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L’homme chic, de Marc Lumbroso

 L'homme chic, de Marc Lumbroso

 

 Lorsque Marc raconte Jacques, son père, l'Homme Chic, à ses enfants et petits-enfants, ce n' est pas seulement le récit de la vie de Jacques Lumbroso et de son épouse Yvonnette, c' est l' épopée de toute une famille que l' on découvre.

Tous les personnages sont réels, existent ou ont bien existé. Derrière les anecdotes, les querelles, les rencontres amoureuses, les amitiés d'enfance, c'est un formidable témoignage de la vie quotidienne et des traditions d' une famille juive italienne en Tunisie totalement mêlée au fantastique métissage culturel, religieux et social, qui faisait de la Tunisie une terre de fraternité et de tolérance, jusqu'en 1960. 

 

BIOGRAPHIE

 Marc Lumbroso est né en 1943 à Tunis, il écrit ici son premier livre.
Diplômé d'université et chef d'entreprise, Marc Lumbroso participe activement à la vie associative et politique de ses contemporains. Il est actuellement maire-adjoint à la mairie du 16 ème arrondissement de Paris. Ancien président du Bne Brith France et humaniste convaincu, il consacre également une partie de son temps à la lutte contre le racisme et l' antisémitisme, ainsi qu'à la défense de l'Etat d'Israël pour sa sécurité et sa pérennité.  

 

EXTRAIT

La vie à Tunis, dans les années 50, était pour la petite bourgeoisie juive et européenne tout à fait comparable à celle d’une ville de Méditerranée. La vie de famille, le travail, à un certain rythme, certes, mais soutenu, continu et, finalement, envahissant. Les repas à la maison, midi et soir, l’éducation des enfants au cœur des préoccupations de tous. Et puis, les loisirs d’une ville de province : le cinéma, le théâtre pour certains, le sport : les stades étaient toujours bondés; et puis, les petites gargotes de poissons, de grillades, de brick à l’œuf ou de sandwichs. A partir du mois de juin et jusqu’à fin septembre, la plage, la sieste les amis et le travail, constituaient, l’essentiel de l’existence A Tunis, chacun faisait partie d’une « bande », groupe plus ou moins homogène d’hommes et de femmes, mariés ou pas, venant plus ou moins de mêmes milieux sociaux et partageant les mêmes goûts, les mêmes loisirs et parfois les mêmes idées.

   D’une manière générale, les idéologies n’étaient pas la préoccupation essentielle. La « pensée unique » prévalait souvent dans chaque catégorie sociale. Au sein de la population juive, la préoccupation essentielle était : quel avenir avons-nous en Tunisie ? et ce, bien avant l’indépendance en 1956 et d’une manière générale, depuis la création en 1948 de l’Etat d’Israël, qui constituerait, nous le savions, un obstacle decisif, pour notre existence dans un pays musulman, si tolérant soit-il. Les Italiens, les Maltais et les Français se posaient la même question, à une différence prés, tout de même! La Communauté juive était présente en Tunisie depuis des temps immémoriaux et n’avait rien eu à voir avec les tentations colonisatrices des Français ou des Italiens!

   Mais je voudrais surtout te parler de la diversité des populations vivant dans ce pays, de leurs origines, de leurs religions et de leur niveau social.

   En dépit de toutes leurs différences, elles ont vécu pendant près d’un siècle dans la paix, dans le respect et dans la tolérance, malgré des inégalités criantes et des injustices flagrantes. Au vu de tout ce qui se passe dans le monde aujourd’hui, je considère que ce fut un véritable miracle et une leçon d’humanité dont on ne parle pas assez.

   Il est hors de question que je me livre à une analyse sociologique, là n’est pas mon propos. Mais tout de même, je ne peux pas raconter les parcours d’une famille juive tunisienne sans parler de cette population, métissée, contrastée, hétéroclite, d’origines et de religions différentes qui vivait à la fois totalement mêlée et pourtant résolument séparée.

   Dans les années 50, Tunis comptait environ 600 000 habitants. La ville dite « européenne » était principalement composée d’une population juive, ancestrale d’environ 120 000 habitants, d’une Communauté italienne, surtout sicilienne, d’environ 100 000 habitants, de 10 000 Maltais et d’une population Française, surtout corse, essentiellement des fonctionnaires de la France. Ces derniers assuraient tous les services publics. La Tunisie était un Protectorat depuis 1882, en vertu d’un contrat passé avec le Bey de Tunis, pour 70 ans afin de protéger le pays des agressions extérieures et d’y introduire tous les éléments de progrès, devant permettre à la population de s’éduquer, de s’ouvrir au monde moderne et surtout de se préparer à l’autonomie et à l’indépendance. En réalité, au delà de tous les apports positifs qu’elle a procuré à ce pays, la France s’est comportée en parfaite colonialiste pendant près d’un siècle. Je veux dire que la population musulmane, archi majoritaire, (plus de 90 % de la population) a été mise entre parenthèses à tous les niveaux et notamment à celui de l’éducation et des responsabilités politiques et économiques.

