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T’Ou (15e jour) be-Av, fête de l’Amour, par Avraham Bar-Shay

T’Ou (15e jour) be-Av, fête de l’Amour, par Avraham Bar-Shay

 

Celebration cette annee le vendredi 3 aout 2012

 

A l’occasion du 15 du mois de Av, la fête de l’Amour, je voudrai raconter cinq histoires Tunes, dont j’ai été témoin: un peu actif un peu passif. Je n’en ai jamais parlé ou écrit, et pour cela j'ai brodé certains détails qui, étant nécessaires pour combler des lacunes de mémoire, ne correspondraient peut être pas exactement aux faits vécus. Je m’en excuse et suis prêt à recevoir toute remarque de la part de ceux qui auraient reconnu nos héros. Par discrétion, j'ai modifié, à un certain point, des faits non significatifs, mais qui pouvaient identifier nos héros à qui j'ai donné de faux noms. Si les personnages se reconnaissaient quand même, qu'ils bénissent le destin qui leur a fait vivre de telles aventures et qu’ils soient surs qu’il y a quelqu’un, quelque part, qui se souvient d’eux avec beaucoup de bonheur.

Il y a plus d'un demi siècle, ils avaient défié les règles qui étaient de rigueur dans notre communauté et dans notre quartier. Leurs liens avaient attiré l'attention, l'admiration, l'animosité et la jalousie des autres.

 

A la H’ara de Tunis, même dans les années 50, il était difficile à un adolescent de sortir publiquement avec sa petite amie. La virginité était de rigueur et les frères jaloux veillaient sur l’honneur de la famille. Des couples d’amoureux se formaient, bien sur, mais on ne pouvait pas se fréquenter dans le voisinage. Généralement, on sortait en ‘bandes’, un groupe de 3 ou 4 couples avec de temps en temps des ‘invités’ ou des chaperons qui finissaient par être des complices. Les garçons et les filles quittaient séparément le quartier et se rejoignaient loin du ghetto, dans des endroits où on risquait moins de rencontrer un membre de la famille, surtout les filles.

 

 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’avoue sans fierté aucune que même nous les jeunes "instruits", étions un peu contaminés par ces préjugés, nous surveillions nos sœurs et ne les faisions jamais sortir avec nous. Quels hypocrites! Je connais des Tunes, qui vivent aujourd’hui à Paris ou en Israël, qui n’ont malheureusement pas beaucoup changé sur ce point.

 

 

Georgette

C’était une très belle adolescente de 16 ans. Elle habitait la banlieue (…) et étudiait à l'école de l'ORT des filles, à Bab-Saadoun. Je m’en souviens à cause des ennuis qu'elle nous avait causés, au milieu des années 50.

Appelons-la Georgette. Nos amies, l'avaient amenée, quelques fois, dans notre 'bande'. Elle avait des cheveux longs et clairs, elle s'habillait toujours en noir.

Un jour les copines nous disent, qu'elle commence à fréquenter un arabe qui l’attendait à la sortie de l’école et qu'il fallait la sortir de là. En tant que fiers descendants des Maccabim, nous avons imaginé un plan de 'sauvetage'. Nous avions demandé à un camarade (pas très proche, qui était beau garçon et dont la copine n’était pas dans la même école que nos amies) de faire la cour à Georgette et la 'délivrer de ce goy'. Son rôle serait de courte durée, le temps qu'elle l'oublie.

En quelques semaines, la fille cessa de fréquenter son amoureux et sortait avec notre ami. Mais la copine de celui-ci a vite dévoilé la combine. Malgré nos sollicitations, Roméo a cessé de jouer le jeu, revint à sa Juliette et Georgette fut de nouveau seule. Pour le couple ami ce fut réellement le happy-end. Ils sont mariés depuis près de 50 ans aujourd’hui.

