils se sont installés dans les implantions surtout pour des raisons religieuses, car la majorité des Juifs dans ces régions sont pratiquants. Ils peuvent ainsi bénéficier de tous les avantages pour leur évolution religieuse, ainsi que d'un entourage favorable pour leurs enfants, car il n'existe aucune délinquance ni aucune tentation à Kiryat Arba ».

Le rabbin Avichaël ajoute : « les raisons sont aussi économiques, car ils peuvent être logés à moindre coût et trouver facilement du travail ». Ils travaillent tous à Kiryat Arba, dans les métiers domestiques, de ménage, dans l’alimentaire et le gardiennage. Ils vivent avec des revenus modestes.

« Pour l'instant, les Bné-Ménaché n'ont pas encore leur propre lieu de culte et s'intègrent très facilement à la population juive de Kiryat Arba », me confie le rabbin, qu'ils nomment tous : « notre père », par respect et reconnaissance pour ce qu'il fait pour eux.

A Kiryat Arba, leur rabbin, Shimon Ganté, a étudié durant 8 années dans plusieurs yeshivot en Israël. Comme tous les Bné Ménaché d'ici, il affirme qu'il est heureux d'être là, droit dans ses bottes, et qu’il considère comme une chance le fait de vivre sur la terre d'Israël.

Ici, ils sont tous religieux, mais ils se considéraient déjà juifs en Inde. Pour Shimon Ganté, « ce qui est un peu difficile ici, c'est surtout d'entendre des réflexions du genre « les Indiens ont faim chez eux, c'est pour cela qu'ils viennent vivre ici… ».

Il est vrai que l'on peut toujours remettre en question de leur sincérité et les soupçonner d’opportunisme, même si nombre d'entre eux, à l’instar du Rav Shimon Ganté, appartenaient à la classe privilégiée dans leur pays d’origine.

Une chose est sûre, les voisins s'accordent à dire que ce sont des gens qui se sentent profondément juifs, qu'ils ne sont jamais agressifs, mais au contraire calmes et posés… zen quoi ! Cela les aide assurément à s'intégrer à la société israélienne, qui elle, vit à 300 à l’heure.

Le Rav Avichaël réussit à faire venir une cinquantaine de nouveaux Bné-Ménaché par an, et cela, depuis une cinquantaine d'années ; il lance, philosophe, avec cette lucarne d’humour juif dans l’œil : « le reste du travail sera fini à la venue du messie ».

Pour parvenir à son but, il faut mobiliser beaucoup de monde : « Pour les faire venir, il fallait de l'argent. 700 dollars pour un seul billet d'avion, c'est beaucoup d'argent ! ». Il trouve des soutiens chez des particuliers, mais, se plaint-il, « jamais dans les groupes et les institutions, ni auprès du gouvernement israélien ». Il confesse finalement : « ce fut assez difficile... ».

Un dilemme ?

Les Bné Ménaché ne peuvent rester en Israël au-delà de six mois s’ils ne sont pas juifs ; leur conversion est donc le seul moyen pour eux d'acquérir la nationalité israélienne. Elle se fait « exceptionnellement rapidement », en quatre ou cinq mois, c'est à dire avant l'expiration de leur visa.

Ils leur est impossible de se convertir en Inde avant leur arrivée en Israël, car ils doivent être convertis par le grand-rabbinat, contrôlé par les Juifs orthodoxes, pour être reconnus et acceptés comme semblables par tous les autres Juifs.

Peut-on mettre en doute l’identité des Bné-Ménaché ?

Il est vrai que certains arguments avancés, basés sur l'interprétation de textes bibliques, sont assez fantaisistes aux yeux des laïcs que nous sommes.

Mais leurs certitudes, leur tradition – qui contient des éléments israélites difficilement contestables -, ainsi que leur détermination à retrouver leur place dans la famille d’Israël, forcent l’admiration et le respect.

En ces temps économiques difficiles, la politique gouvernementale consiste en un retour à l’immigration au compte-goutte, ce qui est sans doute plus facile à gérer pour l'Etat d’Israël.

Au rythme de cinquante Bné Ménaché par an, on peut calculer le temps restant jusqu’à l’avènement du messie, issu de la Maison de David. Plus que de la mathématique, c’est tout un symbole de l’universalité de la nation des Bné-Israël. Les fils d’Israël dans la bible, les Israéliens. Ceux qu’on nomme également les Juifs.

Merci « notre père », pour avoir consacré votre vie à restaurer un pont vieux de plusieurs millénaires, et à convaincre des hommes, au demeurant si différents, sur les deux rives, qu’on pouvait l’emprunter sans souci, et que ce sont des frères ! Rak be-Israël : des miracles de ce genre n’arrivent qu’en Israël.

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