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La bouche totalitaire de Babel, par Rachel Franco

 

La bouche totalitaire de Babel

 

 

par:

 

Introduction

Souvenez-vous ! Car n’en doutez pas, votre âme se souvient de ces temps inscrits dans la mémoire du monde.

Les hommes parlaient d’une même lèvre et avaient des paroles semblables. Ils ont bâti une ville et le cœur de cette ville était une tour dont le sommet atteignait les cieux. Le cœur de ces hommes était uni dans un même projet qui consistait à en débattre avec Dieu et à prendre sa place.

Et la question se pose, à juste titre : pourquoi la génération de la tour de Babel a-t-elle démérité devant Dieu et pourquoi l’Éternel a-t-il confondu leur langage ?

N’est-ce pas un bien d’être tous unis et de former un seul peuple ? Est ce un mal de savoir nous entendre au point de parler une même langue ? Au delà de ces questions, apparait en filigrane le rêve qui hante les hommes, celui d’une universalité qui ferait tomber les murs et les barrières et qui, enfin, les rapprocherait les uns des autres.

Mais voici, Babel n’est que la vitrine idéologique d’une paix et d’une entente universelle qui en réalité, cache la pire de toutes les ignominies dont l’homme est capable. Pour faire tomber les masques et comprendre pourquoi la punition divine a été la dispersion et la confusion des langages, il faut nous aider des clefs de lecture de la Tradition juive qui ouvre le texte hébreu aux sens profonds ; les mots choisis pour signifier, suggèrent bien davantage qu’ils racontent les racines psychologiques et spirituelles des pensées des hommes.

La démarche proposée par l’hébreu doit être entendue comme une invitation à déchirer le voile de l’extériorité du monde et à pénétrer dans l’intériorité des mécanismes profonds de l’histoire des hommes. Ce récit est d’une actualité brûlante susceptible de nous avaler vivants, si nous restons bouche close devant la vitrine Babélienne.

La plus grande partie de cette étude provient des enseignements du Zohar, mais aussi des cours de Messieurs les Rabbins Dynovicz, Sadin, Haim Cohen et des commentaires de la Bible par le Rabbin S.R Hirsch. Cependant, je ne puis affirmer que les passages du Zohar relatifs à la Génération de Babel que j’ai étudiés aient été compris de manière juste, car je n’ai point eu de compagnon d’étude, ni de Maitre. En revanche, je tiens à réaffirmer que la sagesse puisant ses racines dans l’Infini, ma contribution est fatalement infime et relative.

Enfin, je souhaite ajouter que je me suis permis de suivre le modèle des maitres des Secrets et de faire parler les mots hébreux, et ce, afin que ce récitait une résonance intime en moi. Certaines analyses me sont donc personnelles et n’ont pas été étudiées dans le cadre des cours de Thora et de Hassidout qui fleurissent en Israël ; ceci est la grandeur de la Thora de permettre aux lecteurs du Livre que nous sommes, de vivifier le corps du récit littéral par le souffle de nos interprétations personnelles.

L’Orient matriciel et l’Ancien des Jours

Les hommes se déplacèrent depuis Kedem (l’Orient) et ils trouvèrent une vallée dans le pays de Sinnaar, et s’y étaient installés. Ils se dirent l’un à l’autre : “çà, fabriquons des briques et brûlons tout ce qui peut se brûler. Et la brique leur tint lieu de pierre, et le mortier leur servit de bitume.”

Le mot utilisé par la Bible pour dire l’Orient est Kedem qui veut à la fois dire Est, mais aussi Origine, Premier ou Avant ; L’Orient hébraïque est donc à la fois ce qui précède d’un point de vue spatial, mais également d’un point de vue temporel.

« Le mot Mikedem (depuis l’Est) désigne l’Origine (Kadmono) du monde. »

« C’est-à-dire qu’ils s’éloignèrent de l’origine ou du principe du monde, qui est la confiance absolue ». (Le Zohar [76 aleph et 74 beit])

Je ne m’interrogerai pas ici sur ce que peut être une confiance absolue et quels sont les échelons qui permettent de gravir cette échelle intérieure. Mais il est permis d’imaginer un état de conscience où l’homme a réussi à lâcher les amarres des préjugés et des doutes qui l’éloignent de son axe central, lui permettant ainsi de retrouver la foi et de vivre dans un parfait sentiment de reconnaissance et d’harmonie.

