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L'héritage littéraire de Kafka va être transmis aux archives nationales israéliennes

 

L'héritage littéraire de Kafka va être transmis aux archives nationales israéliennes

 

Est-ce vraiment la fin de cette saga rocambolesque (pour ne pas dire kafkaïenne), qui a mélangé pendant quatre ans littérature, faits divers, goût du lucre et patrimoine intellectuel juif ? Pas sûr, puisque Uri Sefad, avocat de Eva Hoffe, a annoncé, dès la prononciation du verdict, dimanche 14 octobre, l'intention de sa cliente de faire appel. Une autre bataille juridique en perspective ? Peut-être, bien que la décision du tribunal de Tel-Aviv semble décisive : tous les écrits de Franz Kafka et de son ami et exécuteur testamentaire Max Brod devront être transférés de coffres forts privés aux archives de la Bibliothèque nationale de l'Etat d'Israël, à Jérusalem.

La juge Talia Pardo Kupelman a pris toute la mesure de sa décision historique :"Ce cas, compliqué par les passions, a été défendu très longtemps devant les tribunaux, à travers les mers, les pays et les époques". "Ce procès [elle ne parlait pas du roman de l'auteur pragois] a ouvert une fenêtre dans les vies, les désirs, les frustrations et les âmes de deux des plus grands penseurs du XXe siècle."Certes, mais les écrits des "grands penseurs" valant des millions de dollars, on comprend que celle qui en détient une collection inédite ne soit pas ravie de la décision du tribunal de Tel-Aviv.

Ainsi, le manuscrit original du Procès a-t-il été vendu en 1988, par Eva Hoffe, sa mère Esther et sa sœur Ruti Wiesler, pour la somme de 1,7 million de dollars (1,4 million d'euros) au Musée de littérature moderne de Marbach, près de Stuttgart, qui abrite les archives littéraires allemandes. Eva Hoffe (seul survivante de la famille) avait bien l'intention de continuer à exploiter ce filon, dont l'origine remonte au 3 juin 1924, jour de la mort de l'auteur de La Métamorphose. Rappel des faits : dans ses dernières volontés, Franz Kafka spécifiait que tous ses manuscrits non publiés devaient être détruits après sa mort.

TROIS MYSTÉRIEUX CAMBRIOLAGES

Longtemps après, le poète Max Brod a expliqué qu'obéir à son ami aurait été un"acte criminel" vu la valeur littéraire et philosophique inestimable de cet héritage. En 1939, Brod fuit l'Allemagne nazie avec une valise contenant les précieux manuscrits, émigre en Palestine, devenue l'Etat d'Israël en 1948, et meurt sans descendance à Tel-Aviv, en 1968. Sans enfants, mais pas sans héritière : sa secrétaire (et probablement maîtresse), Esther Hoffe, qui a deux filles, entend bienfaire fructifier le patrimoine intellectuel de l'écrivain, de confession juive, dont le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, dira en 2010, qu'il est "de grande valeur pour l'Etat et le peuple juif".

La bataille judiciaire sera âpre. La Bibliothèque nationale israélienne excipe d'un document signé par Max Brod, dans lequel celui-ci exprime le souhait que les manuscrits soient attribués après sa mort à une "institution publique", dont il donne la liste, la Bibliothèque nationale arrivant en tête.

Mais Eva Hoffe ne l'entend pas ainsi : la vieille dame (elle a 80 ans) garde une partie de son trésor dans des coffres forts, à Tel-Aviv et à Zurich, et une autre dans des cartons plus ou moins bien ficelés, dans son appartement de Tel-Aviv, lequel est réputé abriter un grand nombre de chats. On ne sait sur combien de manuscrits originaux les petits félidés ont aiguisé leurs griffes, pas plus que le nombre de ceux qui ont été emportés lors des trois mystérieux cambriolages qu'Eva Hoffe a rapportés à la police en septembre 2009 et mai 2010. A l'époque, l' "héritière" de Franz Kafka et Max Brod avait indiqué que des lettres, des livres et des partitions ayant appartenu au second avaient disparu. Eva Hoffe a toujours prétendu que les contenus des coffres-forts et des cartons étaient un "cadeau" de sa mère. Le tribunal de Tel-Aviv a estimé que le public israélien et, au-delà, tous les chercheurs passionnés par l'œuvre de Franz Kafka, en feraient un meilleur usage.

Laurent Zecchini (Jérusalem, correspondant)

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