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Morsi m’sieu

Mohamed Morsi, dictateur en herbe

 

Morsi m’sieu (info # 012612/12) [Analyse]

Par Stéphane Juffa ©Metula News Agency

 

La Commission électorale égyptienne, chargée de superviser le référendum populaire qui s’est déroulé les 15 et 22 décembre, a annoncé hier la victoire prévue du oui en faveur de la nouvelle constitution.

 

Une constitution largement basée sur la loi islamique, la charia, qui ne provisionne rien en ce qui concerne le droit des minorités, les droits de l’homme, la situation des femmes, et qui ne fait aucune allusion aux traités internationaux signés par le Caire, censés assurer l’application de l’Etat de droit au royaume des pharaons ainsi que le respect de ses engagements internationaux.

 

Pas de quoi pavoiser, cependant, pour le régime dominé par les Frères Musulmans. On s’en convainc à la seule prise en compte des résultats du scrutin, à commencer par son taux de participation. Seuls 32.9 pour cent des cinquante-deux millions d’électeurs inscrits, de l’aveu de M. Samir Aboul Maati, le président de la Commission électorale, se sont rendus aux urnes, soit un peu plus de dix-sept millions de ses compatriotes, parmi une population de quatre-vingt-trois millions d’Egyptiens.

 

La nouvelle constitution aurait, à l’en croire, été adoptée par 63.8 pour cent des votants, soit onze millions de personnes. En clair, le texte fondamental qui doit leur servir de référence n’a été adopté que par un Egyptien sur sept et demi. Impossible, dans ces conditions, pour le régime en place, de procéder à un lancer de feux d’artifice, pas plus que de se prévaloir du succès d’un processus démocratique.

 

Ce, d’autant plus que même cette victoire à la Pyrrhus des islamistes souffre de centaines d’infractions majeures organisées par les Frères. Et nous sommes bien placés pour en faire état, puisque, pendant que le gouvernement égyptien donnait lecture des résultats, nous hébergions à la Ména Maïkel Nabil Sanad, l’un des principaux instigateurs du Printemps égyptien, et des leaders de l’opposition démocratique et séculière.

 

Les nouvelles relatives aux fraudes ont plu sur notre rédaction, en provenance directe des lieux où elles se produisaient. Ainsi, certains bureaux de vote, particulièrement dans les zones à forte majorité chrétienne, n’ont tout simplement pas ouvert leurs portes. Dans d’autres locaux de vote, les noms des électeurs inscrits étaient introuvables ; dans d’autres, encore, des activistes islamistes faisaient bouchon, créant artificiellement d’interminables files d’attente. Cela incita des milliers d’électeurs à rentrer chez eux. Quant à ceux qui prirent leur mal en patience, ils ne purent réaliser leur devoir électoral avant l’heure de fermeture des bureaux.

 

On a également observé des centaines de cas où des voyous, aux ordres du pouvoir, ont dissuadé les Egyptiens, par des menaces physiques, d’emprunter les chemins menant aux urnes.

 

Et pour parachever ce simulacre de démocratie, des centaines de magistrats, supposés contrôler le bon déroulement du vote – la présence de ces juges, dans chaque local de vote, était obligatoire selon la loi alors en vigueur – ont été remplacés au pied levé par de faux magistrats, partisans des Frères.

 

Cela venait pallier le refus catégorique de la majorité des vrais magistrats de participer à la triste mascarade constituée par le référendum.

 

Pas étonnant, dans cet environnement, que certains électeurs aient eu la surprise de constater que des urnes étaient déjà pleines au moment de l’ouverture des bureaux.

 

Pas surprenant non plus que le ministre des Communications, Hany Mahmoud, ait fait part de sa démission le soir-même de l’annonce des résultats. Nombre d’autres responsables gouvernementaux et de hauts fonctionnaires avaient quitté le navire avant lui, n’étant pas intéressés à voir leur nom lié à cette parodie dictatoriale d’exercice d’un pouvoir démocratique.

 

D’ailleurs, les premières victimes de la nouvelle constitution, les coptes (chrétiens) du pays des pyramides, n’avaient pas attendu la dernière dégradation de leur statut légal pour prendre leurs jambes à leur cou et chercher refuge sous des cieux plus cléments. Nabil Sanad estime ainsi que trois millions de ses coreligionnaires, soit un tiers d’iceux, ont émigré d’Egypte durant ces dernières années. Ils ont principalement trouvé refuge dans des pays chrétiens, où la culture ambiante est proche de la leur.

 

A en croire les opposants démocrates au régime, si elle en avait la possibilité, la quasi-totalité de leurs compatriotes quitterait ce nouveau paradis islamique qu’est devenue leur patrie.

 

Un paradis dans lequel la police peut faire irruption à votre domicile à n’importe quelle heure, pour peu que des voisins vous aient dénoncé, avertissant les autorités que vous entretenez une relation amoureuse prénuptiale. Avec un peu de chance et un bon avocat, vous vous en tirerez – vous et votre petite amie – avec une nuit passée dans la cellule d’un poste de police infecte. Ce, bien que les relations sentimentales dans l’espace privé ne constituent pas (encore ?) une infraction dans la "démocratie" de Morsi. Et alors ?