La jeune fille abandonnée avait rejoint son copain et n’était plus retournée à l’école. Comme elle ne rentra pas à la maison, ses parents inquiets se sont plaints à la Police. L’enquête qui a commencé à l’école des filles mit les policiers sur nos traces, notre ami étant un inconnu pour la direction.

Un jour que nous étions en plein cours, nous fumes convoqués (les 3 amis) à la direction et là nous vîmes, à coté du Directeur, deux policiers qui étaient venus enquêter sur cette jeune fille disparue depuis 3 jours. Ce fut la première fois que nous vivions une aventure qui nous semblait sortir d'un livre Série-Noire. Nous étions comme au cinéma, avec Eddie Constantine. Nous avons raconté tout ce que nous savions. Par la suite notre ami fut convoqué et raconta sa version. Les policiers ont pu résoudre l’énigme et ont vite fait de retrouver le couple en fuite. Depuis, personne n’a voulu entendre parler de cette histoire, mais chez moi elle avait laissé une légère odeur de jasmin.

La fille retourna saine et sauve au bercail, mais ne revint plus à l’école. Plus tard nous avions appris que les parents bafoués la gardèrent à la maison. Ils lui rasèrent ses beaux cheveux et ne tardèrent pas à l'envoyer, par le premier bateau, vers Israël. J’espère qu’elle s’est vite remise et qu’elle n’a gardé que les beaux instants de son escapade.

Je n’en ai plus entendu parler depuis et si elle se reconnaît dans ces lignes, je voudrai lui dire merci pour ces souvenirs que je chéris et que je partage ici, pour la première fois.

 

 
 

 

 

 

 

 

 

 

Lisette

Dans cette histoire j’étais le voisin des héros et plus jeune qu’eux. Quoique vivant dans l’atmosphère assez stricte du ghetto, ils s’étaient conduits en vrais Roméo et Juliette. Ils avaient eu plus de chance que les amoureux de Shakespeare. Ils ont fini par surmonter tous les obstacles et tout s’était bien terminé.

 

Dans notre ‘h’ouma’, qui était en somme une impasse, tous vivaient comme dans une grande famille, une tribu. L'abondance des évènements et la densité des personnes tassées dans ce cul de sac, étaient écrasantes des fois. Les disputes suivaient les fêtes et les cris finissaient par des réconciliations, souvent plusieurs fois dans la même journée. Rares étaient les violences physiques et plus rares encore les interventions des hommes de la famille ou de la police.

Dans ce quartier pauvre il y avait même des ‘Classes’ qui d’ailleurs n’étaient reconnues que par ceux qui se considéraient dans une position plus élevée.

Tous les sujets étaient bons pour une bagarre, mais le plus souvent c’était autour d’un couple d'adolescents qui a été surpris en train de se chuchoter dans un coin mal éclairé. C’est toujours la maman de la fille qui crie après celle du garçon. Je me rappelle une fois la réponse de la dernière: « mon coq est libre, à vous de bien surveiller vos poules ».

Généralement, un autre voisin intervenait ou bien c’était le plus fort qui avait le dernier mot.

 

Ledit couple m’a laissé un bon souvenir. Ils étaient 2 très beaux jeunes gens, 4 ou 5 ans plus âgés que moi. Appelons les : Jojo et Lisette. Ils étaient tellement amoureux l’un de l’autre qu’ils avaient défié toutes les règles et les préjugés en cours. Surtout que la grande sœur de Lisette (orphelines) ne voyait pas en la famille de Jojo un bon parti. Avec le temps, l’amour fleurissait entre nos héros qui n’avaient pas cessé de se voir et les querelles entre les familles ne tarissaient pas un seul jour.

