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Une partie d’échecs avec le Diable - 1ere partie

Un char gonflable de la FUSAG : plus vrai qu’un vrai

Une partie d’échecs avec le Diable (1ère de 2 parties)(info # 012009/13) [Analyse]

 

 

Par Stéphane Juffa ©Metula News Agency

                       

 

Le recours à la diversion stratégique et militaire a, de tout temps, constitué un moyen largement utilisé pour prendre l’avantage sur son ennemi. Il s’agit, en résumé, de faire croire à l’adversaire que l’on va réaliser certaines actions – que l’on n’a aucunement l’intention d’entreprendre – afin de dissimuler ce que l’on veut réellement accomplir.

 

Pour qu’une diversion réussisse, il faut, entre autres conditions, se mettre "dans la peau" de l’ennemi pour fabriquer un subterfuge qu’il sera enclin à prendre pour la réalité. Pour y parvenir, on doit comprendre à la fois sa mentalité, ses dogmes, ses habitudes, ses certitudes, et analyser le psychisme de ses dirigeants – identifier ce qu’ils ont envie de croire – afin de prévoir la manière dont ils réagiront à la mystification qu’on leur prépare.

 

Ensuite, on va construire, en se basant sur de fausses transmissions de données, des mouvements de troupes et de matériel imaginaires, des déclarations aux media, voire des communications directes avec l’ennemi, l’illusion que l’on s’apprête à faire ce que l’on désire qu’il croie que l’on va faire.

 

Parmi les diversions les plus réussies de l’histoire récente, on retiendra le succès des alliés à persuader les généraux d’Hitler que le Débarquement aurait lieu dans la Manche alors qu’il fut lancé en Normandie (Opération Overlord). Les Anglo-américains avaient, pour duper les Allemands, mis sur pied l’opération Fortitude, entre autre constituée par un groupe d’armée US fictif, le FUSAG (First United States Army Group), qui avait massé d’énormes moyens en face de Calais, tandis que l’on dissimulait, plus au Sud, dans les forêts, les hommes et le matériel qui allaient participer, le Jour-J, le 6 juin 44, au Débarquement.

 

En fait, le FUSAG ne disposait que de chars et d’avions gonflables et en carton-pâte, que les alliés alignèrent en ordre de bataille le long de la côte. Pour confondre les nazis, on nomma le général Patton à la tête de ce corps d’armée fictif, alors que les stratèges du Reich étaient convaincus qu’il n’y avait que lui qui pourrait mener à bien l’invasion du continent.

 

On établit de nombreux stratagèmes, comme celui consistant à libérer des prisonniers allemands en prenant soin de les véhiculer au milieu de (vrais) chars et de soldats de la FUSAG, que l’on avait prélevés sur d’autres contingents pendant quelques heures.

 

Fortitude fonctionna si bien, que Berlin ne transféra vers la Normandie aucun de ses 200 000 militaires qui restèrent casernés en Norvège pour rien, et que ses terribles Panzer demeurèrent stationnés loin des plages d’Utah, d’Omaha, de Juno, de Gold et de Sword. Trop loin pour monter une contre-attaque qui aurait probablement rejeté les alliés à la mer durant les premières heures de l’intervention, alors que les têtes de pont manquaient encore d’effectifs et d’armes lourdes.

 

Cette diversion d’anthologie fonctionna si bien – il faut dire qu’elle avait été préparée durant plus de trois ans -, que même après le Jour-J, les généraux nazis continuèrent plusieurs jours à croire que c’était Overlord qui était une diversion et que l’attaque principale n’avait pas encore débuté et qu’elle se déroulerait dans la Manche.

 

Autre diversion réussie, mais à mettre au crédit de l’autre camp cette fois-ci, les fausses négociations que l’ambassadeur du Japon à Washington, Kichisaburō Nomura, conduisit avec l’administration US dans le but d’ "éviter la guerre entre les deux pays". Dans le même temps, alors que l’Empire du soleil levant avait fait en sorte de persuader Franklin Roosevelt que la conclusion d’un accord négocié était imminente, le Japon lança son attaque surprise sur la flotte étasunienne du Pacifique, le 7 décembre 1941, tuant 2 500 Américains et coulant 19 bâtiments.

 

Le lendemain, le 8 décembre, Roosevelt adressa son fameux discours au Congrès, prononçant, au sujet des circonstances de cette agression, la fameuse phrase : "Hier, 7 décembre 1941, une date qui restera dans l'Histoire comme un jour d’infamie, les États-Unis ont été attaqués délibérément par les forces navales et aériennes de l'empire du Japon".          

 

Je pense que ces deux exemples sont nécessaires pour comprendre ce à quoi le 1er ministre israélien, Binyamin Netanyahu, a fait allusion hier (jeudi) lorsqu’il a accusé l’Iran "de tenter une diversion contre la communauté internationale pendant qu’il avance dans son programme nucléaire". Netanyahu d’ajouter : "Ne vous laissez pas avoir par les affirmations fallacieuses du président iranien !".

 

Il ne fait aucun doute que le 1er ministre a raison, à tout le moins au sujet de la manœuvre de la théocratie perse ; tous les analystes moyen-orientaux de la Ména sont persuadés que le "guide suprême" Ali Khamenei est en train de se livrer à l’une des plus extraordinaires tentatives de diversion jamais imaginées.