Un véritable chemin de lumière ne saurait faire l’impasse du questionnement de l’homme sur le lien invisible qui l’attache à l’espace et au temps, mais aussi au Principe originel du monde. La lumière naissante de l’Orient s’offre comme un questionnement fondamental sur l’en haut et l’en bas, sur le Qui, le Quoi et le pourquoi de notre vie sur terre.

Il a donc fallu que les hommes s’exilent depuis l’Orient matriciel, lieu de connexion spirituelle avec l’Origine, l’Avant ou encore avec l’Ancien des jours, pour que cesse la marche constructive d’une pensée en quête de sens.

Le Zohar énonce :

Ils ont abandonné le droit chemin pour des voies tortueuses » et c’est alors qu’ils ont trouvé une vallée dans le pays de Sinnaar. Il faut dire, de suite que ce lieu trouvé est un lieu où leurs pensées ont été figées dans un moule totalitaire et dans ce lieu, ils se sont installés.

L’existence, extériorité du monde et brisure intérieure.

Le mot hébreu (Vayimtséou) pour dire Trouver est un mot qui doit nous intriguer, car ce qui est « trouvé » semble être là par hasard, sans raison, sans but, sans Main du ciel. Or les lettres racines de ce verbe sont également les lettres racines du mot Réalité et Existence.

L’existence se dit Metsia, « une trouvaille » et le mot Réalité se dit Metsiout. Si la réalité du monde et nos propres vies peuvent être perçues comme des trouvailles, le chemin dans l’homme n’est-il pas justement d’interroger et de chercher sens à ces hasards ?

Qu’ont-ils trouvé ? Ils ont trouvé ce à quoi ils aspiraient, une existence coupée de toutes racines spirituelles, de tout Orient intérieur et qui ne connait aucune antériorité et aucun Ailleurs en dehors de leurs personnes. Cette ex/istence s’est installée dans l’ex/tériorité du monde et son attachement exclusif à la réalité matérielle signe la volonté de rupture depuis le Principe du monde.

Le lieu de leur enfermement se nomme la vallée du pays de Sinnaar.(שנער)

À l’intérieur du mot Vallée en hébreu, Bikaa (בקעה), est écrit le mot Fissure ou encore crevasse, soit une fente qui divise et sépare ; la vallée/fissure, lieu géographique symbolise la brisure intérieure de ces hommes qui se sont détournés de l’Orient. Elle symbolise aussi une pensée qui se disperse, divisée, fissurée et incapable de faire du lien. Brisure et dispersion piègent leurs regards sur le monde dans une crevasse sans espoir.

Sinnar, la dent-éveil, bouche totalitaire de Babel

Le nom de cette brisure est Sinnaar et il est certain que le nom de cette brisure est un indice essentiel qui permet de saisir la nature profonde de la génération de Babel.

Ce nom peut se diviser en deux mots, Sin – Aar (ער שן) que nous pouvons lire « Dent-Éveil« .

Nous le savons, le travail de la dent consiste à couper, à déchirer et à broyer un aliment pour le réduire en une bouillie informe qui est ensuite avalée puis digérée, avant qu’une partie de cet aliment ne soit transformée en sang et une autre partie rejetée hors du corps humain.

Je ne pense pas me tromper en disant que la civilisation de Babel est en quelque sorte une civilisation dont le fonctionnement mental consiste essentiellement à ‘couper, arracher et écraser sous la dent’ ; en d’autres mots, une civilisation qui se nourrit de séparations, de coupures, de déchirements, d’arrachements et de l’écrasement de tout particularisme. Ensuite, les éléments nutritifs et utiles à la société babylonienne sont récupérés alors que ceux jugés incapables de produire ou encore les récalcitrants sont éliminés comme de vulgaires immondices.

La dent – éveil est en état d’alerte, en état de surveillance permanente et je l’imagine comme un œil qui ne se ferme jamais, posé sur la dent de la mort. Toute son énergie consiste à ‘veiller au grain’, afin d’écraser toute différence, toute prétention à une identité résistante et afin de mâcher définitivement toute individualité. La bouche totalitaire impose un seul discours pour tous, une opinion unique, des paroles semblables et écrase impitoyablement toute originalité.

