Les islamistes tunisiens ménagent les touristes
Certains restaurateurs ont toutefois renoncé à servir de l'alcool, par crainte des salafistes.
À Tunis
Quand elle préparait les bagages de sa famille pour des vacances en Tunisie, Séverine s'est entendu dire «de prévoir un foulard dans les valises, pour (moi) et pour (ma) fille.» Sarcasme faisant allusion à l'arrivée au pouvoir des islamistes d'Ennahda en octobre dernier. Après hésitation et un peu d'appréhension, cette assistante de direction dans le Vaucluse se retrouve avec mari et enfants sur le bord de la piscine d'un hôtel «All inclusive» de Hammamet, La Mecque du tourisme de masse dans le pays. «C'est la cinquième fois que l'on vient dans cet hôtel. Il n'y a que l'an dernier que nous n'avons pas fait le voyage, à cause de la révolution. Et franchement tout va bien.» À leur table, Philippe, lui, ne se soucie pas des questions de religion: «On est à l'hôtel, on se fout du reste, le voile, tout ça, ça ne nous touche pas ici.»
Le ministère du Tourisme a publié le 20 juillet les chiffres du premier semestre 2012. La hausse de 36 % des revenus engrangés par le secteur par rapport à 2011 pour la même période n'est pas révélatrice. Révolution oblige, les étrangers ont boudé la Tunisie l'an passé. Comparés à 2010, en revanche, les chiffres restent en baisse: moins 15 % pour les revenus, moins 20 % pour le nombre de nuitées. «L'objectif est de retrouver les chiffres de 2010 en 2013», a expliqué à l'AFP Habib Ammar, directeur de l'Office national du tourisme tunisien, «c'est impossible de revenir en une année, après celle catastrophique de 2011».
La tâche est d'autant plus ardue que cette saison est marquée par la conjonction de trois éléments a priori défavorables au tourisme: l'arrivée au pouvoir des islamistes qui, vue de loin, peut inquiéter ; le ramadan tombant en pleine saison estivale, avec beaucoup de restaurants, cafés et boutiques fermés jusqu'au coucher du soleil et enfin une situation politique encore instable après la révolution. En juin dernier, période habituelle des réservations estivales, les médias internationaux relataient la colère de certains salafistes contre une exposition artistique. Des heurts avaient éclaté, contraignant la police à rétablir l'ordre et les autorités à imposer trois nuits de couvre-feu. «Au début le gouvernement n'a pas été assez sévère», confie Mohammed Ali Al Toumi, président de la Fédération tunisienne des agences de voyages (FTAV).
Autocensure
Si les plages et les bords de piscines tunisiens sont moins remplis cet été, leur physionomie n'a pas changé: les bikinis sont toujours là, les seins nus - dans les hôtels uniquement - aussi. Quant aux «burkinis», ces maillots de bain cachant tout le corps, les femmes les plus pieuses le portaient déjà sous Ben Ali. En plein ramadan, les vacancières de tous âges se baladent en mini-short et l'alcool peut être consommé en terrasse dans certaines villes. Non sans une certaine crainte: «J'ai laissé l'alcool sur la carte mais je risque ma vie, explique un patron de restaurant de Mahdia, sur la côte est. Mais je ne veux pas reculer face aux salafistes.»
À Tabarka, dans le Nord, l'autocensure l'a emporté. Sur le port, un restaurant s'est interdit de proposer du vin avec ses poissons. «Nous avons peur des salafistes, explique le serveur. Dans la région, ils sont très actifs. Ils pourraient venir nous embêter.»
L'attitude souvent ambiguë du gouvernement ne rassure pas les professionnels du tourisme. Depuis le début du mois saint, le ministère de l'Intérieur (Ennahda) a imposé la fermeture en journée de plusieurs lieux de restauration. La règle veut que seules les zones touristiques soient épargnées, elles ne l'ont pas toujours été (lire entretien ci-dessous). Certains y ont vu la main d'Ennahda, accusé de double discours. «Je pense qu'il y a une certaine exagération sur les intentions d'Ennahda, explique Abdelhamid Jellassi, vice-président du parti majoritaire. On dit qu'on veut tout fermer, qu'il n'y a pas de festival cet été à cause de nous, mais ça n'est pas vrai. Nous avons inclus le tourisme dans notre programme économique et social. La Tunisie a une société un peu conservatrice. Il y a des équilibres, il ne faut pas tomber dans la provocation», conclut-il.
Dans son agence de voyages, Mohammed al-Toumi, de la FTAV, souhaiterait que ces équilibres soient un peu mieux respectés: «Le mois de ramadan est important pour tous les musulmans, cependant il ne faut pas que cela nous cause des problèmes. Il faut une vision, une stratégie qui permettent de faire fructifier ce mois. Je pense qu'avec les élections à venir, Ennahda ne peut pas penser à une stratégie à long terme.»
Des élections générales annoncées pour mars 2013, qui diront si l'islamisme et Ennahda s'installeront durablement dans le paysage politique tunisien. Elles devraient donner une tendance de la prochaine saison touristique.
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