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Menahem Begin, l’homme au double héritage

 

Menahem Begin, l’homme au double héritage

 

 

 

 

Dans le roman national israélien, construit avec patience depuis l'indépendance par les cabinets successifs de gauche et de droite, il est un personnage de choix. Une figure de proue singulière, charismatique et incontournable. Au même titre que David Ben Gourion, le père fondateur de l'Etat juif en mai 1948, ou Golda Meir, la dirigeante emblématique du Mapaï, l'ancêtre du Parti travailliste. Vingt ans tout juste après sa mort, Menahem Begin, premier chef de gouvernement de droite en Israël (1977-1983), demeure une solide référence dans le paysage national. La plupart des Israéliens lui font, encore aujourd'hui, crédit de l'action menée pendant sa mandature. Et, à travers elle, de l'héritage politique, mais aussi sociétal qu'il a laissé derrière lui, au terme d'une longue et riche carrière.

Pendant plus de trois décennies, Menahem Begin a incarné une opposition active face à l'hégémonie des travaillistes. De cette période, la vieille garde nationaliste retiendra sans doute, par inclination idéologique, les premières années. Celles passées, de 1943 à 1948, dans les rangs de l'Irgoun, l'organisation militaire clandestine juive engagée dans une lutte sans merci avec la puissance britannique en Palestine mandataire. Fidèle aux préceptes du sionisme nationaliste, dit "révisionniste", Menahem Begin y prôna avec zèle l'usage de la force. Quitte à vivre dans la clandestinité, à voir sa tête mise à prix et à être désavoué par Ben Gourion lui-même. Sa devise : "Deux yeux pour un œil, une mâchoire pour une dent".

Ce jusqu'au-boutisme assumé régira également sa relation avec le monde arabe pendant la guerre d'indépendance – selon la ligne de fermeté défendue par son "père spirituel" Vladimir Zeev Jabotinsky, théoricien de la "muraille de fer". Une doctrine ainsi résumée par son auteur en 1923 : "L'expropriation d'un territoire d'un peuple qui possède de grands domaines, pour y établir un foyer en faveur d'un peuple errant, est un acte de simple justice. Si le propriétaire s'y oppose, ce qui est parfaitement naturel, il faut l'obliger à accepter (...). C'est sur cela que s'appuie notre position unique face à l'opposition arabe."

 

"TRAÎTRE" À LA CAUSE NATIONALISTE

Cet horizon de combattant de l'ombre, de "faucon" si peu enclin au compromis – et encore moins aux concessions –, Menahem Begin le dépassera pourtant un an après son arrivée au pouvoir. Son coup de maître ? La signature des accords de Camp David, aux Etats-Unis, en septembre 1978. "En dépit de ses positions très nationalistes [il rejoint le gouvernement d'union nationale comme ministre sans portefeuille à la veille de la guerre des Six-Jours, en 1967], il restera, au regard de l'Histoire, comme l'homme qui a fait la paix avec l'Egypte de Sadate, le pays arabe le plus puissant de l'époque, et démantelé pour la première fois des implantations juives, dans le désert du Sinaï", souligne Frédéric Encel, géopolitologue spécialiste du Moyen-Orient et auteur de L'Atlas géopolitique d'Israël (Editions Autrement, 2008).

A l'époque, il est vrai, la volte-face du chef du gouvernement a de quoi surprendre. En 1977, au cours de la campagne électorale qui l'opposait, une fois de plus, aux travaillistes pour le poste de premier ministre, il avait insisté sur le fait que le Sinaï devait rester aux mains d'Israël. Sa "trahison" n'en sera que plus grande aux yeux du camp nationaliste – arc-bouté sur le mythe du "Grand Israël" ressurgi au lendemain de la guerre des Six-Jours –, quand l'Etat juif cédera à l'Egypte la totalité de la péninsule sinaïtique, en avril 1982.

Bien qu'improbable et audacieux, le choix de Begin a néanmoins porté ses fruits. Et traversé les décennies. "Il a réussi, en un temps record, à parvenir à une paix dont même beaucoup de travaillistes ne voulaient pas et que les Israéliens, à juste titre, considèrent comme étant de loin la meilleure", estime M. Encel. Trente-quatre ans après, de fait, cet accord bilatéral acquis de haute lutte tient toujours. Mais il est désormais lié aux bonnes grâces des islamistes égyptiens. Lesquels, portés au pouvoir fin janvier à l'issue des premières élections législatives post-Moubarak (environ 70 % des voix), n'ont pas exclu de le réviser en cas de suspension de l'aide américaine au Caire.

