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L'avenir incertain des danseuses du ventre égyptiennes

L'avenir incertain des danseuses du ventre égyptiennes

 

Par Tangi Salaün

 

Les danseuses du ventre ont fait la réputation des nuits du Caire. Vont-elles disparaître, menacées par le regain de puritanisme religieux?

Cela commence par un sifflement strident. Un youyou repris de bouche en bouche par l'assemblée. Puis les pulsations sourdes des tablas tout à coup qui s'affolent, entraînant l'orchestre dans leur rythme fou. Et voilà une hanche qui ondoie, un pied qui s'enroule. Un corps qui se creuse, et qui se relève, tel un serpent. Et qui, soudain, se met à tourner, dans un éclair de peau nue et de sequins.  

Sous les lustres majestueux de ce cinq-étoiles cairote, les invités rassemblés en ce soir de noces sont électrisés au bord de la piste de danse: Dina, la plus célèbre des danseuses du ventre du monde arabe, est là. Un cadeau princier fait aux mariés par un parent fortuné. Les appareils photo crépitent, les caméras chauffent. Dans la foule, des femmes voilées - certaines, à leur tour, s'enhardissent à esquisser un pas lascif. Des hommes souriants qui lèvent les bras. Et d'autres qui tournent le dos. Ostensiblement. 

Car si Le Caire, capitale arabe des plaisirs, a depuis longtemps la danse au ventre, la tradition peu à peu se meurt. Dans une Egypte minée par un regain de puritanisme religieux, le termera'assa(danseuse) est synonyme de fille de mauvaise vie. Et l'expression "fils de danseuse", l'une des pires insultes d'un répertoire aussi riche que coloré. Dans l'imagerie populaire, la danseuse orientale, autrefois adulée (voir l'encadré), est devenue une femme vulgaire, peu éduquée, se livrant à l'occasion à la prostitution. 

Elles ne sont plus que quelques dizaines

Cette réputation sulfureuse, véhiculée par les médias et le cinéma, la danse du ventre en paie le prix. Les danseuses doivent faire face à toute l'ambiguïté d'une société qu'elles attirent mais qui les méprise. Au point que la plupart, aujourd'hui, ont jeté l'éponge. Depuis la retraite, il y a quelques années, de la légendaire et pulpeuse Fifi Abdou, Dina et Lucy sont les dernières à se partager le haut de l'affiche. 

Dina est cette année la première contribuable du pays 

L'Egypte comptait 5 000 danseuses professionnelles dans les années 1940; elles ne sont plus que quelques dizaines aujourd'hui. Dans les hôtels et sur les bateaux-restaurants qui sillonnent le Nil, des étrangères, slaves, japonaises ou américaines, ont progressivement remplacé les Egyptiennes. Le retour religieux qui s'est emparé du pays il y a une quinzaine d'années a eu raison des vocations locales et de la tradition.  

Pour tenter de sauvegarder ce patrimoine en danger, les autorités égyptiennes ont décidé de ne plus délivrer de licence aux étrangères. Mais elles n'ont pas satisfait pour autant une revendication de longue date des danseuses : supprimer la loi qui interdit l'ouverture d'écoles de danse du ventre. 

L'évolution de l'Egypte ne s'y prête guère. La réislamisation a touché tous les pans de la société, y compris le domaine artistique. La mode du cinéma nazifa (littéralement "propre") a aseptisé les écrans en bannissant tenues osées et contacts charnels. Une tendance que quelques réalisateurs, comme Yousri Nasrallah avec son récent Femmes du Caire, commencent à défier, en dénonçant "la schizophrénie" d'une société tiraillée entre les valeurs morales et religieuses qu'elle affiche et sa quête de l'interdit. Selon une étude, l'Egypte est le pays au monde où le mot "sexe" est le plus utilisé pour les recherches sur Internet... 

"Les gens paient pour me voir!"

Dina en sait quelque chose: quand, il y a quelques années, la police découvre au cours d'une perquisition chez son mari du moment, un célèbre homme d'affaires, une vidéo clandestine de ses ébats sexuels, tout Le Caire court l'acheter sous le manteau. Quand des dizaines de jeunes surexcités agressent sexuellement toutes les femmes qui passent à portée de main en plein centre du Caire, pendant la fête de l'Aïd, en 2006, c'est encore Dina que la rumeur accuse d'avoir fait monter la fièvre en assistant à la première d'un film dans un cinéma du quartier... 

Sous les lumières criardesdu cabaret Palmyra, au centre du Caire, l'ambiance est tout autre. Et bien plus représentative du quotidien de la majorité des danseuses orientales. Sur scène, l'une d'elles, trop maquillée, aguiche le maigre public. Poussé par la gouaille égrillarde de ses amis, un jeune esquisse avec elle quelques pas en lui jetant négligemment de petites coupures, avant de glisser, clou du spectacle et rituel obligatoire, un billet dans son soutien-gorge à paillettes. La dernière note de musique n'a pas fini de vibrer que, déjà, la danseuse a disparu en coulisses et enfile un voile intégral. "Le niqab est le seul moyen de ne pas se faire insulter quand on sort dans la rue", confie-t-elle d'une voix lasse en s'éloignant, silhouette pressée, flanquée d'un manageur aux airs maquignons, vers un autre cabaret. En dépit des attaques, la jeune femme nargue, bravache, l'hypocrisie de sa société et continue à danser. "Les gens paient pour me voir !" répète-t-elle dans les nombreux shows télévisés qui lui sont consacrés. Son agenda, comme celui de Lucy, est rempli des mois à l'avance. A parfois plusieurs milliers de dollars la prestation, elle ne s'offre qu'au regard des plus fortunés, dans le confort et la discrétion des hôtels de luxe et des mariages de la haute société. Parfois, un émir du Golfe lui envoie son jet privé pour une soirée payée au prix fort. Dina est cette année la première contribuable d'Egypte, et la presse n'a pas manqué de le faire savoir. Véritable chef d'entreprise, elle emploie une trentaine de personnes, manageur, musiciens et costumiers. 

Les ra'assat ont beau mettre des tenues de plus en plus tape-à-l'oeil, bien éloignées du pantalon bouffant et du gilet portés par les premières danseuses, leur image de sensualité souffre aussi de la concurrence des nouvelles bimbos libanaises ou égyptiennes, dont les vidéoclips diffusés en boucle sur les chaînes satellitaires rivalisent de poses suggestives et de vulgarité. Les danseuses peuvent d'autant moins rivaliser que, sous la pression des milieux conservateurs, il leur est désormais défendu de montrer leur ventre, pudiquement dissimulé sous un voilage couleur chair. Seules les plus grandes s'affranchissent de cet interdit, quitte à payer de lourdes amendes à la police des moeurs. Le prix d'une liberté de plus en plus menacée. 

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