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La famille Sinclair veut récupérer son Matisse

La famille Sinclair veut récupérer son Matisse

 

 

Parmi les 1.406 œuvres retrouvées à Munich, la Femme assise appartenait au grand-père d’Anne Sinclair. La toile avait disparu depuis la guerre.

C’est une femme assise. Une femme qui attend, impassible. Les genoux croisés, une mantille couvrant ses cheveux, un éventail à la main… Combien d’années, Henriette Darricarrère, la Femme assise de Matisse, a-t-elle patienté dans l’appartement munichois jonché d’ordures de Cornelius Gurlitt? L’octogénaire, inconnu de tous les registres administratifs, recelait les trésors de son père, Hildebrandt Gurlitt, marchand d’art allemand, qui s’était fait une spécialité avant et après la guerre dans le commerce de biens volés aux juifs. Chez Gurlitt, quasiment par hasard l’an dernier, les enquêteurs ont mis la main sur 1.406 oeuvres (tableaux, dessins, croquis…) : des Picasso, Renoir, Courbet, Chagall, Klee, Otto Dix… L’affaire a été révélée lundi par l’hebdomadaire allemandFocus. L’information a fait le tour de la planète.

Le portrait d’Henriette Darricarrère, l’une des pièces maîtresses du butin de Gurlitt, appartient à la famille d’Anne Sinclair. "Nous avons deux photographies de ce tableau, explique Wanda de Guébriant, directrice des archives Matisse, l’une d’elles provient d’une exposition avant-guerre du galeriste Georges Petit. Elle apparaît dans le catalogue au nom de Rosenberg." Paul Rosenberg était le grand-père maternel de l’actuelle directrice éditoriale du Huffington Post. Galeriste, marchand d’art parisien, il a participé à la découverte de plusieurs grands peintres dont Braque, Picasso et Matisse. Dans un livre*, Anne Sinclair raconte les liens qui unissaient son grand-père et le maître du fauvisme : "le 16 juillet 1939 Matisse et Paul Rosenberg ont renouvelé le contrat qui les liait depuis 1936 […] Cette même année [1940] pendant la drôle de guerre, Paul se rendit à Nice pour voir Matisse dans son atelier avec des toiles sous le bras, manifestement ravi de sa visite, […] il lui écrivit. 'Je vous ai trouvé dans un état superbe […] j’irai la semaine prochaine à Paris et je vais rouvrir la galerie en exposant cinq nouveaux Matisse, cinq Braque, cinq Picasso. Quelle belle réouverture!'". Paul Rosenberg ne rouvrira pas sa galerie du 21, rue La Boétie, dans le 8e arrondissement de Paris. Cette lettre est envoyée de Floirac, dans la région bordelaise, où s’est réfugiée la famille au début de l’année 1940. Le collectionneur et sa famille quittent Bordeaux pour Lisbonne et trouvent enfin refuge à New York, aux États-Unis, où Paul Rosenberg a déjà expédié une partie de ses collections. Une partie seulement.

 

"Gurlitt était un grand recycleur"

Une centaine de tableaux sont déposés dans un coffre de la banque de Libourne, d’autres seraient restés cachés à Floirac. En Gironde, un ami est chargé de veiller sur ses biens. La mission est délicate. Les Allemands finissent par s’emparer de l’ensemble des oeuvres. La plupart des tableaux volés aux Rosenberg sont vraisemblablement regroupés à Paris au musée du Jeu de Paume. C’est là que s’est installée l’unité d’intervention chargée du pillage des biens juifs. Selon Élizabeth Royer, galeriste, l’une des spécialistes de cette période, Hildebrandt Gurlitt fréquentait les lieux. "C’était un grand recycleur. Il travaillait pour les nazis, explique-t- elle, comme il était à moitié juif, il a réussi ensuite à duper les Américains en réclamant dans les années 1950 des oeuvres dont il a prétendu avoir été spolié."

Après la Libération, Paul Rosenberg est rentré en France et a retrouvé la plus grande partie de ses biens. Sur plus de 200 toiles volées, entre 10 et 20 manqueraient encore. Anne Sinclair, discrète, est l’une des dernières héritières. En 1999, Catherine Trautmann, ministre de la Culture, lui a remis au nom de l’État français un Monet (de la série des Nymphéas) qui était accroché au musée de Caen… Selon la presse anglaise, un avocat de la famille Rosenberg aurait écrit dès cette semaine à l’Allemagne pour réclamer la Femme assise. "Anne Sinclair vient d’apprendre la nouvelle par la presse", se contente de déclarer un de ses proches.

 

La jeune danseuse, rencontrée par Matisse aux studios de cinéma de la Victorine, à Nice, au début des années 1920, avait séduit le peintre. Il l’aurait immortalisée avec son éventail et sa mantille en 1924. Sur la toile retrouvée, elle semble occuper tout l’espace de la pièce. Le paravent, les motifs du corsage, ceux de la tapisserie évoquent les univers des célèbres odalisques du peintre. Quel chemin Henriette at-elle parcouru depuis que Matisse l’a offerte à Paul Rosenberg? A-t-elle connu Floirac ? Le 21 rue La Boétie?

* 21 rue La Boétie, Grasset.

Marie-Christine Tabet - Le Journal du Dimanche

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