Smadj : « Le fil conducteur de tous mes albums, c’est l’oud.»
Magicien de l’oud, Smadj, de son vrai nom Jean-Pierre Smadja, marie depuis plus de 15 ans son instrument aux genres musicaux les plus inattendus : jazz, groove électronique, drum and bass, mélodies arabo-andalouses… Sur un nouvel album, Fuck The DJ, prévu pour la rentrée, l’oud passe derrière les platines pour faire danser la faune nocturne. Rencontre avec Smadj qui nous présente avec humour son processus de création, ses envies de se produire en Tunisie et pourquoi il Fuck the DJ.
Depuis votre découverte et apprentissage de l’oud, vous avez participé à de nombreux projets qui explorent l’instrument dans son entité. Ce renouvellement perpétuel est-il nécessaire dans la création musicale ?
Non, ce n’est pas nécessaire du tout ! Chaque artiste, musicien et compositeur jalonne sa carrière de nouvelles œuvres et créations, de ses propres choix. Certains préfèrent tracer un sillon profond en quête d’une chose en particulier, en essayant de la saisir d’une manière plus précise à chaque fois. C’est plus un travail de continuité. D’autres artistes vont toujours dans des directions nouvelles. Dans mon cas, je le fais presque à chaque album ! J’ai particulièrement soif de surprises. Je change d’équipe de musiciens et de direction musicale à quasiment chaque album, même si des leitmotivs jalonnent mon œuvre et définissent mes recherches et mes obsessions. J’apprécie de me surprendre moi-même et les gens qui m’écoutent, tout simplement parce que c’est un jeu! Et dans le jeu, il faut se mettre en danger et essayer d’explorer des territoires inconnus, de s’y consacrer corps et âmes et voir ce qu’il va se passer ! Là où je creuse, je définis plus précisément mon son, mon style, ma personnalité. C’est ce que l’on retrouve dans tous mes travaux. En tant que musicien, ce qui m’est très cher c’est quand les gens me reconnaissent et c’est ça qui est intéressant : définir son propre style pour que sa personnalité rayonne.
La pochette du nouvel album de Smadj, Fuck the DJ
Dans vos précédents projets, vous mariez des genres musicaux divers (jazz, groove, électro, mélodies traditionnelles…) à l’oud. Est-ce aussi le cas pour Fuck the DJ ?
Oui, bien sûr. Dans mon premier album, Equilibriste, j’ai commencé par faire des mélanges d’électro-acoustique et électronique. C’était un album aussi drum and bass que lounge car j’avais invité une quantité de musiciens de jazz. C’était aussi tourné vers les musiques du monde et traditionnelles, fusionnant électronique et acoustique. Après, j’ai fait un album super électro chill-out, New Deal, parce que j’étais sur la route. Ensuite, j’ai travaillé et tourné avec DuOud et j’ai fait un album beaucoup plus intimiste, Wild Serenade, alors qu’à la base je faisais beaucoup de musique électronique live. Mais, dans les styles de compositions, le choix de la musique modale à outrance, on reconnaissait le son de l’oud de Smadj. Ensuite, comme je passe la moitié de mon temps en Turquie, j’ai fait un album avec des virtuoses turcs, Burhan Öçal & The Trakya All Stars featuring Smadj et S.O.S. Après, j’ai fait un trio avec Erik Truffaz et Talvin Singh dans l'albumSelin où l’électronique s’est vraiment effacée au profit d’une osmose entre des personnes, avec un répertoire beaucoup plus mélodique. Le fil conducteur de mon œuvre, c’est l’oud. Mais, dans tous ces albums, il y a toujours trois ingrédients : des teintes électroniques, un goût pour les musiques fusionnelles, traditionnelles, et un souci d’improvisation, qui vient de mon côté jazz. Avec Fuck the DJ, on arrive à quelque chose de festif, pour le club, pour faire danser les gens et pour prendre le rôle du DJ que j’envoie paître dans mon titre !
Justement, expliquez-nous pourquoi avoir appelé votre nouvel album Fuck The DJ ?
Ca n’a rien à voir avec le fait que je n’aime pas les DJs, au contraire ! Je suis un clubbeur depuis très longtemps, j’adore danser et je fais des musiques électroniques pour faire danser. C’est quelque chose que j’ai eu envie d’utiliser comme une provocation. Pour dire « Regardez, nous aussi les musiciens, on est dans cette position de DJ, si on veut ! » Il ne faut pas oublier que les groupes de musique font danser la terre entière depuis la nuit des temps et qu’on n’a pas attendu les hommes aux platines pour faire danser les gens ! On est malheureusement dans une période où ça devient pyramidal, on veut de moins en moins de gens sur scène. On essaie de contraindre les groupes à se resserrer, à être moins nombreux sur scène et on emploie très volontiers les weekends des DJs plutôt que des groupes festifs dans les clubs, les salles et les festivals. Quand on en vient à avoir David Guetta comme étendard des musiques électroniques, alors qu’on est quand même un pays avec des musiciens électroniques forts que nos voisins anglais ou américains nous envient, je trouve qu’on redescend à quelque chose de très basique, de très marketing, de très commercial. C’est assez révoltant pour un musicien ! Quitte à être remplacé par des DJs, je préfère qu’ils soient bons ! (Rires) Ce titre c’est aussi prendre quelque chose de très provocateur qui remue un peu et qui sonne bien.
Vous êtes de nouveau accompagné sur scène par le percussionniste Nicolas Gorge et le saxophoniste Denis Guivarc’h. Que pouvez-vous nous dire de cette nouvelle collaboration ?