Voilà que l’histoire s'aggrave quand un bruit se répand (dans une impasse ça va vite) que la belle Lisette est enceinte. Quand la chose ne pouvait plus être cachée, le scandale éclata. La famille de la fille voulut l’étouffer au plus tôt par un mariage. Mais la famille du garçon fait maintenant des difficultés et pose ses conditions. Même notre Roméo, qui trouva là une occasion de consolider sa position du futur Male, se plaça dans le clan de sa famille Les discussions durèrent des mois et la triste demoiselle prenait du volume, jusqu’au jour où les familles se mirent d’accord sur la dote (une rançon que la famille de la fille devait verser pour la marier), qui était de rigueur et réglèrent toutes les conditions. Ils décidèrent de les marier. La date est fixée et les noces furent célébrées dans la cour de notre maison.

Je ne me rappelle pas grand chose de la cérémonie, mais ce dont je me souviens le plus c’est que quelques minutes après que le rabbin eut fini la bénédiction nuptiale (7 brakhot), la mariée, fatiguée par les événement, s'était affalée sur un divan. Elle eut des douleurs et accoucha un beau bébé. Une nuit de noces qui fut Blanche pour tout le monde.

Le rabbin revint, avec joie, 8 jours plus tard pour célébrer la circoncision du bébé qui n'oubliera sûrement pas la date de l'anniversaire du mariage de ses parents.

 

 
 



J’espère qu'ils vécurent tous heureux et eurent d’autres enfants par la suite.

 

 

Suzanne

Cette histoire montre comment l'amour a vaincu certaines superstitions qui étaient bien ancrées dans la vie juive au Ghetto de Tunis.

C'est un roman qui a fleuri entre 2 jeunes personnes. Ils étaient beaux comme des acteurs de romans-photos. Etant sur d'avoir décroché la lune et d'avoir choisi un bon parti qui réjouirait ses parents, il alla les prier d'aller demander la main de sa bien aimée. Il reçut de ses parents un refus catégorique, qu'il n'aurait jamais pu imaginer. Le père lui expliqua plus tard qu'il ne pourrait jamais épouser cette fille, pour la grave raison qu'elle portait le même prénom que sa mère et que cela portait malchance. Que feront leurs futurs enfants quand ils verront qu'ils ont une mère et une grand-mère de même nom? Craignant pour sa mère, le jeune homme accepta le verdict malgré tout son grand amour.

La belle ayant su cela ne crut pas ses oreilles et en quelques jours elle tomba malade, comme dans les livres. Elle ne voulait plus quitter le lit. C'est là qu'interviennent les frères de Suzanne et avec leurs amis ils décidèrent de donner une belle leçon au timide Roméo. Ils l'attrapèrent un soir dans un coin obscur et lui firent un passage à tabac qui lui avait rendu tout son courage. Il se mit à lutter contre les superstitions familiales, mais sans succès. Alors il joua à son tour la comédie du malade, il le fit si bien que la mère céda et le mariage fut célébré; à une condition, que la mariée ajoute un second prénom au premier, on l'appela alors H'aya-Suzanne, et tout le monde était content. Un ami qui les connaissait bien me raconta il y a quelques années qu'ils vécurent longtemps ensemble et avaient formé une grande famille.

 

 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tita

Dans notre impasse il y avait des Oukalas et des maisons privées qui étaient occupées par une seule famille. Il y avait l'électricité, l'eau courante et tout le confort.

Dans une de ces maisons, habitait Mme Tita, qui fut une danseuse de cabarets, très célèbre dans les années 30, à Tunis et même en France parait il. Tout le monde la connaissait par son nom de théâtre, que je ne répéterai pas ici. Elle était belle, mais les années lui avaient donné plus de volume. Je me rappelle d'elle comme d'une dame distinguée qui aidait tout le monde, quand elle le pouvait et ne se mêlait pas trop des affaires des voisins.

Par contre, les autres s'intéressaient beaucoup à sa vie et à son passé. Elle vivait avec un très brave monsieur et leurs 3 enfants, de grands jeunes gens. On disait qu'il était cocher, métier assez rare chez les juifs. Je n'ai jamais vu sa Caroussa puisqu'elle ne pouvait entrer dans notre impasse, il la gardait sûrement ailleurs.

