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UN JOUR, AU HAMMAM DES LIONS....., par Nadine Tibi

"Poésie orientale" oeuvre de mon très cher Daniel Courdavault de Champmartin, aujourd'hui disparu

UN JOUR, AU HAMMAM DES LIONS.....

 

 

 

 

 

 

De sa démarche fière et généreuse, elle avançait d’un pas rapide vers le hammam , son « sanctuaire », les bras chargés de couffins , ses mules dorées claquant le sol, imitant le kabkab ; elle était suivie de sa tribu et de leur nombreuse marmaille ; La porte cloutée était gardée par deux gigantesques fauves à crinière , d’où son nom : Hammam des Lions.

En pénétrant dans le patio, une odeur de myrrhe et de benjoin pour éloigner les djenouns, ces mauvais esprits qui hantent parfois les maisons, flottait dans l’air ; elles se dirigèrent vers une alcôve pour se dévêtir sans aucune pudeur ; le hammam était l’antichambre de la foi , là ou l’on se purifie , digne héritier des mœurs romaines.

Une autre smalah de femmes drapées de blanc les rejoignirent en poussant des youyous de joie ; c’était encore un jeudi, cinquième jour béni et on allait préparer une jeune promise, gracieuse comme une gazelle .

Dans la moiteur de la première salle tiède, voûtée et carrelée , »bit el bered » quelques femmes avaient pris place. Elles s'acclimataient ainsi graduellement à la chaleur., attendant de pénétrer dans l’étuve finale suffocante, Bit esskhoun..

De l’eau bouillante jaillissait en cascade dans cette fosse qui semblait être vestige de la civilisation punique ; les femmes se prélassaient : les unes, belles jouvencelles aux seins à peine naissants et à la taille fine, les autres aux hanches larges , à la poitrine opulente et lourde , dignes d’une œuvre de Botero ainsi que de vieilles femmes aux seins "Klimtiens" déshabités , tristement desséchés ; des fillettes pubères, hurlaient à l’asphyxie , en proie à de terribles mamas qui versaient des seaux d’eau sans discontinuité sur elles ….

Un décor digne d’un film »Boughedirien » .

Parfois , on fermait les yeux sur un petit garçon de Halfaouine qui lui ,les ouvrait grands devant cet étal de « chair enveloppante et appétissante » de la gent féminine d’orient .

Aux cris d’enfants se mêlaient les éclats de rire des femmes ; elles étaient là pour se laver, se poncer, se préparer peut être pour une nuit d’amour, rendre leur peau glabre , leur chevelure brillante et douce .

Elles restaient assises sur les dalles de pierre , les cheveux enduits de tfâl, cet argile smectique parfumé, les jambes et autre partie intime de leur corps couvertes de « peinture bleue » dépilatoire dont l’odeur putride se mêlait aux savonnettes parfumée au jasmin ou à la rose « bébé Cadum » ;

au centre de la première salle se dressait une haute estrade au sol humide et brûlant où trônait une vivace « harza » aux seins nus, la taille prise dans une fouta bariolée , déjà luisante et parée de skasaks ..

Elle s’affairait sur les corps offerts avec le cliquetis de son bac à eau en cuivre doré , son gant en poil de chèvre , la hakèkè et son savon noir ; elle frottait jusqu’au sang pour extirper ces minuscules « nikitouches » de crasse ; les femmes se laissaient aller, les yeux mi clos, secouées par ces bras vigoureux dans un ballottement de « poitrail » d’avant en arrière : à quoi pensaient elles ?

Etait-ce un prélude à l’amour ? elles étaient pétries de fatigue, bercées par ses ablutions au pouvoir apaisant et se laissaient enfin aller à une douce langueur, le corps enduit de savon, glissant sur le marbre ...

La promise , les yeux baissés, pleurait doucement, troublée ; elle devait « jeter » sa honte de jeune fille pour la transformer en plaisir de femme, aidée par l’enseignement des aieules .Ne dit-on pas que l’étreinte d’amour soulage le corps et l’esprit , éloigne la mélancolie et contente le cœur ?

Les plus jeunes chantaient autour d’elle tandis qu’on la débarrassait de tous ces poils impurs.

La mère préparait alors une sorte de cataplasme de pâte de Henné, renforcée d’eau de cologne et d’ambre ; de tous les temps , c’était une plante magique, porteuse de « mazel» , de baraka et de toutes les bénédictions.

Ces deux tribus aimaient ces substances et ses croyances orientales , ces paroles qui protégeaient du mauvais oeil ; il esiste bien , cet œil d’envie et de concupiscence qui, jeté par des méchants , atteint le bon, le beau , l’heureux, l’intègre .

Hamsa ou rmiss ! Cinq dans tes yeux ! elles pointaient les cinq doigts de la main qui devaient percer le mauvais œil ……

De l’autre côté , dans le fond de la pièce, une autre jolie fiancée s’apprêtait à descendre dans la "tbila", bassin d’eau de pluie rituel, pour se laver de ses péchés .

C’était une « débauche » de cris joyeux, de chants, de parfums de musc et d’eau de cologne dans la chaleur ouatée de la vapeur d’eau et la vision imperceptible de corps en « puzzle » .

Enfin , les deux tribus se retrouvaient ensemble, dans ce salon de repos, ce café des nattes où les attendaient des corbeilles de satin rouge et blanc , remplies de dentelles, de bougies, d’eau de rose, de parfums, de fard à joues, de babouches ourlées de cygne rouge ,de feuilles de henné, de dragées du bonheur….

Suprême et humble récompense , des oranges sanguines juteuses pour rafraîchir les gosiers asséchés et les khalebs d’eau de puits offerts par la tenancière du hammam ; chacune rivalisait d’élégance avec leurs plus précieuses lingeries en ce lieu où seule, la nudité « vallonnée et capitonnée » était censée se faire remarquable et remarquée .

On continuait de fêter les promises en se rhabillant, entre les jets de fiole d’eau de rose et de fleur d’oranger et la dégustation mielleuse de mekrouds et cigares délicieux .

Les yeux de la belle Aïcha se faisaient pétillants , dessinés de khol , porteur de chance….

Enduis ton corps de civette et d’ambre chantaient les vieilles : ils avivent les sens !

Fais toi belle, jeune Esther, la tourterelle et à la première étoile, pares toi de ton diadème d’oranger et de ta plus jolie robe de soie rouge pour ne pas croiser les mauvais regards et va jusqu’à lui …

Il t’attend sous les tsagharits puissants des femmes qui excellent dans ces youyous que seuls les gens heureux reconnaissent !

 

NADINE TIBI

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