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A Sejnane, les salafistes imposent par la force le 1er émirat islamique en Tunisie

La transmission du savoir chez les salafistes

 

A Sejnane, les salafistes imposent par la force le 1er émirat islamique en Tunisie (info # 010701/12) [Analyse]

Par Karim El Tounsi à Tunis©Metula News Agency

 

Vainqueur des élections du 23 octobre, le parti islamiste Ennahda a vu tous les projecteurs de l’actualité braqués sur lui depuis des mois. Pourtant, un nouveau courant, surgi dans le sillon de la révolution, fait de plus en plus parler de lui : le salafisme. Le salafisme, mouvance très controversée de l’islam, suscitant à la fois fantasmes et terreur, se détache du paysage tunisien, semblant surgir d’une autre époque.

 

Malgré un marquage de territoire - nettement perceptible à travers leurs tuniques afghanes, leurs appels au djihad et leurs pratiques plutôt radicales - les salafistes continuent souvent à être confondus avec les activistes d’Ennahda, alors qu’ils persistent à évoluer en marge du mouvement islamiste.

 

Le salafisme n’est pas nouveau en Tunisie, mais a connu un regain d’importance grâce à la révolution. Selon certains chercheurs - tels qu’Alaya Allani, dans son ouvrage « La mouvance salafiste en Tunisie, les comportements et les catégories sociales » -, le salafisme tunisien serait né dans les années 80, d’une scission au sein de la Jamaâ Islamya [Le groupe islamique], qui fut également le noyau fondateur d’Ennahda.

 

Ce courant n’a cependant pas encore acquis la maturité nécessaire pour se voir considéré comme un véritable mouvement politique. Une mouvance plutôt « jeune », comparée à d’autres courants auxquels elle aime se comparer, à l’instar des Frères Musulmans d’Egypte, affichant près de 80 ans d’existence, ou encore d’Ennahda, vieux d’une trentaine d’années.

 

La majorité de ses membres a été formée dans les prisons ou sur le Net – plateforme de prédilection du recrutement salafiste -, ainsi que devant les chaînes satellitaires.

 

De l’intérieur des geôles qui se sont remplies, sous Ben Ali, de nombreux adeptes du djihadisme, suite à la loi anti-terrorisme de 2003, Seïf Allah Ibn Hussein, leader de la mouvance djihadiste en Tunisie, avait un rôle de guide spirituel pour les prisonniers qui ne bénéficiaient pas de son expérience du monde, ni de sa vision internationale du djihad.

 

Dans une interview consentie au journal tunisien Réalités, Ibn Hussein a expliqué que, « grâce à l’application de méthodes spéciales que nous avons développés de l’intérieur de nos cellules, j’ai réussi à enseigner et à former une multitude de « frères » qui n’avaient jamais quitté le pays, et qui ignoraient de nombreuses informations et données sur le mouvement salafiste djihadiste (…). J’avais la responsabilité de les éclairer sur moult considérations intellectuelles et religieuses ».

 

Mais loin des portraits altérés par la propagande, il importe de savoir, qu’aujourd’hui, les salafistes ne constituent pas, en Tunisie, un courant idéologique homogène et unifié. En fait, ces salafistes comptent une aile radicale et une autre, plus pacifiste ; on appelle ces deux factions : les salafistes djihadistes et les salafistes quiétistes.

 

Si les derniers mentionnés privilégient les prêches à l’appel à la révolte, la première branche, plus réactionnaire, s’inspire d’autres mouvements intégristes comme Al Qaeda, et invitent, de façon directe et claire, à réinstaurer l’Etat de khilafa (califat).

 

Depuis la révolution du 14 janvier, les salafistes ont redoublé de dynamisme en Tunisie. Ce phénomène peut être expliqué, en partie du moins, par l’amnistie générale ayant profité à plus de mille détenus adeptes de ce courant.

 

Les salafistes djihadistes revendiquent aujourd’hui leur droit à œuvrer pour la propagation de la al daâwa (l’appel à l’islam), mais affirment qu’ils « ne pourront pas contenir longtemps leur colère si quelqu’un portait atteinte à ce qui est sacré ».

