Pour ceux qui n’ont pas saisi la "nouvelle politique" israélienne (info # 011803/13) [Analyse]
Par Stéphane Juffa © Metula News Agency
Lorsque des media français se sont jetés sur un édito d’Haaretz qui qualifiait la nouvelle alliance au pouvoir à Jérusalem de "coalition cauchemardesque", ils ont à nouveau instrumentalisé un malentendu. Car ce n’est pas pour Israël – ce qu’ils semblaient insinuer – que la nouvelle association de partis aux affaires est angoissante mais pour son 1er ministre, Binyamin Netanyahu.
Pour ce qui concerne l’intérêt de l’Etat hébreu, de ses habitants et de ses voisins, il faudra juger sur pièces, car la composition de l’équipe gouvernementale promet à la fois le pire et le meilleur, tout en se présentant parée des meilleures intentions.
A la Ména, nous éviterons d’intenter un procès d’intention au nouveau cabinet – ce qui serait injuste -, et préfèrerons observer sa gouvernance avant de le critiquer. Ce que nous devons dire, en ce lundi durant lequel il reçoit le vote de confiance de la Knesset, est qu’il nous semble composé d’éléments dont les démarches politiques sont, en principe, hautement incompatibles.
D’une part, Yesh Atid (il y a un avenir), de Yaïr Lapid, et Hatnouha (le courant), de Tzipi Livni, affirmant vouloir faire évaluer rapidement les discussions avec l’Autorité Palestinienne ; de l’autre, la "Bayt hayehoudi" (le foyer juif) de Naftali Bennett, dont la quasi-totalité des membres et des nouveaux ministres proviennent du milieu edenniste de Judée et Samarie.
Etrange double évolution au demeurant antithétique, la nouvelle coalition marque simultanément une ouverture à gauche relativement à la précédente : il n’y avait pas de composantes non pointées à droite dans le dernier gouvernement, et un glissement à droite, avec l’arrivée en force dans l’exécutif des cadres du Grand-Israël.
Et comme pour annoncer la couleur, Avigdor Lieberman, privé de portefeuille ministériel à cause de son inculpation dans une procédure pénale, vient juste d’avertir que sa formation – partie intégrante du Likoud - fera tout son possible afin d’empêcher la reconduction d’un moratoire sur les constructions en Cisjordanie.
Le cauchemar se précise ? Pas si l’on a pris la peine d’observer le comportement de Bennett et Lapid durant les quarante jours de négociations serrées ayant présidé à la constitution de la nouvelle coalition. Le religieux de droite et le centriste hyper laïc ont même fait bloc de manière compacte pour obliger Netanyahu de transiger à leurs conditions.
Il est vrai qu’à eux deux ils totalisent 31 sièges sur les 68 que compte la nouvelle majorité, et qu’ils ont un intérêt tactique certain à accorder leurs violons.
D’ailleurs, lors de discussions entre eux, Bennett a promis à Lapid de ne rien faire pour mettre des bâtons dans les roues d’une éventuelle négociation avec les Palestiniens. De plus, les deux hommes s’entendent sur la nécessité d’imposer la conscription à tous les Israéliens en âge de servir ; ils sont même parvenus – et cela n’était plus arrivé depuis des temps immémoriaux -, à obtenir que les partis ultra-orthodoxes soient privés de ministères.
En contrepartie de ses bonnes intentions en matière de politique étrangère, Bennett a reçu de son nouvel ami centriste l’assurance que, dans son nouveau costume de Grand argentier, Lapid l’aidera à établir le mini-empire économique qu’il vise au sommet de l’Etat.
Pour y parvenir, Bennett a déjà entrepris ses grandes manœuvres ; il a fait débaptiser le ministère de l’Industrie, du Commerce et du Travail, pour le renommer ministère de l’Economie et du Commerce. Quid de l’industrie et du travail ? Personne ne le sait, mais le chef de file de la Bayt hayehoudi a de l’appétit.
Il a placé ses amis du parti, tous des anciens militants du mouvement des implantations, aux postes-clés du logement. Et Nissan Slomiansky, ex-secrétaire général de l’organisation edenniste Gush Emounim (le bloc de la foi), à la tête de la très puissante Commission des Finances du parlement.
Question arrangement avec Mahmoud Abbas, cela a plutôt des allures de Mur de l’Atlantique, mais pour faire passer ses réformes radicales, c’est parfaitement adapté. Naftali Bennett ambitionne de s’attaquer aux concentrations d’affaires (trusts), d’augmenter la concurrence pour faire baisser le coût de la vie et, principalement, les prix des appartements.
Sa seconde priorité concerne le système religieux ; officiellement, il veut en rendre les services plus accessibles au public. Dans le fond, il entend arracher ce domaine réservé aux partis ultrareligieux, comptant notamment s’attaquer aux procédures de conversion au judaïsme et d’élection des grands rabbins nationaux.
C’est peu dire que Shass (11 députés) et le parti du Judaïsme Unifié de la Torah (7) n’apprécient pas. Un journal orthodoxe titrait, en fin de semaine : "Une déclaration de guerre au monde de la Torah", et tous les ministres religieux ont boycotté hier, dimanche, le dernier conseil des ministres du gouvernement sortant.
Bennett va créer, dans la foulée, un nouvel organisme qu’il appellera "Administration de l’Identité Juive". Un creuset destiné à concentrer des prérogatives appartenant à d’autres ministères. Les harédi détestent, d’autant plus que le trublion des implantations est bien décidé à leur faire porter l’uniforme ou à les soumettre au service civil obligatoire.
Cela annonce un été chaud ; on pourrait revoir six cent mille toques noires envahir le cœur de Jérusalem pour montrer aux athées leur façon de penser. Cela se produira dès que le nouveau cabinet tentera de réduire les allocations aux écoles talmudiques ou aux familles nombreuses.
