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Un Israélien au sommet du monde des échecs

Guelfand - Anand : la rencontre de deux des meilleurs cerveaux de l'humanité

 

Un Israélien au sommet du monde des échecs (info # 012905/12) [Analyse]

Par Sébastien Castellion © Metula News Agency

 

Depuis trois semaines, dans l'indifférence presque générale de la presse – y compris israélienne -, se tient à Moscou le championnat du monde d'échecs.

 

D'un côté, le champion en titre depuis 2007, Viswanathan Anand, 42 ans, issu de Chennai en Inde. Anand fut, il y a cinq ans, l'homme le plus âgé à conquérir le titre de champion du monde quand il battit Vladimir Kramnik, le tombeur de Kasparov – 32 ans à l'époque et champion du monde depuis 2001.

 

Anand est aussi la deuxième exception, depuis 1937 seulement, à la domination absolue de l'ancienne URSS sur le titre de champion du monde d'échecs. Mais il est le contraire absolu du seul autre non-soviétique à avoir remporté le titre en soixante-quinze ans, l'Américain Bobby Fischer.

 

Fischer était un joueur extraordinairement innovant : inégal et prenant parfois des risques insensés mais, au meilleur de sa forme, capable de combinaisons d'une profondeur infinie, qui donnent au spectateur le même sentiment de sublime qu'une cantate de Bach. Il reste le seul concurrent possible à Garry Kasparov pour le titre de meilleur joueur d'échecs de l'histoire humaine. Kasparov est plus complet et plus méthodique, tout en étant souvent aussi génial – mais il bénéficiait, contrairement à Fischer, de la capacité de s'entraîner avec un ordinateur.

 

A titre personnel, Fischer était, hélas, un grand malade : obsessionnel, paranoïaque, sujet à d'absurdes caprices de diva, incapable d'attachements durables ; il finit sa vie exilé, sale, obèse et agité par des délires antisémites.

 

Anand, au contraire, est affable, calme, équilibré et heureusement marié. Il ne fait pas de caprices et se concentre sur le jeu. Là, il ne cherche pas à épater la galerie par des coups spectaculaires, mais construit progressivement une position dominante à partir de laquelle il étrangle, lentement et méthodiquement, son adversaire. Le résultat n'est peut-être pas sublime ; mais il est indubitablement impressionnant.

 

Face à Anand, un autre quadragénaire : Boris Guelfand, né à Minsk en Biélorussie il y a 43 ans et numéro un israélien depuis son aliyah effectuée en 1998.

S'il gagnait, Guelfand battrait le record d'Anand pour devenir le plus vieux champion du monde de l'histoire. Il apporterait aussi une victoire de plus au remarquable système qui permettait, dans la défunte Union Soviétique, de repérer et d'entraîner les futurs champions.

 

Champion soviétique junior en 1985, champion d'Europe junior en 1987 et deuxième du championnat du monde junior (battu in extremis par le Français Joël Lautier) en 1988, Guelfand est un pur produit du système soviétique. Sa victoire, s'il gagne, devra être davantage portée au crédit d'un pays mort depuis plus de vingt ans qu'à celui de son pays actuel. Deux décennies après la disparition de l'URSS, quarante des cent meilleurs joueurs mondiaux – et douze des vingt premiers – sont encore issus des anciennes républiques soviétiques !

 

Quant au style de jeu de Guelfand – positionnel, très solide et sans erreurs -, il n'est pas très différent de celui d'Anand, quoique souvent moins subtil (mais plus robuste). C'est d'ailleurs ce style, permettant de réduire les risques, qui a dominé les championnats du monde depuis le retrait de Fischer.

 

Même Kasparov, pourtant capable d'originalité géniale, avait tendance à la réserver pour des compétitions de moindre importance, et à jouer, en championnat du monde, de manière moins risquée. Quant à Kramnik, ce n'est que depuis qu'il a perdu le titre que son style de jeu a quitté les glaces et est devenu plus flamboyant.

 

Ce matin 29 mai, les deux joueurs sont à égalité : après douze parties, chacun a gagné une manche et les dix autres se sont soldées par des parties nulles.

 

Pour les départager, dès demain, les joueurs seront d'abord départagés par quatre parties rapides. Si cela ne suffit pas, deux parties ultra-rapides (blitz). Et si l'on est toujours à égalité à ce moment-là, une partie dite "Armageddon" ou "mort subite" – un blitz dans lequel les Noirs ont une minute de moins pour jouer que les Blancs, mais sont en échange déclarés vainqueurs en cas de partie nulle – sera finalement jouée pour déclarer le champion.

 

Tout est donc possible à ce stade, même s'il faut reconnaître, quand on analyse leurs parties passées, qu'Anand est plus résistant que Guelfand dans les parties rapides et a donc probablement l'avantage.

 

Il y a une génération, les championnats du monde d'échecs attiraient peut-être une attention excessive : il est vrai qu'ils étaient presque toujours présentés comme un enjeu politique, avec quasiment à chaque tournois un concurrent favorisé par l'Union Soviétique et un autre par l'Occident.

 

Aujourd'hui, cependant, on constate l'excès inverse : l'intérêt de la presse pour la compétition a presque disparu.

 

Certes, le style de jeu, sans risque préféré par les joueurs, se prête peu aux analyses passionnées. Certes aussi, l'enjeu politique traditionnel a disparu ; mais la présence d'un Israélien dans la compétition ne devrait-elle pas susciter une autre forme d'intérêt, parmi les amis d'Israël comme parmi ses ennemis ?

 

Et, surtout, le championnat du monde d'échecs reste probablement l'épreuve intellectuelle la plus éprouvante, le plus impressionnant conflit cérébral de l'humanité. On ne peut donc que regretter l'apparente indifférence des Israéliens à la participation de l'un de leurs compatriotes au sommet de cette compétition.

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