Une seule lèvre et des paroles semblables – Nimrod, modèle de la démagogie

Il est écrit

Et toute la terre était une seule lèvre et des paroles semblables.”

Il y a plusieurs mots qui en hébreu, peuvent dire la langue dans laquelle nous nous exprimons.

Le mot utilisé par la Bible est Sapha (שפה) qui veut dire aussi ‘lèvre’, mais encore ‘bord’ ; il y avait une seule lèvre, un seul bord pour tous, une seule rive, une seule expression possible, alors les paroles étaient semblables. On ne parlait que du bout d’une seule lèvre, des paroles identiques, à peine murmurées comme si l’uniformité réduisait même la force des mots et étouffait leurs lumières intérieures.

Le mot Sapha s’écrit avec les lettres Shine ש Peh פ et Hé ה. Ces trois lettres sont toutes en relation avec la bouche : Shine = Shen= Dent et Peh = Bouche; la troisième lettre est Hé, la lettre souffle qui anime les mots.

Le souffle de la bouche totalitaire de Babel, soit son inspiration profonde, animait la dent carnivore, avide de dévorer les individualités qui composent le genre humain. Cette génération ne répond plus au projet divin pour les hommes ; leurs paroles est une parole qui coupe, arrache, sépare et écrase l’Autre tout en offrant l’apparence de la concorde et de l’unité.

Selon la Tradition orale, Nimrod était l’idéologue de cette génération moulée dans l’uniformité, l’un des plus grands des démagogues de l’histoire des hommes. Il était un chasseur devant le Nom ineffable et la Tradition ajoute qu’il était un ‘chasseur dans sa bouche’ ; Nimrod séduisait et piégeait les âmes de ses contemporains par un discours démagogique. Le vêtement de son idéologie était une parole mensongère.
Lorsqu’il parlait d’unité, son intention était d’étouffer toute individualité en coupant les hommes de la Source de vie qui les habite et les différencie les uns des autres.

Dans notre monde moderne, “une seule lèvre et des paroles semblables‖ est une litanie bien connue qui s’auréole de l’unité et de l’égalité, que celles-ci se construisent sur la mort de Dieu ou sur un empire totalitaire qui fait d’une seule religion, la religion de vérité pour tous les peuples.

Nimrod, le révolutionnaire “De l’ancien des Jours, faisons table rase !”

Si nous voulons identifier les caractéristiques essentielles qui font de Nimrod, le prototype fondamental du démagogue, il faut interroger son nom en hébreu.

Les lettres — racines qui écrivent le nom du premier idéologue du totalitarisme ‘Nimrod’ écrivent le mot Révolte et le verbe Se révolter (limrod). Dans le Zohar, il est écrit « Pourquoi se nommait-il Nimrod ? Parce qu’il se souleva (marad) contre le Roi suprême » [zohar 73 Beith].

Nimrod est le révolté, par excellence; le premier homme qui, connaissant son Créateur, a retourné le libre arbitre en une arme de révolte contre les êtres de l’En-haut et les êtres de l’En-bas. Comment faut-il l’entendre ?

Nous avons vu que le texte énonce que Nimrod était un héros de la chasse à l’homme, un despote rusé dont la puissance consistait à chasser avec sa bouche. Il faut donc s’interroger sur le pouvoir de la parole.

Nimrod savait que le monde a été créé par la parole et il savait aussi que l’homme a été créé à l’image du divin. S’il en est ainsi, les hommes n’on tils pas le pouvoir de créer des mondes et pour le moins une réalité, qui devienne ‘trouvaille‘ et existence ? Si de plus, leurs paroles sont semblables et qu’ils sont unis dans un même projet de création, ne peuvent-ils alors donner force et concrétude à une réalité existentielle coupée de toute origine ? Enfin l’oubli de cette origine n’est-il pas la meilleure garantie de la main de fer qui fait du despote, une idole divine ?

Telle a été la réflexion de Nimrod, despote-idole qui aujourd’hui encore, brise et dévore toute prétention à la liberté d’un chemin dans l’intériorité de l’homme.