Mais le sioniste-religieux Naftali Bennett s’est donné les pouvoirs pour agir, lui, l’ex-membre du commando de l’état-major (sayeret matkal) durant son service militaire, l’un des meilleurs de la planète à ce qu’il paraît.
Il faut, aussitôt qu’il aura prêté serment, s’adresser à lui de la façon suivante : M. le ministre de l’Economie et du Commerce, des Services religieux, de Jérusalem, et des Affaires de la Diaspora. Avec interdiction de reprendre son souffle entre les titres !
Ceux qui considèrent que le nouveau gouvernement ne représente qu’un changement dans la continuité n’entendent pas grand-chose en matière de politique israélienne. On peut en effet parler d’une révolution semblable à celle de 1977, date à laquelle le Likoud avait remplacé les Travaillistes à la gouvernance de l’Etat hébreu.
D’abord avec cet échange de religieux aux manettes du régime : exit les docteurs de la foi barbus, issus des cours de grands sages, d’inspiration antisioniste et sans réelles aspirations politiques ; bonjour les partisans du Grand-Israël, hyper politisés, sionistes exerçant une religion "israéliennisée".
Au revoir aussi à Sa majesté Binyamin Netanyahu, oint par Ovadia Yossef et le rabbin Porush, et à son pouvoir de droit divin. Arrivée de Monsieur Bibi, dont le trône constitutionnel dépend du bon vouloir de Lapid, Bennett et Lieberman. Chacun disposant d’assez de députés à lui seul pour défaire le cabinet nouveau-né et provoquer des élections anticipées.
Qu’adviendra-t-il, par exemple, si Avigdor Lieberman est condamné par la justice ? Ce lundi, le portefeuille des Affaires Etrangères n’a pas été attribué, dans l’attente du verdict. Et si le procès s’éternise ? Combien de temps Israël peut-elle fonctionner sans ministre des AE ? Et le risque existe de voir un Yvette Lieberman condamné et fâché quitter la scène avec ses onze députés.
Le royaume d’Israël tiendra à pas grand-chose ces prochains mois. Avec des parlementaires orthodoxes qui ne se gêneront pas le moins du monde pour user le gouvernement avec l’opposition de gauche et les partis arabes ; cela annonce des sessions… heu… sportives.
Résultat de la révolution, l’enterrement de première classe du "camp national" au parlement. C’était cette majorité quasi-automatique, qui unissait l’extrême droite, le Likoud et les orthodoxes sur les questions majeures.
Désormais, il faudra convaincre et discuter chaque projet point par point. Pour les observateurs borgnes qui ont aussi manqué cela, Israël est entrée dans ce qu’on appelle, à l’ombre du mur du temple de Salomon, la "nouvelle politique".
Celle des jeunes loups qui ne se situent à priori dans la poche de personne, et que l’on n’achète pas en rallongeant un budget pour les yeshivas, en repoussant aux calendes grecques la décision sur la conscription obligatoire, ou en refusant d’aborder la question du mariage civil.
Bennett et Lapid sont jeunes et très bien conseillés par des experts ayant pour noms Shalom Shlomo (Bennett), Hillel Kobrinski ou Uri Shani (Lapid). Durant les négociations en vue de former la coalition, ils ont fait suer Netanyahu à grosses gouttes, parfaitement conscients de leur puissance et n’abandonnant aucune exigence à leur portée.
L’ancien-nouveau 1er ministre craint à raison les nouveaux carnassiers. Ils ont pour eux la jeunesse et l’énergie, ils incarnent la virginité politique et ils ont les faveurs du peuple.
Ce n’est un secret pour personne que Binyamin Netanyahu aurait nettement préféré une nouvelle alliance avec les orthodoxes, mais leurs sièges additionnés ne faisaient pas le compte. Ce gouvernement naît dans une absence pesante de cordialité ; vendredi dernier, lorsque les chefs de partis se sont mis d’accord, on n’a pas sablé le champagne, on a signé par fax.
Apres, les négociations ? Cela n’est rien de le dire ! En trois jours, Bibi et Bennett se sont rencontrés vingt fois. A la fin, ils ne supportaient plus la vue l’un de l’autre et des émissaires durent prendre le relais.
Ils vont devoir se ressaisir et apprendre à coopérer. Vite, le Président Barack Obama arrive dans moins de 48 heures, et aucune ligne directrice n’a été adoptée dans le dossier des implantations (le mot implantation ne figure pas dans l’accord de coalition), pas plus qu’au sujet d’une reprise possible du processus de paix (deux lignes, qui stipulent que Tsipi Livni dirigera les pourparlers et qu’elle sera flanquée – contrôlée ? – d’un membre de Yesh Atid).
Livni, détestée par Netanyahu, qui fut cependant la première à le rejoindre. Juste avant le retour aux affaires de Bibi, début 2009, suite à deux ans de négociations intensives avec les représentants de l’AP, ils avaient résolu plus de 90% des différends. Si la discussion reprend, acceptera-t-elle de renégocier les mêmes clauses, avec les mêmes partenaires, ou exigera-t-elle de reprendre les échanges uniquement sur les points demeurés en latence ?
Netanyahu a toujours affirmé qu’il fallait tout renégocier, sans jamais expliquer pourquoi. Et si Yaïr Lapid n’était pas d’accord de se livrer à un exercice de pure perte de temps ? Et si ses opinions divergeaient tant de celles de son ami Naftali Bennett, qu’ils ne parvenaient pas à se mettre d’accord ?
La nouvelle politique est un modèle de gouvernance encore jamais mis à l’épreuve. Question : est-il un modèle viable ? Réponse : nous allons très vite le savoir.
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