Nicolas Gorge aka Artkonik est un vieux compère, dont j’avais réalisé le premier album et plusieurs vinyles. C’est un percussionniste extraordinaire, un coloriste avec qui l’on peut faire plein de choses. Denis Guivarc’h est aussi un vieux collègue. On a joué pendant deux-trois ans ensemble, au moment de la tournée de mon premier album. Pour moi, c’est un des meilleurs altistes que je connaisse, plein de fougue, flamboyant. Il y a deux chanteurs qui m’accompagnent sur scène : un MC, Mo Laudi, et Simo, un chanteur marocain, que j’ai rencontré sur la route quand je jouais avec Natacha Atlas. J’ai récemment travaillé avec Simo, on a fait un échange sur quelques concerts et ça a été tellement extraordinaire qu’il fallait qu’on continue à travailler ensemble ! Je suis assez content de cette équipe. Toutes les identités sont très diverses. J’ai toujours un plaisir à travailler avec un plateau où les musiciens sont culturellement différents et se réunissent dans un nouveau projet. C’est très riche. C’est aussi une belle image de partager le micro avec un chanteur sud-africain, Mo Laudi, qui rappe avec un chanteur marocain, avec des Français sur scène, avec un juif tunisien aux commandes. C’est assez chouette. Ça prolonge mon engagement politique à travers la musique : montrer qu’en musique le rassemblement est clair et qu’il contamine l’audience très facilement.
Y a-t-il encore des joueurs d’oud qui parviennent à vous surprendre ?
Evidemment. Je viens de faire une résidence avec un jeune oudiste, Hosam Eliwat. Il est palestinien, a vécu en Jordanie et est à Paris pour jouer de l’oud et avoir des expériences musicales. Il est tout jeune, il a 20 ans. Il joue merveilleusement bien, il est super investi dans sa musique et, dès que je l’ai vu et entendu, je me suis dit qu’il fallait qu’on fasse un truc ensemble. Dans cet instrument, il y a différentes écoles et l’énorme majorité des oudistes a souvent un goût prononcé pour les répertoires « dans la veine de ». Le Trio Joubran, par exemple, fait des compositions musicales. Mais, dans leur manière de jouer de l’oud, ils ne sont pas aux antipodes des oudistes comme Mounir Bachiret entrelacent leurs compositions de références à ces maîtres qui ont jalonné l’histoire de cet instrument. Il n’y a pas de révolution. Quand DuOud a publié son album, c’était un peu la révolution dans le petit monde de l’oud. C’était de l’oud électrique, improvisé, sur de la musique électronique. Tout ça a fait un grand clash, apprécié ou non par nos pairs. Souvent à nos concerts, les gens nous regardaient avec des grands yeux et se disaient « C’est pas du oud, ce qu’ils font » mais lorsqu’ils restaient, ils se disaient «Ah, si, finalement c’est de l’oud ». Mohamed Abozekry est un autre jeune oudiste égyptien. Il excelle plus dans les compositions que dans la technique mais il a un son très personnel, il raconte des histoires. Ce sont des gens avec qui j’aime converser l’instrument à la main. Je suis très content que ça évolue. Il y a encore peu de temps, personne ne savait ce qu’était l’oud ! C’est un instrument rare, très ancien avec une culture très traditionnelle et quasi sacrée dans le monde arabe. Que des jeunes s’y mettent et développent un nouveau répertoire, c’est formidable ! Ça veut dire que ça vit, ça se renouvelle. Et c’est génial. Il n’y a pas besoin d’une révolution, nous l’avons déjà faite ! (Rires) On prolonge la recherche au niveau de l’électronique, l’utilisation, la mise en son. On n’est pas prêts d’avoir fini ! On confond encore l’oud avec les guitares, il faut que ça change et il y a encore beaucoup à faire !
Du côté de la Tunisie, maintenant que les musiciens ont obtenu une plus grande liberté, voyez-vous se former des projets artistiques intéressants ?
Oui. Il y a ceux qui se sont fait récemment connaître, comme Emel Mathlouthi. C’est une nouvelle voix. J’avais fait un hommage aux martyrs tunisiens à l’Elysée Montmartre il y a un peu plus d’un an, juste après la libération de la Tunisie et ça m’a connecté à quelques jeunes artistes tunisiens électroniques en devenir. Nawel Ben Kraiem est une autre voix féminine. C’est une scène qui bouge. Ca serait un plaisir pour moi d’aller jouer là-bas, juste pour aller voir ce qu’il s’y passe. J’ai beaucoup d’échos mais c’est une situation délicate, une situation politique post-révolution, donc il y a forcément encore une part de chaos, une part de reconstruction, des oppositions très fortes. Maintenant, je pense que la Tunisie a donné un sacré exemple dans le monde arabe. Et je suis très fier que ce soit le pays où je suis né qui l’ait fait. La Tunisie avait quand même un peu la réputation d’être un pays extrêmement soumis, sous le joug de son dictateur et de sa police. On avait coutume dans le Maghreb de se moquer des Tunisiens à cause de ça. Je pense que c’est surtout un pays avec un peuple sage et réfléchi et on le voit encore maintenant. C’est un pays qui tente de faire une métamorphose vers une démocratie qui soit la plus douce possible. Dès que ça sera possible d’aller jouer là-bas, j’irai !
Propos recueillis par Moriane Morellec
Et sur le web :
- Le site officiel du Festival NewBled
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