Outre ce legs politique, le plus symbolique de son mandat, Menahem Begin a également pesé, fait trop souvent oublié, sur l'évolution socio-économique et surtout sociétale de l'Etat d'Israël. Rompant avec la toute-puissance du syndicat unique Histadrout et l'économie des kibboutzim (villages collectivistes), il est celui qui, à l'image de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne ou de Ronald Reagan aux Etats-Unis, a ouvert en grand les vannes du libéralisme. Quitte à essuyer de vifs reproches en raison d'une inflation galopante et non maîtrisée. Entre 1980 et 1983, date à laquelle il céda le pouvoir à Yitzhak Shamir, celle-ci passa en effet de 133 % à 191 %, avant d'atteindre... 445 % en 1984 !

VOLONTÉ DE RÉCONCILIATION

Si le Likoud, la droite israélienne, a fait fructifier cet héritage – au prix d'une société aujourd'hui ultracapitaliste et moins égalitaire –, il a aussi su tirer le meilleur profit du rapprochement amorcé par Menahem Begin entre les différentes communautés juives. "Quand les séfarades [juifs originaires du pourtour méditerranéen] sont arrivés en masse en Israël en 1949, 1950 et 1951, et surtout dans les années 1960 avec les Marocains, ils ont été accueillis de manière hautaine, voire méprisante par les ashkénazes [juifs issus des pays d'Europe centrale, orientale et septentrionale] au pouvoir. Golda Meir a eu des mots très durs envers eux. Etant religieux et traditionalistes, ils étaient considérés comme des ‘arriérés'. Or, Begin, lui, n'était pas comme ça", rappelle M. Encel.

Preuve de son engagement envers la réconciliation, auquel il n'a jamais dérogé en tant qu'opposant, il nomme en 1977 David Lévy, un Marocain, au poste de ministre de l'intégration. C'est la première fois qu'Israël, sinon inverse, du moins infléchit une réalité défavorable aux séfarades. Ce parti pris va s'avérer payant, permettant au Likoud de s'appuyer, de manière pérenne, sur les voix émanant de cette communauté. "Cet électorat, la gauche israélienne n'a jamais vraiment réussi à le conquérir. On le constate encore aujourd'hui. Les séfarades, plus traditionalistes et davantage attachés à l'intégrité territoriale d'Israël – donc plus intransigeants sur la question palestinienne –, votent très majoritairement pour le Likoud, même si le parti religieux (et séfarade) Shass capte aussi une partie du vote", observe Elisabeth Marteu, spécialiste d'Israël, enseignante à Paris-I et Sciences Po. Une situation étonnante quand on sait qu'ils n'accèdent que rarement à des postes à responsabilité et représentent une population plutôt défavorisée. Plus déconcertant encore, les manifestations de l'été dernier contre la vie chère et pour la "justice sociale", qui ont fait tant de bruit en Israël, n'ont pas miné la confiance qu'ils accordent au premier ministre Benyamin Nétanyahou.

Personnage haut en couleur, mais avec sa part d'ombre (attentat contre l'hôtel King David de Jérusalem en 1946, destruction du réacteur nucléaire irakien Osirak en 1981, invasion désastreuse du Liban en 1982), Menahem Begin a-t-il des héritiers ? Oui, serait tentée de répondre Elisabeth Marteu, qui voit un parallèle entre l'action de l'ancien chef de gouvernement et celle de son ministre de la défense des années 1981-1983, Ariel Sharon. "Begin a incarné l'idée de 'territoires contre la paix'. Quand Ariel Sharon [en tant que premier ministre] a décidé le démantèlement de Gaza, en 2005, il se situait dans la même logique", argumente-t-elle. Et Benyamin Nétanyahou ? La chercheuse reconnaît qu'il "est allé beaucoup plus loin" que Menahem Begin sur le dossier palestinien "en soutenant l'idée d'une 'solution à deux Etats' dans son discours à l'université de Bar-Ilan, en juin 2009". Une déclaration d'intention qui, sincère ou non, est toutefois restée lettre morte. Depuis septembre 2010, en effet, les pourparlers de paix sont résolument au point mort.
Aymeric Janier

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