 

Ils mettent en garde : « Même si le gouvernement de Hamadi Jebali (1er ministre tunisien et secrétaire général du parti islamiste Ennahda) désirait nous laisser travailler (pour la propagation de l’islam) et nous restituer nos droits, l’ambassade américaine ne le permettrait pas, car ce sont les Américains qui gouvernent le pays et tirent les ficelles dans le parti au pouvoir ».

 

Le leader du mouvement djihadiste en Tunisie appuie cette déclaration troublante, en affirmant que les chefs d’Ennahda multiplient les visites à l’ambassade américaine. (Ce que la Ména est en mesure de confirmer).

 

Les salafistes, toutes appartenances confondues, s’affairent alors à tisser leurs réseaux dans l’ombre d’Ennahda, jugé par nombre d’entre eux comme un « mouvement trop laxiste, ne faisant pas honneur à l’Islam ».

 

Un des groupes salafistes ayant abondamment bénéficié de la nouvelle ouverture dans le pays est Ansar al-Sharia (AST) [les Victorieux de la Sharia] ; il compte plus de 15 000 aficionados sur Facebook. Fondé fin avril, quelques mois après la chute de Ben Ali, ce groupe est dirigé par le chef spirituel Cheikh Abou Ayyad al-Tunisi. Il jouit également des conseils religieux du populaire cheikh salafiste tunisien al-Khatib al-Idrisi, emprisonné plusieurs années durant sous l’ancien régime.

 

Pétris dans leur interprétation radicale de l’islam, sans toutefois prôner explicitement l’usage de la violence, les salafistes tunisiens font preuve de plus en plus d’audace dans leurs pratiques. Ils expriment au grand jour leur volonté d’islamiser le pays, suscitant l’inquiétude de la société civile tunisienne.

 

La victoire des islamistes d’Ennahda aux législatives, en octobre dernier, a également créé un contexte propice à leur « visibilité ». Les salafistes ont désormais pignon sur rue, n'hésitant pas à multiplier les démonstrations de force : des attaques de maisons closes dans plusieurs villes en février, des heurts avec la police, à Tunis, en mars, la mise à sac d'une salle de cinéma dans la capitale, en juin, et des actes de violence matérielle contre la chaîne Nessma TV, début octobre...

 

Des dizaines de salafistes, d’autre part, bloquent, depuis des semaines, l'entrée de la faculté des lettres de la Mannouba à Tunis, après qu' « une sœur » se soit vue refuser l'accès à une salle d'examen, car elle portait le niqab. Les islamistes ont, par ailleurs, agressé le doyen de la faculté, qui a été contraint de suspendre les cours, depuis le 29 novembre 2011 jusqu’à ce jour.

 

Ces salafistes réclament trois droits qu’ils considèrent fondamentaux : que des étudiantes en niqab puissent accéder à la faculté, qu’il n’y ait plus de mixité entre les étudiants, et enfin, qu’un lieu de prière soit aménagé à l’intérieur de la faculté.

 

Ces revendications sont promulguées au nom de la liberté et des désormais fameux « acquis » de la révolution. La stratégie des fondamentalistes religieux en Tunisie consistant à utiliser la liberté d’expression, garantie pas ces « acquis », pour imposer une loi religieuse extrêmement rigide.

 

La discussion théologique sur le bienfondé de cette loi ne participe pas de notre propos. Ce qui nous importe est de faire savoir qu’il y a des individus, ne faisant pas partie de la faculté de la Mannouba, qui entendent imposer à son doyen, ainsi qu’au corps enseignant, des obligations étrangères aux lois de l’université tunisienne : à savoir la création d’un espace pour la prière et la séparation entre les sexes.

 

Le public tunisien est ainsi sommé, par des actions violentes, de retirer sa confiance dans les compétences intellectuelles et scientifiques d’un corps enseignant chevronné, face à l’exigence d’introduire, dans un établissement de l’enseignement public, sans aucun vote ou autre forme de légitimité démocratique, des lois n’ayant rien à voir avec les problèmes essentiels qui affligent les étudiants. Des problèmes attenant au niveau d’enseignement détérioré de la faculté, à cause d’un budget ministériel trop limité, ou la difficulté, pour les étudiants, d’accéder au savoir, à cause d’une administration bureaucratique anachronique.

