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Sur leurs gardes, les Juifs tunisiens célèbrent la Ghriba

Une femme participe au pèlerinage de la Ghriba, jeudi à Jerba. Selon la tradition, le pèlerin qui inscrit un souhait sur un œuf et brûle une bougie sera exaucé

 

 

Sur leurs gardes, les Juifs tunisiens célèbrent la Ghriba

 

 

Le pèlerinage sur l'île de Djerba attire beaucoup moins de monde.

Il s'agit de déposer un œuf dans une cavité sous une synagogue en plein cœur de l'île tunisienne de Djerba. L'endroit où aurait été retrouvée morte une jeune fille solitaire, il y a plus de 2 500 ans. Fertilité serait alors promise à celle qui aura inscrit son nom sur l'œuf et brûlé un cierge. «D'habitude, il faut attendre des heures avant de pouvoir déposer l'œuf dans le trou, explique Cristel. Cette année, il n'y a personne!»

Cristel arrive de Paris. À 31 ans, elle en est à son cinquième pèlerinage. Toujours à l'occasion de la fête de Lag Ba'omer. Un enfant était l'un de ses premiers vœux: aujourd'hui qu'il est né, elle revient prier pour sa santé et aussi pour retrouver un compagnon. «Chaque fois que j'ai demandé quelque chose ici, je l'ai eu!», dit-elle. La tradition est assez forte pour que même des musulmanes viennent à la synagogue de Djerba déposer leur œuf.

Mercredi, premier des deux jours de célébration du pèlerinage de la Ghriba («la solitaire», en arabe), environ 350 personnes sont venues prier, faire des vœux et des dons, partager des bricks, le beignet local, arrosés de boukha, l'alcool de figue tunisien. Retrouvailles, chants et youyous dans une synagogue aux mosaïques bleues et mendiantes belliqueuses se disputant l'aumône: 350 pèlerins réunis dans une ambiance de fête patronale quand, il y a deux ans encore, plus de 6 000 juifs venaient de France ou d'Israël.

Appels au meurtre

«Les gens ont peur, explique Laurence. C'est depuis l'arrivée des barbus au pouvoir.» Cette Parisienne ne fait pas de distinction entre les islamistes modérés d'Ennahda, sortis vainqueurs de la dernière élection, et les salafistes, musulmans radicaux dont certains ont appelé à «tuer les juifs» récemment à Tunis. Réaction molle des autorités. «Des actes isolés qui ne reflètent pas ce que pensent les Tunisiens», assurait mercredi une représentante du ministère des Affaires religieuses, venue assister au pèlerinage.

En 1985, un policier tuait à la Ghriba 5 personnes, dont 4 juifs. En 2002, un attentat attribué à al-Qaida qui y causait la mort de 21 pèlerins. Pourtant, les gens ont continué à s'y rendre. Jusqu'à l'an dernier, où l'édition fut annulée pour cause de «révolution du jasmin». «Le fait que nous ayons pu l'organiser cette année est déjà une réussite, estime René Trabelsi, tour-opérateur à Paris, fils du président de la synagogue. Le gouvernement tunisien a respecté ses engagements en assurant la sécurité. C'est un message positif pour notre communauté et pour le tourisme tunisien.»

Un hélicoptère survole la zone, des policiers contrôlent les allers et venues. Israël a appelé ses ressortissants à la plus grande prudence, estimant que des attentats pourraient avoir lieu sur l'île.

Une habitante «songe parfois à quitter le pays»

Il faut se rendre dans le quartier de Hara Kbira, à quelques kilomètres de la Ghriba, pour rencontrer les derniers Juifs tunisiens. Un millier environ y vivent sur les 1 500 encore dans le pays (contre 100 000 à l'indépendance en 1956). Des enfants sortent de l'école talmudique, kippa sur la tête, des écriteaux en hébreu souhaitent la bienvenue chez les vendeurs de keftas cachers. Hormis Odette, une habitante qui «songe parfois à quitter le pays», le discours dominant est confiant.

Mounira est une musulmane de 30 ans. Elle nous conduit voir le docteur juif Simon Saghroun. «M. Simon soigne toute ma famille, les hommes comme les femmes. Il y a des médecins musulmans ici, mais je préfère aller chez le docteur Simon. Il nous reçoit même les jours de shabbat.» «Cela fait 26 ans que je suis là et pas d'inquiétude, dit le médecin. Rien n'a changé depuis l'arrivée d'Ennahda.» Les appels au meurtre de juifs? «Cela nous a choqués, mais ces déclarations émanent d'un groupe isolé. Ennahda assure que les Juifs tunisiens sont des citoyens à part entière qui font partie de l'identité tunisienne.»

Non loin, un homme dans son échoppe de bijoutier confirme. La soixantaine, une barbe poivre et sel, Hayem Bittan est le grand rabbin de Tunisie. Peu disert, il assure que tous les entretiens qu'il a eus avec des ministres ou responsables musulmans ont conforté sa communauté, qui a été ravie de voir le président tunisien se rendre à la Ghriba, le 11 avril dernier. Moncef Marzouki y est venu commémorer les 10 ans de l'attentat. La première visite officielle d'un président depuis Habib Bourguiba.

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