Cette famille était un exemple d'entente mutuelle, et on ne pouvait rien leur reprocher. Malgré cela, on parlait souvent du fait que cette dame avait travaillé dans un cabaret et que le couple n'a jamais été marié par un rabbin.

Des voisins étaient intrigués par le fait qu'elle soit venue habiter cette impasse; et comment ce couple (fait de 2 mondes différents) puisse persévérer si longtemps sans qu il soit lié par la Ktouba. Ils se demandaient aussi, comment une femme qui avait fait un 'métier de débauche' soit aujourd'hui si respectable. Ces questions étaient teintées de naïveté, de jalousie et de fausse approbation. Tout allait contre leurs conventions. Certains même, interprétaient sa sagesse comme une conduite hautaine.

Pour mes amis et moi elle montrait une certaine sympathie, parce qu'ayant connu des gens instruits, elle appréciait le fait que nous continuions nos études après le Certificat, .

Merci de ta gentillesse Mme Tita, toi qui as vécu ton amour dans un entourage un peu différent.

 

 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bh'eyla

Elle était de la génération de nos parents. Elle fut mariée à un Cohen qui en a fait une jeune veuve en lui laissant un petit commerce qu'elle dirigeait avec succès. Elle était très religieuse et habitait la même maison que le cousin du défunt

Au bout d'un certain temps, voilà qu'un bruit court, (au ghetto aucun secret ne peut durer plus de quelques jours), que cette belle dame s'était remariée secrètement et avec ce cousin. En ces temps, la polygamie n'était pas interdite dans la communauté juive. Le bigame faisait une Mitsva en 'délivrant' la veuve de son cousin. Mais il faut rappeler une chose: le bigame était un Cohen, à qui il était interdit par la Thora d'épouser une veuve ou divorcée.

Pour tous et pour nous adolescents, il était difficile de réaliser qu'un rabbin ait pu bénir un couple pareil. Comment les 2 personnes en question, qui étaient très religieuses, aient pu accomplir cet acte insensé?

Le mystère fut vite dévoilé. Notre couple est arrivé à convaincre (preuves médicales à l'appui) que la Dulcinée était restée 'Sine Macula' (sans tache) durant toutes les années de son premier mariage, et que Mme Veuve était plutôt Mlle. De méchants bruits coururent sur les causes de sa virginité, je préfère ne point les détailler ici.

L'argument que ce lien donnerait au pauvre défunt un héritier qui serait de son sang avait calmé toutes les mauvaises langues.

La dame ne tarda pas à tomber enceinte et après la due période, elle accoucha à la déception de tout le monde, d'une jolie petite fille.

Cette fille aujourd'hui grand-mère ne sait peut être pas qu'elle doit son nom à une de nos camarades qui était sa voisine. Comme toutes les adolescentes, cette amie lisait des revues de roman-photo. L'héroïne de l'histoire qu'elle lisait en ce temps là l'avait touchée par sa sensibilité et par l'originalité de son nom. Elle le proposa à la nouvelle maman qui l'avait accepté.

L'héritier n'étant qu'une héritière, mit vite fin à l'union et la nouvelle mère divorcée fut très contente d'élever sa fille unique dans les meilleures conditions possibles. Elle vécut jusqu'à voir ses petits enfants mariés et tenir leurs bébés dans ses bras.

 

 

 

J'aurai pu raconter d'autres petites histoires d'amour locales, mais celles-ci sont parmi celles dont je me rappelle le mieux aujourd'hui. Je crois que c'est une chance d'avoir rencontré ces gens qui m'avaient un peu enrichi par leurs histoires. Peut être que les préjugés et les coutumes, un peu strictes, avaient contribué à transformer le banal en extraordinaire. Sans eux, ces épisodes n'auraient pas eu ces parfums et ces couleurs de romantisme et de poésie.

Peu m'est resté des amours plus 'sages', qui s'étaient estompés avec les années.

 

 

Avraham Bar Shay (Benattia)

absf@netvision.net.il

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