 

Des incidents similaires ont eu lieu dernièrement à la faculté des lettres de Sousse (centre-Est du pays) et à l'université de Gabès (Sud), où les salafistes ont imposé la ségrégation des sexes dans le restaurant universitaire.

 

Des enseignantes universitaires ont également été agressées dans une autre institution de Tunis par des arsouilles qui entendaient les contraindre par la force à adopter le « hijab » (le voile). Une autre enseignante a été prise à partie afin de l'empêcher de distiller des cours de dessin, jugés contraires aux commandements de l'islam.

 

Mais, depuis quelques jours, les choses commencent à prendre un tournant plus dramatique encore.

 

En effet, dans le village de Sejnane, situé dans l’extrême nord tunisien (gouvernorat de Bizerte), des adeptes de l’islam radical, soucieux de faire de la Tunisie « un pur Etat islamique », ont supprimé, au nom de la « charia », plusieurs libertés fondamentales, faisant preuve d’une grande intolérance. Toutes les libertés individuelles préalablement en vigueur, ou presque, ont ainsi été révoquées. A Sejnane, les femmes sont désormais intégralement voilées, contraintes à porter la burka. La télévision et la musique sont strictement interdites. Les hommes sont obligés de porter la barbe et de faire la prière dans la mosquée du village…

 

Edicté par l’« Emir al-moominines » (le Prince des croyants), le programme de ces salafistes se réduit à la stricte application de la charia, la loi coranique. Ils entendent que tout le monde suive leur vision du monde et sanctionnent sévèrement ceux qui leur résistent.

 

Conséquemment, dans une requête urgente adressée au président de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme - et publiée par le quotidien Le Maghreb, dans sa livraison de jeudi dernier, 5 janvier -, les habitants de Sejnane demandent l’intervention de la société civile auprès du gouvernement et de l’armée nationale pour les protéger.

 

Les habitants ont dûment précisé que les salafistes qui s’emploient à les subjuguer sont armés, et qu’ils n’hésitent pas à recourir à la violence pour appliquer leurs lois, constituées par les « fatwa » de l’émir. Les auteurs de l’appel à l’aide précisent aussi que les terroristes qui les tourmentent ont édifié une prison sur des terres étatiques, dans laquelle ils emprisonnent les contrevenants à la nouvelle constitution. C’est la sentence imposée aux vendeurs et consommateurs d’alcool, aux vendeurs des cassettes et de CD musicaux. Ainsi qu’aux propriétaires de cafés…

 

Tout au long de la journée de jeudi, la rédaction et les confrères du Maghreb n’ont cessé de recevoir des menaces d’incendies, voire d’exécutions !

 

Il existe encore certains doutes, quant à l’évolution que connaîtra la mouvance salafiste en Tunisie, longtemps enfouie et persécutée. Une mouvance encore méandreuse et méconnue, mais qui pourrait fortement compromettre le passage de l’autoritarisme à la démocratie.

 

Le salafisme se présente comme un défi à la démocratie naissante en Tunisie, surtout si le parti islamiste au pouvoir hésite, comme c’est le cas, sur la position à adopter vis-à-vis de cette mouvance. La tâche incombe cependant au nouveau gouvernement de définir une position claire par rapport au salafisme et de la faire respecter.

 

La présence d’une personne comme Sadoc Chourou dans les rangs d'Ennahda complique les décisions de ce parti. Ancien chef du parti islamiste, Chourou entretient des liens étroits avec diverses branches salafistes. Il était ainsi présent au congrès des Victorieux de la charia, en mai dernier, et n'a pas hésité à réclamer l'application de la loi coranique à l'Assemblée constituante.

 

Sans attendre ces évolutions, de plus en plus de voix s'élèvent dans la société civile afin de dénoncer l'instrumentalisation des salafistes par Ennahda, utilisés pour détourner l’attention des citoyens de leurs vrais problèmes, à savoir la pauvreté et le chômage.

 

Des salafistes, que l’on soupçonne de préparer l’islamisation de la société tunisienne. Des soupçons qui illustrent la fracture périlleuse qui traverse désormais la société tunisienne. 

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