   Les grands bourgeois tunisiens et l’entourage du Bey, qualifiés de « francophiles » étaient admis dans le cercle restreint des « happy few », pendant que le peuple vivait pauvrement. Cette attitude, avec certains musulmans, laissait penser que la France traitait tout le monde sur le même plan. C’était totalement illusoire,et faux!

   La ville dite « arabe » se trouvait à la périphérie. Elle comptait plus de 400 000 habitants qui travaillaient pour la plupart pour les Européens et les Juifs, cependant, une bonne partie d’entre eux étaient artisans ou commerçants.

   Tunis était par conséquent une ville morcelée et pourtant harmonieuse Au centre, trônait la grande cathédrale, une centaine de mètres plus loin une magnifique église orthodoxe, des temples protestants, et un grand nombre de synagogues dont la « grande » avenue de Paris près du quartier La Fayette. Curieusement, il n’y avait pas de mosquées dans le centre de Tunis mais à la périphérie ou dans les souks. Ceci s’explique par le fait,qu’à l’origine,la « Ville europeenne »n’existait pas,et qu’elle s’est volontairement construite en zone très peu peuplée. La grande mosquée de la « Zitouna » qui était également un centre culturel et une bibliothèque très réputée dans le monde arabe,était peu connue des non-musulmans Je peux dire que nous vivions un peu en dehors de la réalité arabo-musulmane. Nous n’entendions jamais le Mufti appeler à la prière, peu d’Européens parlaient l’arabe et les Juifs parlaient un judéo-arabe dialectal. Les Musulmans s’y étaient habitués au point que certains d’entre eux, le parlaient sans le savoir ! En réalité, à quelques exceptions près, les Juifs ne parlaient pas l’arabe, pourtant nous vivions en Tunisie depuis des siècles!

   Cette distance par rapport au monde musulman s’explique par des décennies de dhimmitude, au cours desquelles les Juifs ont été traités avec mépris, ont été humiliés et getthoïsés. Dans ce contexte, ils n’avaient pas accès à la culture musulmane.

   Mais, pour la période qui nous intéresse, en gros 1920 - 1960, toutes ces communautés vivaient en bonne intelligence, dans la tolérance et le respect de chacun. Je n’ai jamais entendu parler de racisme, sauf dans certains milieux français bourgeois où les Juifs étaient évités, interdits ou gentiment écartés. Les Arabes, eux, étaient considérés comme quantité négligeable. A titre d’exemple, les Juifs étaient pour ainsi dire interdits au Tennis-club de Tunis ainsi qu’au Yacht-Club et dans certains cercles et ce, jusqu’en 1946.

   Les Communautés musulmane, catholique et juive étaient cependant totalement cloisonnées. Au niveau professionnel, il n’y avait aucune barrière, aucune exclusion, aucune discrimination. Mais je peux te dire, que les Musulmans préféraient travailler pour les Juifs, avec des Juifs et chez des Juifs, plutôt qu’avec des coreligionnaires qui les traitaient avec mépris, les nourrissaient mal et les payaient au rabais. C’était un fait connu, indiscutable et avéré. Il ne s’agissait en rien d’une rumeur!
Cependant, en dehors du travail, chacun chez soi! Pas de copinage, pas de familiarité, peu d’amitiés réelles, et surtout pas de fréquentation amoureuse ou sexuelle. Les mariages mixtes, rarissimes, étaient vécus comme des drames par les uns et les autres: une juive a épousé un Italien c’est un drame, elle a épousé un Arabe c’est totalement irréel, impensable, c’est une fille perdue et certainement mentalement diminuée! De même chez les Musulmans chez qui, en dépit du caractère dominant des hommes qui transmettent la religion, les mariages mixtes étaient totalement proscrits et considérés comme un déshonneur. Un très bon ami Musulman, fou amoureux d’une Juive, les deux issus de grandes familles, ont été contraints de s’expatrier et rompre avec leurs milieux respectifs pour pouvoir vivre leur passion. Ils l’ont fait, bravo! Mais c’était rarissime.

 

http://lhommechic.com/

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