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Le traumatisme du califat, par Daniel Pipes

Haroun Al-Rachid tel qu'il est représenté sur un timbre-poste hongrois de 1965.

Le traumatisme du califat

 

 

 

De façon inattendue, l'antique et impuissante institution du califat a été restaurée le 29 juin 2014. Que laisse présager cet événement ?

La conception classique du califat, à savoir un unique successeur de Mahomet gouvernant un État islamique unifié, a subsisté à peine un siècle pour se terminer avec l'apparition de deux califes en l'an 750 de l'ère chrétienne. La puissance califale s'est effondrée aux environs de l'an 940 et, après avoir vivoté pendant une longue période, l'institution a fini par disparaître en 1924. Toutes les tentatives de restauration qui ont eu lieu par la suite, comme celle du Kalifaatstaat autoproclamé à Cologne en Allemagne, ont échoué. Autrement dit, le califat est inopérant depuis environ un millénaire et inexistant depuis près d'un siècle.

En juin, l'organisation dénommée État islamique en Irak et en Syrie a conquis la ville de Mossoul peuplée de 1,7 million d'habitants. Quelques jours plus tard, elle a adopté le nom d'État islamique, a proclamé la restauration du califat et a installé sa capitale dans la cité historique de Raqqa, en Syrie. Ce choix n'est pas un hasard puisque cette ville de 220.000 âmes fut la capitale du calife Haroun Al-Rachid pendant 13 ans. Sous l'autorité d'un Irakien nommé Ibrahim Awwad Ibrahim, le nouveau califat a pour ambition démesurée de gouverner toute la terre (« orient et occident ») et d'imposer à tous une version primitive, fanatique et violente de la loi islamique.

 

J'ai annoncé que malgré son apparition spectaculaire, cet État islamique ne survivra pas : « confronté à la double hostilité de ses voisins, (il) ne survivra pas ». Dans le même temps je pense qu'il laissera un héritage.

« Peu importe le sort calamiteux du calife Ibrahim et de sa troupe sinistre, en faisant à nouveau du califat une réalité, ils ont réussi à ressusciter une institution fondamentale de l'islam. Désormais, les islamistes du monde entier porteront haut ce moment de gloire brutale et s'en inspireront. »

Voici ce à quoi je m'attends plus précisément dans l'avenir concernant le legs de l'actuel califat :

1. Maintenant que la glace est brisée, d'autres islamistes ambitieux vont se montrer plus audacieux et se proclamer calife avec le risque de prolifération du phénomène dans des régions allant du Nigéria ou de la Somalie à l'Afghanistan ou l'Indonésie, voire au-delà.

2. La proclamation d'un califat a des implications majeures : elle permet d'exercer un attrait sur les djihadistes de toute la oumma (la communauté formée par l'ensemble des musulmans dans le monde) mais elle contraint aussi le califat à établir son autorité souveraine sur un territoire.

3. Depuis la disparition effective du califat en 1924, c'est l'État saoudien qui a repris, en quelque sorte, le rôle de calife. Avec l'apparition du califat établi à Raqqa, le roi saoudien et ses conseillers seront fortement tentés de proclamer leur propre version du califat. Si l'actuel « Gardien des deux saintes Mosquées » (comme le monarque aime à se faire appeler) qui vient de passer le cap des 90 ans, ne prend pas le titre, ses successeurs le pourraient bien et feraient ainsi advenir le premier califat fondé au sein d'un État reconnu officiellement.

 

4. La République islamique d'Iran, la grande puissance chiite, pourrait faire de même (en proclamant l'imamat) afin de ne pas se laisser distancer par les sunnites de Riyad et deviendrait alors le deuxième État califal officiel.

5. Cette prolifération de califes va encore renforcer l'anarchie et exacerber l'hostilité au sein des peuples musulmans.

6. La situation va bien vite engendrer les désillusions. Les différents califats ne garantiront ni la sécurité des personnes, ni la justice, ni la croissance économique, et ne produira pas d'avancée culturelle. Les uns après les autres, ces États universels autoproclamés s'effondreront, se feront envahir ou laisseront tomber leurs projets grandioses.

7. La folie des créations de califats prendra fin d'ici quelques dizaines d'années pour laisser se réinstaller les conditions qui prévalaient grosso modo avant le 29 juin 2014. On regardera alors cette période d'éruption califale comme une anomalie anachronique, un obstacle à la modernisation de la oumma et comme un mauvais rêve.

Bref, la proclamation du califat le 29 juin dernier fut un événement majeur : le fait que cette institution dépassée dans les faits depuis longtemps soit restaurée, laisse présager bien des traumatismes.

 

par Daniel Pipes

http://fr.danielpipes.org/14807/traumatisme-califat

Version originale anglaise: The Caliphate Brings Trauma
Adaptation française: Johan Bourlard

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