Lorsque la pensée de l’homme s’enracine dans l’ingratitude spirituelle et non dans la recherche et la reconnaissance de la Source du bien et de ses bienfaits, alors la colère et la révolte animent et perdent les hommes.

L’ingratitude est donc la faute cachée de la génération de Babel et la révolte en est l’expression corporelle. Il est écrit qu’il y a dans ce récit, une répétition de la faute originale d’Adam.

Il faut comprendre ; la faute d’Adam n’a pas consisté à manger le fruit de l’arbre de la confusion du bien et du mal, car cette faute-là était inscrite dans le projet divin, pour de nombreuses raisons que je ne puis développer ici, mais que je peux évoquer de la manière suivante : il faut que l’homme mérite de connaitre sa place dans le monde et quelle est sa mission intérieure et ce mérite ne saurait avoir de réalité sans le libre arbitre et le chemin de la réparation.

La première faute d’Adam a été l’ingratitude ‘la femme que Tu as mis près de moi, m’a donné de l’arbre et j’ai mangé‘ et la faute de Caïn relève fondamentalement de la même imposture intellectuelle qui consiste à accuser la Source du Bien d’être responsable du mal causé.

La transgression de l’ordre divin initial a entrainé une rupture d’harmonie entre l’homme et le monde et cette brisure a donné réalité au monde de l’extériorité, raison pour laquelle Dieu donne à Eve et à Adam, jusque-là êtres de lumière pure, des vêtements de peau, puis Il les habille.

Fondamentalement, nous pouvons dire que l’ingratitude et le mal-être qui en découle, sont la source de la colère et de la révolte qui légitiment aux yeux du révolté, la création d’une réalité/trouvaille dont il devient le centre et la cause, ce qui lui permet de légiférer et de créer un code moral dénué de toute vérité profonde.

Dans la bouche de Nimrod, le souffle mensonger habille donc les mots de noblesse, d’amour et d’unité, mais la langue est une flèche empoisonnée qui chasse les âmes et les emprisonne.

Babel est le modèle de la dictature parfaite qui offre aux hommes l’illusion de la liberté dans l’unité.

Pierres et briques, mortier et bitume

La ville que Nimrod édifie est l’antithèse de la ville de Jérusalem et la tour au centre de la ville est l’antithèse du Temple de Jérusalem.

La confirmation de ceci nous est donnée dans la suite du texte puisqu’il est dit que ces hommes ont fait choix de remplacer les pierres par des briques et le mortier par du bitume. Or la construction du Temple de Jérusalem s’est faite avec des pierres sur lesquelles ‘ni marteau, ni hache, ni autre instrument de fer ne furent entendus‘.

Pourquoi cette volonté de remplacer les pierres par des briques, alors qu’il est bien plus solide, facile et rapide de construire avec des pierres plutôt qu’avec des briques ? Pourquoi s’ajouter un travail aussi épuisant ?

Chaque pierre est unique et garde son grain, sa nature, sa personnalité. Aucune pierre n‘est identique à aucune autre ! Les hommes sont le symbole des pierres vivantes. Vouloir broyer des pierres marque la volonté de gommer de la manière la plus radicale qui soit, toute originalité qui fait de chaque homme un être irremplaçable et imposer à tous un modèle uniforme sans plus aucune saveur ni couleur intérieure.

La génération de Babel a réduit les pierres en poussière en se servant du feu. Or le feu est l’élément qui brûle et décompose tous les composants de ce qui soumis aux flammes; ici, il est le clair symbole de la rigueur destructive. De plus, les briques ne sont que le produit de la main de l’homme et il fallait que les hommes-briques soient coupés de tout rappel d’une antériorité qui interroge, de toute aspiration spirituelle qui remplit le cœur d’amour et d’espoir.

Non, il ne restait plus aucune trace de leur Orient intérieur pour ces hommes qui brûlait les hommes-pierres afin de les transformer en briques, ou dans le but de les réduire en cendres. L’éloignement de l’Orient est total. Il n’y a plus d’autre lumière dans le monde de ces hommes que le feu des cheminées et des bûchers où sont brûlés vifs les récalcitrants à l’idéologie totalitaire de ces temps d’enfer.