 

Mais s’il vous prend l’étrange envie d’embrasser votre femme dans un café ou un bar, retenez-vous ! Il pourrait vous en coûter une année entière derrière les barreaux, et ça, c’est dans la loi et cela est souvent appliqué. A propos des prisons, la bouffe que l’on vous y sert n’est pas propre à la consommation humaine, d’après Maïkel Nabil, qui y a passé dix mois. Dix mois de tortures et de harcèlement sexuel de la part de ses geôliers.

 

"Ils revendent la nourriture destinée aux détenus et gardent l’argent pour eux", nous confie notre hôte, "ils leur soumettent une nourriture composée de restes, totalement immangeable. Moyennant un petit bakchich à un gardien, un membre de votre famille vous apportera, à l’occasion de sa visite hebdomadaire autorisée, de quoi tenir sept jours, si le cador soudoyé ne se ravise pas".

 

L’opposition a, évidemment, contesté les "résultats dus à la fraude et aux irrégularités" et a fait appel du scrutin. Maati, le président de la Commission électorale, un homme de Morsi, a "rassuré" tout le monde, garantissant que toutes les plaintes avaient été examinées avec sérieux. Pour une fois, ils se sont montrés rapides et efficaces, pour ne pas dire expéditifs.

 

Les démocrates égyptiens commencent à se plaindre de l’apathie de la communauté internationale et de sa coopération avec le gouvernement Morsi. Ce, alors que le Front du Salut National (FSN) et ses alliés séculiers appellent les gouvernements des pays développés ainsi que les organisations démocratiques à appliquer une pression de tous les instants sur le nouveau dictateur afin de l’obliger à respecter les droits fondamentaux de la population.

 

Ces militants sont particulièrement déroutés par le parti pris du Président Barack Obama, qui soutient hardiment Morsi, en Egypte, et les Frères Musulmans, partout où ils sont représentés, même lorsque ceux-ci s’activent à étouffer toute expression démocratique.

 

Vrai, le communiqué émis par le Département d’Etat après l’annonce des résultats de cette consultation truquée laisse pantois : "l’Amérique en appelle à Mohamed Morsi pour mettre fin aux divisions et élargir le soutien au processus politique".

 

De quoi parle l’administration Obama ? Quel processus politique évoque-t-elle ? – L’imposition de la charia à l’Egypte ? La persécution des chrétiens ? L’excision des femmes ? Quel est ce baragouin ?

 

Le chef d’Etat soutenu par les USA vient à peine de truquer une consultation électorale et la première puissance libre du globe demande au dictateur de "mettre fin aux divisions" ? Nul doute : Obama nous refait le coup des jours ayant suivi la réélection bidouillée d’Ahmadinejad, lorsqu’il n’avait strictement rien eu à redire et que personne ne comprenait son mutisme complice.

 

A Washington, tout le monde ne l’entend pas de la même oreille, à l’instar de la présidente de la Commission des Affaires Etrangères de la Chambre des représentants, Mme Ileana Ros-Lehtinen, qui a qualifié, sans attendre la proclamation officielle, le vote de "défaite pour le peuple égyptien". Elle a ajouté : "Nous ne pouvons célébrer le fait d’échanger un régime autoritaire contre une dictature islamiste".

 

C’est fou comme, dans une même ville, des responsables politiques américains peuvent avoir une réaction aussi différente…

 

Pour Mohamed Baradei, l’ancien directeur général de l’AIEA qui ne s’était pas aperçu que l’Iran développait un programme nucléaire à usage militaire, ce qui ne l’empêche pas d’être aujourd’hui l’une des têtes de file du courant démocratique, "ce jour est un triste jour pour l’Egypte, parce que ce vote va institutionnaliser l’instabilité".

 

On voit difficilement ce qu’il pourrait advenir d’autre, car la rue est de plus en plus hostile au régime islamisant et à son impopulaire dictateur frais émoulu. De plus, les dissensions entre les Frères, les militaires et les gens du renseignement vont croissant. Ils sont tous, sans exception, corrompus jusqu’à l’os, ne pensent qu’à gaver leur bas de laine et n’ont strictement rien à faire de l’Egypte et des Egyptiens, de l’avis des séculiers. Et comme l’opposition s’articule, prenant de l’assurance, le slogan préféré de la place Tahrir revient : "Fous le camp, le combat ne s’arrêtera que lorsque tu auras vidé les lieux, Morsi !".

 

On est étonné par la clairvoyance de l’opposition et sa sagesse, notamment, son refus de toute forme de violence, mais les démocrates égyptiens feraient mieux de se montrer efficaces, car sinon, les islamistes, grâce à leurs méthodes, sont là pour longtemps.

 

Quoi, les leaders européens des majorités et des oppositions ? Vous ne voulez pas, tout de même, les entretenir de vos petits problèmes en pleine trêve des confiseurs. Les démocrates égyptiens attendront bien la proclamation officielle de la fin de la saison de sports d’hiver. Ou les calendes grecques, mais il serait cruel de leur enlever le vent des voiles de leurs boutres. Parce qu’ils sont pleins d’espoir et du rêve d’un monde différent.

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