« Un secret du docteur Freud », d’Eliette Abécassis : passionnant!
Un secret ! N’allez pas imaginer une révélation bien croustillante du genre partie de jambes en l’air qui mettrait à mal l’image, la réputation du célèbre inventeur de la psychanalyse ! D’abord, c’est un roman, un roman certes très bien documenté, mais il n’en reste pas moins qu’il a le ton d’un roman et sa forme, avec des dialogues et mises en situation imaginées par l’auteur à partir des matériaux consultés.
Alors, donc, c’est une histoire, l’histoire du vieux psychanalyste, dans la Vienne d’après l’ Anschluss, quand les nazis complètement décomplexés répandent déjà la terreur parmi les juifs. Les nazis veulent éradiquer la psychanalyse, cette « véritable peste qui gagne chaque jour du terrain », créée par des juifs et pratiquée par eux. Freud est dans la ligne de mire et un sombre petit bonhomme aux lunettes rondes et aux cheveux clairs est chargé de prouver sa culpabilité pour l’arrêter et, si possible, le supprimer. Coupable de quoi ? En cherchant, on peut trouver et ce serait bien le diable si on ne trouvait pas des envois d’argent à l’étranger, crime passible de la peine de mort. Sauerwald, « doit tout liquider pour éradiquer la pensée freudienne » et le personnage est d’une complexité remarquable, qui reste sur ses positions idéologiques inacceptables mais pour qui, de proie, Freud va devenir un guide. Miracle de la psychanalyse !
Le vieux Freud est malade, sa mâchoire le fait souffrir et l’âge pèse de tout son poids. A ses côtés, sa femme Martha, un de ses fils, sa fille Anna, la bonne, l’ami chien. Tous l’exhortent à quitter Vienne pendant qu’il en est encore temps mais, comme Moïse, il pense que son devoir est de « sortir ses élèves de cette Autriche-Egypte et de sauver la psychanalyse en perdition dans les pays germaniques ». Et puis il est taraudé par l’obsession de retrouver une lettre qu’il écrivit à son ami Fliess, contenant un secret que jamais, jamais personne ne doit connaître. Marie Bonaparte, sa patiente et disciple, va tout mettre en œuvre, sa fortune, sa force de persuasion, ses relations, pour l’aider à quitter Vienne, l’esprit allégé de ce fardeau.
J’ai d’abord été gênée par le style d’Eliette Abécassis. Après mes récentes lectures sombres, à l’écriture torturée et dense, les phrases me paraissaient trop simples, factuelles. Et puis je me suis laissé prendre, fascinée par le personnage, l’évocation de la maison de Vienne, son bureau avec les milliers de livres et les statues, l’amitié intense et passionnée avec Fliess – ses consolations et encouragements, les échanges créateurs et créatifs, l’intimité des confidences inavouables. Et puis son travail, ses questionnements, le cheminement intellectuel, les dialogues avec la princesse. Et le suspense ! On a beau savoir que Freud a pu quitter l’Autriche, l’auteur nous mène cela comme un thriller, au bout duquel, oui, vous connaîtrez le secret.
Mais, surtout, avec sobriété, respect, humilité, Eliette Abécassis rend accessible l’homme, nous le montre dans son art et nous sommes troublés de voir à l’œuvre les mécanismes d’association d’idées, de mise à jour de traumatismes enfouis, d’interprétation. Ce livre m’a passionnée ! Passionnée.
Véronique Poirson
Un secret du docteur Freud, d’Eliette Abécassis (Flammarion, août 2014)
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