Ils ont choisi le ciment pour ‘lisser‘ toutes aspérités qui brouillerait l’illusion de l’unicité d’un peuple qui parle une même langue et qui use de paroles semblables.

La pierre de Salomon, symbole de la Tradition

Nous sommes bien loin de la richesse de la pierre et de ce qu’elle symbolise dans la Tradition juive.

Le mot ‘pierre‘ en hébreu qui se dit Even (אבן) et s’écrit Aleph, Beith et Noun. Ces trois lettres écrivent deux mots qui sont : Av soit le Père (אב) et Ben, soit le Fils (בן).

La lettre Beith (ב) qui est au centre de ce mot symbolise la Maison (Beith est aussi un mot qui veut dire Maison), la Dualité (Beith a pour guématrie le nombre deux) et donc l’intériorité. C’est une lettre féminine par excellence et d’ailleurs sa graphie dessine un ventre tourné vers le sens de l’écriture et donc de la vie et elle porte un point dessiné au centre de son ventre. Ainsi, la mère est la clef du lien entre le père et le fils.

La pierre symbolise la Tradition, dont le secret d’éternité est la transmission de père en fils et de Maitre en disciples. La verticalité de cette transmission n’est pas une tour qui monte pour conquérir le ciel contre les forces de l’en-haut, mais au contraire pour transmettre l’héritage de la Tradition de père en fils et de Maitre à disciple. La Tradition est sagesse infinie, mais elle n’est une sagesse vivante que par l’étude et l’enseignement des hommes qui la reçoivent et la transmettent, chacun recevant un des visages de l’Infini divin.

Concernant le Temple de Jérusalem, le Zohar (74 Aleph) cite une expression curieuse du Livre I des Rois (6:7) où il est dit qu’il s’agissait de ‘pierres complètes‘ de la carrière.

Le mot Complet dit au féminin ‘Chlema‘ est écrit dans le texte de manière défectueuse puisqu’il manque la lettre youd ; les anomalies de syntaxe, de grammaire ou d’orthographes ne sont pas des erreurs de l’Auteur, mais des signes qui appellent à l’interprétation; le mot ‘Chlema’ peut se lire ‘Chlomo’, qui est le nom du roi ‘Salomon’, en hébreu.

Puisque la pierre, quand elle est complète, est pierre de Salomon, il faut interroger la complétude. La complétude suppose la réunion d’éléments disparates, séparés, voire dispersés. Le chemin qui conduit à l’Autre, différent et hors de nous est le chemin qui permet la plénitude intérieure dès lors que nous sommes en mesure de l’accueillir en nous. On est bien éloignés de l’autosuffisance qui annule et écrase toutes les individualités vivantes.

La pierre de Salomon est pierre d’altérité car il ne saurait y avoir de concorde véritable et d’unité entre les hommes si la luminosité intérieure de chacun n’est pas offerte à l’autre.

Chaque pierre, quand elle est complète, est aussi pierre de paix. Le nom Salomon s’écrit avec les racines du mot Paix ‘Chalom‘ ; ainsi, complétude, altérité, plénitude, royauté, paix et unité sont les grains inaltérables des pierres d’essence royales qui méritaient d’édifier le Temple de l’Unité.

La pierre – parole de création

Le Zohar nous donne un enseignement fabuleux ; il est dit que toute la construction s’est accomplie ‘d’elle-même‘. Dès que les artisans commençaient à œuvrer, l’œuvre elle-même leur enseignait comment il fallait opérer avec elle ! Les constructeurs du Temple pratiquaient donc un art qui leur était enseigné par les pierres elles-mêmes. En d’autres termes, ce sont les pierres du Temple qui détenaient le secret de la méthode du travail et du plan de l’ouvrage et elles parlaient aux hommes. Les hommes et les pierres vibraient en parfaite harmonie.

Afin d’entendre la parole de la pierre complète du Temple de l’Unité, il faut se détourner de Babel, revenir au Kedem de la Création. Je précise que les concepts dont je vais me servir pour expliciter quelques enseignements des maitres des secrets ne sont qu’à la mesure de notre entendement, bien loin des réalités spirituelles qu’ils évoquent.

