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Les Tunisiens mobilisés en masse pour leur premier vote libre

 

Les Tunisiens mobilisés en masse pour leur premier vote libre

 

De Hamida BEN SALAH (AFP)

TUNIS — Les Tunisiens votaient dimanche en masse et dans l'émotion pour élire une une assemblée constituante, premier scrutin libre de leur histoire dont les islamistes d'Ennahda sont les favoris, neuf mois après la révolution qui a chassé Ben Ali et donné le coup d'envoi du printemps arabe.

"La Tunisie offre aujourd'hui au monde entier un bouquet de fleurs, de liberté et de dignité", a dit à l'AFP Houcine Khlifi, 62 ans, le premier à voter dans un bureau du centre de Tunis, qui a ouvert comme prévu à 07H00 (06H00 GMT).

A Tunis comme dans les grandes villes de province, des milliers de personnes étaient massés dans des files d'attentes vers 10H00 GMT, impatients mais disciplinés.

"Nous vivons la naissance d'une nouvelle Tunisie, en gestation depuis la révolution", a affirmé Ahmed Zaafouri à Sidi Bouzid, ville déshéritée du centre-ouest d'où est parti le soulèvement populaire qui a emporté le régime de Ben Ali.

A la Goulette, port historique de la capitale, Gilles Jacob Lellouche, seul candidat juif en Tunisie, a le sentiment de "prendre (sa) vie en main": "Avant, ils m'ordonnaient de choisir le bulletin rouge de Ben Ali (qui était mis dans une enveloppe transparente, ndlr). Que la couleur soit dans nos vies et pas sur les bulletins!"

Crucial pour les Tunisiens, l'enjeu l'est aussi pour le printemps arabe: sa réussite ou son échec enverront un signal déterminant aux peuples qui se sont soulevés dans la foulée de la révolution tunisienne.

Londres et Bruxelles ont salué la tenue de ces élections. Coïncidence du calendrier: la Tunisie se rend aux urnes le jour même où son voisin libyen doit proclamer sa "libération totale", trois jours après la mort de Mouammar Kadhafi.

Dans le quartier résidentiel d'El Menzah, où le chef du grand parti islamiste Ennahda a voté, l'ambiance était électrique.

Rached Ghannouchi a commencé à se diriger vers l'entrée du bureau, avant d'être rappelé à l'ordre par la foule: "La queue! la queue! La démocratie commence par là!".

"Cette affluence démontre la soif du peuple pour la démocratie", a-t-il déclaré, assailli par des dizaines de journalistes. Quelques "Dégage!" ou "Assassin!" ont fusé à sa sortie du bureau, tandis qu'il s'éloignait en brandissant un index trempé de l'encre bleue des votants.

Le Premier ministre Béji Caïd Essebsi a voté à La Soukra (nord de Tunis), revendiquant en ce jour historique de n'être "qu'un citoyen comme les autres".

Plus de 7 millions d'électeurs sont appelés à élire les 217 membres d'une assemblée constituante qui devra rédiger une nouvelle constitution et désigner un exécutif, lequel gouvernera jusqu'aux prochaines élections générales.

La grande inconnue est le taux de participation au vu de la multiplicité des candidats dans un paysage politique remodelé.

Les électeurs doivent départager 11.686 candidats, répartis sur 1.517 listes, présentées par 80 partis et des "indépendants" (40%). Alors que la parité est obligatoire, les femmes ne sont que 7% à mener des listes.

Le scrutin est sécurisé par quelque 42.000 militaires et policiers, et scruté par plus de 13.500 observateurs locaux et internationaux.

"Jusqu'à présent, c'est très positif, les gens sont calmes, heureux et font preuve de beaucoup de patience", a déclaré à l'AFP Michael Gaelher, le chef de la mission d'observation de l'Union européenne.

Il a dénoté quelques "problèmes" pour les électeurs non-inscrits volontairement (plus de 3 millions): "Les assesseurs ont un gros travail à faire pour les orienter".

Les Tunisiens vivent leur baptême du feu démocratique.

L'acte de voter avait perdu tout son sens sous la présidence autoritaire de Habib Bourguiba, le père de l'indépendance (1956) qui s'en été vite dispensé. Il n'était qu'une formalité sous le règne de son successeur Zine El-Abidine Ben Ali, constamment réélu avec des scores défiant l'imagination (99,91% en 1994).

Fait inédit, c'est une instance électorale (Isie) totalement indépendante de l'éxécutif qui a piloté tout le processus électoral, à la place du ministère de l'Intérieur disqualifié par des années de fraude.

A Tunis, Kaouther Hamdi, femme au foyer de 33 ans, a salué "une rupture avec une époque noire dans la vie des Tunisiens".

Parti du centre déshérité du pays le 17 décembre 2010 après l'immolation d'un jeune vendeur ambulant de Sidi Bouzid, un soulèvement populaire sans précédent avait gagné en un mois tout le pays et fait fuir Ben Ali le 14 janvier.

Le vent de liberté a profité à Ennahda, durement réprimé sous l'ancien régime, qui a rapidement reconstitué ses réseaux et cherché à rassurer.

Son chef s'est réclamé d'un islam modéré proche du parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie AKP, a promis de ne pas toucher au statut de la femme, le plus avancé du monde arabe, et prôné un gouvernement de large union.

Incapables de s'entendre pour créer un front anti-islamiste, les grands partis de gauche ont promis une vigilance de tous les instants pour défendre les libertés et le statut de la femme.

Le dépouillement commencera dès la fermeture des bureaux à 19H00 et les premiers résultats tomberont dans la nuit. L'Isie annoncera les résultats définitifs lundi après-midi.

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