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Tunisie. Une bataille décisive face aux salafistes

 

Tunisie. Une bataille décisive face aux salafistes

 

 

 

 

La Faculté des lettres de Manouba est actuellement occupée par des salafistes qui veulent imposer le port du niqab dans les cours et ont agressé le doyen, l’historien Habib Kazdaghli… Les autorités tardent à intervenir.

Par Monia Halioui*

 

 

Rappel des faits… C’est à la fin octobre que la question du niqab fait son apparition à la Faculté des lettres, des arts et des humanités de Manouba (environs de Tunis), autour du refus d’une jeune étudiante de dévoiler son visage en cours.

Le 2 novembre, le doyen réunit les membres élus du conseil scientifique, représentants aussi bien les étudiants que les professeurs. Le règlement intérieur qui est alors adopté interdit le niqab dans les salles de cours et lors des examens, mais permet ainsi de le porter dans tous les autres espaces de la faculté.

L’université propose par ailleurs de mettre à disposition des étudiants, à une très courte distance de la faculté, un espace de prière décent, commun à tous les établissements universitaires de Manouba.

Bousculades et menaces verbales et physiques

Rien n’y fait, les évènements s’enchaînent et la situation se dégrade...

Le 28 novembre, un groupe d’une centaine de personnes – pour la plupart non inscrites à la faculté – interrompt bruyamment les cours et empêche la tenue des examens.

Le 29 novembre, les personnes étrangères à la faculté à qui l’on tente d’interdire l’entrée forcent le passage et bousculent le doyen. Les enseignants décident, alors, de protester contre la violence des attaques par une grève.

Le 6 décembre, les «sit-inneurs», déjà bien installés dans les bureaux de l’administration, décident cette fois-ci d’interdire au doyen l’accès à son bureau. Une fois de plus c’est l’option de la violence qui est choisie : bousculade, menace verbale et physique… Un enseignant sera même transporté à l’hôpital.

Personnel administratif et enseignants constatent la confiscation de leurs locaux et l’impossibilité pour eux de poursuivre leur mission quotidienne au service des étudiants.

Le conseil scientifique élargi décide de fermer la faculté et de demander, alors qu’il s’y était toujours refusé jusque là, l’intervention des forces de sécurité publique afin d’évacuer les intrus.

Le gouvernement sortant est resté sourd et indifférent à cet appel. Depuis le 6 décembre, les cours sont interrompus et les locaux administratifs occupés. Le doyen, le personnel administratif, les enseignants et les 8.000 étudiants attendent en vain.

Les salafistes saturent l’espace universitaire

Que l’on ne s’y trompe pas. Ce qui se joue ici n’est pas d’ordre religieux mais d’ordre politique.

Les salafistes qui occupent la faculté ont installé micros et enceintes pour asséner leurs vérités premières et leurs certitudes à grand renfort de décibels. Il n’y a de place ni pour le questionnement, ni pour le doute, encore moins pour l’humilité. Il n’y a pas même de place pour le silence, il faut saturer l’espace.

Les salafistes ne veulent pas savoir que les membres du conseil scientifique sont élus et que leurs décisions sont légitimes. Ils ne veulent pas entendre parler des problèmes de pédagogie, d’éthique, de sécurité ou tout simplement de pratique que pose le port du niqab en cours.

Les salafistes n’ont que faire des discours sur le contrat social qui lie une société à son enseignement ou sur le contrat moral qui fonde le rapport de respect et de confiance entre un enseignant et un étudiant. Ils vous répondront que les étudiantes sont «souillées» par le regard des professeurs.

Non, vraiment, ils ne connaissent pas le doute. Ils imposent leur loi par la force, sans état d’âme. Ils ont, il est vrai, un objectif à atteindre et un agenda à tenir.

Car l’enjeu est majeur et la bataille décisive. Ce qui est visé ici, c’est un changement pur et simple de l’enseignement et plus globalement un changement radical des rapports sociaux. Dorénavant il n’y aurait plus de professeur et d’élève, plus de médecin et de patient, plus de camarades, plus de collègues, plus de voisins… Il n’y aurait que des «mâles» et des «femelles» très tôt différenciés et séparés. Les hommes seraient d’éternels loups en rut et les femmes de perpétuelles mineures appétissantes. Toute la société devrait être réorganisée à travers ce prisme !