Il est écrit :

« Lorsque l’enfermement de tous les enfermements désira se dévoiler, il façonna d’abord un point qui devint la Pensée, où Il dessina toutes les figures et tailla tous les signes. Il tailla ensuite dans la sainte flamme enclose, le signe d’une figure enclose, le Saint des Saints, édifice profond issu du cœur de la Pensée et appelée Qui?, initiateur d’édifice. » (Le Zohar 2 aleph)

Le monde n’a été crée que parce que telle a été la volonté de‖ l’Ouvreur des yeux »; la Volonté est ce qui a précédé la Pensée et la pensée est le plan de la Création. C’est alors que la réalisation, qui est passage de l’intériorité à l’extériorité, s’est faite par les dix paroles de création.

De la création du monde et de l’homme à l’édification du Temple de Salomon

Il est écrit, et largement repris par les commentateurs, que ‘la fin de l’action est dans la pensée du commencement’, soit le but réalisé est dans la pensée du commencement. Cet enseignement se prête mal à la traduction, mais le sens est d’inviter les hommes à considérer le but de la création pour comprendre quelle en est la pensée projective divine.

Au commencement, créa Elokim le ciel et la terre.»

Le premier verset de la Bible où il est relaté la création du ciel et de la terre, est un dévoilement essentiel du projet divin selon l’expression ‘le but est la pensée du commencement’.

Le ciel se dit Shamaïm et peut se lire Sham, soit Là-bas ou encore Shem, le Nom et le mot « là-bas » étant un pluriel, nous avons ‘un Là-bas primordial qui est le Nom et des là-bas intermédiaires. En effet, le mot Nom mis au pluriel se dit Shemot et non Shamaïm.

A l’instant Beith de la Création, le mot utilisé pour dire Terre est Eretz, du verbe ‘courir’ (larouts). La terre « Eretz » est un processus qui court.

Puisque la fin de l’action est dans la pensée du commencement, nous savons que la pensée du commencement est le Ciel et que le but de la terre est de courir vers le Ciel.

Le ciel, Nom d’un là-bas fondamental, est le lieu et le but ultime des hommes et la terre Eretz est le processus qui court vers ce but fondamental. Il y a donc un Nom du ciel qui est là-bas et pour lequel nous avons été créés sur une terre en devenir. En ne s’orientant plus vers le Nom du ciel, la génération de Babel a quitté les voies du Nom pour un exil infernal.

Les Sages de la Tradition mettent en parallèle la création du monde et l’édification du Temple de Salomon à Jérusalem et plus précisément, le Saint des Saints. Il faut se souvenir que dans le Saint des Saints, était placée l’arche d’alliance et que c’est du milieu des deux Chérubins qui se regardaient que jaillissait la parole de Dieu.

Il faut ici interroger Jérusalem, le Temple et la parole divine en regard de Babel, de la tour querelleuse et des paroles semblables d’une seule lèvre.

Selon la Guémara, le Temple peut être défini comme le lieu où s’embrasse le ciel et la terre. Le baiser, contact intime qui réunit deux êtres, deux mondes ou deux entités, n’est pas sans rappeler l’expression du Cantique des Cantiques du Roi Salomon ‘embrasse-moi des baisers de ta bouche‖’ ; le baiser est justement la parole de Dieu qui est projet divin pour les hommes.

Et cette parole ne peut jaillir que du cœur de l’altérité, lorsque les Chérubins portent leurs regards l’un sur l’autre. L’homme ne peut être réduit au silence des cendres car les sangs de l’homme crient vers le ciel, sans trouver le repos. L’homme ne peut être broyé pour devenir brique sans âme car son cœur est lieu où est gardée l’arche d’alliance.

Le Temple, qui permet au ciel et à la terre de se rencontrer et de s’embrasser est le miroir du projet pour les hommes qui consiste à se regarder, se rencontrer et à s’embrasser des baisers de Sa bouche.

C’est ainsi que Babel, lieu où les paroles semblables sont prononcées d’une seule lèvre est détruite, afin que du Temple de Jérusalem, la Parole infinie du Dieu vivant jaillisse de la rencontre des regards des deux Chérubins qui gardent la porte de l’Arche d’alliance.

© Rachel Franco pour www.Dreuz.info
Texte original publié par la revue Aleithiea - volume N.5
Ce texte fera l’objet d’une publication dans les cahiers de Dreuz.

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