 

Khamenei et les stratèges de Téhéran, voyant qu’ils ne pourraient plus échapper très longtemps à une frappe militaire occidentale contre leur régime à moins de renoncer à leur projet de bombe atomique, ont orchestré des élections présidentielles de manière à se débarrasser d’Ahmadinejad et à le remplacer par une autre marionnette en la personne d’Hassan Rohani. Je ne reviendrai pas sur l’organisation de cette consultation électorale, mais je peux vous assurer qu’elle n’avait rien de démocratique.

 

Le clergé chiite à la tête de la "République" Islamique avait un urgent besoin de deux éléments qui manquaient dans son jeu afin d’éviter d’avoir à subir une cuisante défaite militaire, qui risquait, dans son sillage, de le déboulonner du pouvoir : la possibilité d’affirmer de façon crédible que l’on était disposé à abandonner le programme nucléaire, et un peu plus de temps pour le mener à son terme.

 

Or, en Occident, personne n’aurait cru Ahmadinejad, ni l’arrogant et très pointu Saëd Jalili, ex-patron du projet nucléaire et négociateur en chef avec les 5+1, pas plus que Khamenei lui-même, s’ils avaient, de but en blanc, déclaré s’être trompés durant quinze ans, parjurant tout ce qu’ils avaient affirmé en annonçant – sans raison apparente, dans l’antithèse du raisonnement qu’ils avaient soutenu  – qu’ils s’apprêtaient désormais à renoncer à la Bombe.

 

Il fallait, pour convaincre les Occidentaux qui ne demandaient pas mieux, un homme nouveau qui n’ait pas été préalablement lié à l’aventure nucléaire : Rohani. Que Khamenei a flanqué d’un nouveau directeur de l’Organisation Iranienne pour l’Energie Atomique, en remplacement de Jalili, le très avenant Ali Akhbar Salehi.

 

Et Rohani de jurer sur la chaîne NBC que "son administration ne développera jamais d’armes nucléaires", pendant que Salehi, à Vienne, à l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA), reprenait en écho : "Je suis venu ici livrer le message du nouveau président de notre pays pour renforcer et élargir la coopération actuelle avec l’AIEA afin de mettre un terme au dossier nucléaire iranien" ; on a presque envie d’ajouter "amen".

 

Et le "nouveau président" de se diriger vers Manhattan pour s’adresser mardi à l’Assemblée Générale de l’ONU et probablement rencontrer Barack Obama. On lui prête l’intention d’annoncer aux ambassadeurs onusiens et au président, qu’en guise de geste de bonne volonté, il va fermer l’usine souterraine d’enrichissement d’uranium de Fodow, dans l’espoir (ou à la condition ?) que la communauté internationale lève les plus dure des sanctions qui frappent l’Iran.

 

L’Iran qui vient par ailleurs de libérer douze prisonniers politiques, dont l’avocate des droits de l’homme Nasrin Sotoudeh, afin de faire montre de sa "nouvelle orientation".

 

L’Iran, qui n’est plus totalement sûr que la Shoah n’a jamais eu lieu, qui a abandonné la rhétorique haineuse d’Ahmadinejad pour la remplacer par un vocabulaire "d’interaction constructive". Dans les journaux de Téhéran, on n’hésite plus à critiquer vertement le précédent président, le qualifiant de "populiste" n’ayant pas protégé les "intérêts de l’Iran".

 

Rohani souhaite de bonnes fêtes de Rosh Hashana aux Israélites, échange des courriers amicaux avec le Président Obama et ne voit aucun obstacle à une rencontre avec lui lors de sa venue aux Etats-Unis. 

 

Téhéran réunit vraiment les conditions d’une diversion les unes après les autres - comme s’il suivait un manuel d’école militaire - destinées à construire, en se basant sur des déclarations faites aux media, des promesses et des engagements publics, voire des communications directes avec l’ennemi, l’illusion qu’il s’apprête à faire ce que l’Occident espère qu’il va faire. La "République" Islamique a même ralenti fortement son rythme d’enrichissement de l’uranium, ce qui l’éloigne de quelques mois supplémentaires – mais absolument pas critiques - du point de non-retour.

 

Et cela fonctionne à la perfection, du moins dans l’obtention des deux objectifs fixés par Khamenei à l’origine du "Plan Rohani" : il n’est plus question, pour le moment, d’une opération militaire contre l’Iran. On voit mal, en effet, Barack Obama agiter à nouveau le drapeau d’une intervention armée quelques jours après l’affront qu’il a subi sur le dossier syrien. Si le président US devait ne serait-ce que prononcer, ces jours, les mots "option militaire" à propos de l’Iran, il lui faudrait impérativement l’exercer au risque de perdre le peu qui lui reste de son pouvoir de dissuasion.

 

Les stratèges de la théocratie chiite ont même réussi à isoler Israël, qui passe actuellement pour un Etat extrémiste dans ses requêtes, belliciste et hermétique à l’idée d’une solution négociée. Personne ne comprendrait, à l’international, que les Hébreux attaquent la Perse en cette période, puisque son président annonce qu’il renonce au projet d’armement nucléaire et qu’il effectue des gestes tangibles pour montrer qu’il est sérieux dans ses intentions. Le "bon sens" n’exige-t-il pas qu’on lui laisse le temps de négocier avec les 5+1 un règlement définitif ?

 

Rohani a lui-même évoqué sur NBC qu’il fallait procéder par "des petits pas subtils pour un avenir très important".

 

Certes, mais les 5+1 ont déjà rencontré les Iraniens à dix reprises depuis le début 2010, et il ne reste plus de temps pour des "petits pas subtils". Les centrifuges ont certes ralenti, mais elles tournent toujours, relève-t-on dans l’entourage de Netanyahu avec à propos.

 

 

 

A suivre…

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