L’enseignement au sens large est l’institution la plus investie en Tunisie. Sur le plan symbolique comme sur le plan matériel. A la fois par l’Etat et par la société civile. A bien des égards, c’est notre plus grande richesse nationale. Les familles de tous horizons sont prêtes à sacrifier beaucoup pour l’éducation de leurs enfants, filles ou garçons.

Il s’agit donc de défendre cette institution et de préserver ce trésor. De rappeler que nos universités sont des sanctuaires du savoir auxquels l’écrasante majorité des Tunisiens tient passionnément. Il suffit pour s’en convaincre de se souvenir de la mobilisation des mères de famille en juin dernier, fermement décidées à faire réussir la session du baccalauréat en pleine tourmente révolutionnaire.

Le savoir se nourrit de questions, pas de dogmes. Le savoir se nourrit d’échanges, pas de ségrégations. Si l’on touche aux fondamentaux de notre institution éducative que sont la mixité, la neutralité, l’honnêteté et le respect c’est le socle de la société tunisienne qui se fissure. Aujourd’hui la faculté de Manouba, demain, à qui le tour ?

Le silence assourdissant des autorités

Très tôt, de nombreux partis politiques ainsi que l’Union générale des travailleurs tunisiens (Ugtt, centrale syndicale la plus importante du pays) manifestent leur inquiétude et leur solidarité.

Moncef Marzouki, militant des droits de l’homme et président du Congrès pour la République (Cpr), lors d’une communication téléphonique avec le doyen Habib Kazdaghli, le 30 novembre dernier, avait tenu à «(apporter son) total soutien au doyen et aux enseignants de la faculté de Manouba», avant d’ajouter : «les hordes sauvages qui occupent illégalement la faculté doivent savoir que la Tunisie est un pays de droit et qu’aucune personne ou groupe ne peuvent surseoir à ses règles ou à l’autonomie de l’université».

C’était, il est vrai, avant son accession à la présidence de la République. A peine un mois plus tard les choses ont légèrement changé. Le désormais président Moncef Marzouki, déjà en campagne et sans doute soucieux de ne pas froisser les amis de ses amis, fait une première œillade aux intéressés en assurant les femmes en niqab de sa bienveillante protection avant de déclarer au ‘‘Journal du Dimanche’’, le 18 décembre 2011 : «Cette histoire de niqab relève de la liberté individuelle de chacune. Qu’on en finisse et qu’on parle de sujets importants. Celui-ci est tout à fait marginal».

Cette déclaration signe-t-elle le désaveu du conseil scientifique pourtant composé de membres élus ? Signifie-t-elle que l’université n’est désormais plus libre de choisir son règlement intérieur ? Donne-t-elle une prime aux rapports de force et à l’intimidation ?

Il est permis de se poser ces questions au vu des atermoiements du nouvel exécutif tunisien.

Le ministre de l’Intérieur fait la sourde oreille

Le 26 décembre, Ali Laârayedh, tout nouveau ministre de l’Intérieur, semble donner le ton dans une déclaration saluée. Il promet une tolérance zéro pour les personnes qui «menacent la sécurité des citoyens» ou qui «bloquent les administrations».

Le lendemain, le doyen Habib Kazdaghli lui adresse un courrier dans lequel il appelle à faire évacuer les intrus (sur la trentaine d’occupants, 5 au plus sont inscrits à la faculté) afin de sécuriser les locaux, reprendre sereinement les cours et réorganiser les sessions d’examens. Il n’a toujours pas obtenu de réponse.

Les enseignants sont déterminés à sauver l’année universitaire et à préserver l’université des querelles partisanes, mais ne peuvent envisager une réouverture de la faculté dans le climat d’insécurité qui y règne. Les autorités quant à elles, ne semblent toujours pas pressées d’intervenir pour défendre l’université tunisienne, ni très soucieuses du sort des 8.000 étudiants de Manouba pris en otage par une infime minorité, décidement très ménagée.

* Ancienne enseignante à Ihec, pharmacienne. 

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