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Alfred Nakache, le nageur d'Auschwitz

 

Alfred Nakache, le nageur d'Auschwitz

 

 

 

À la Médiathèque Cabanis, une exposition retrace le destin du nageur Alfred Nakache, dont une piscine porte le nom à Toulouse. Sa déportation est notamment évoquée.

Quand un incendie survenait dans le camp d'Auschwitz, les gardes nazis y puisaient de l'eau. C'était une citerne, un bassin de rétention. L'eau y était sale, glaciale aussi. Alfred Nakache l'a bien connue. Pendant près d'un an, au cœur de la Seconde guerre mondiale, il va y vivre des séances d'humiliation. C'est cette période de sa vie que raconte l'exposition «Alfred Nakache, le nageur d'Auschwitz» qui se tient jusqu'au 23 septembre à la Médiathèque José-Cabanis de Toulouse.

À l'époque, Alfred Nakache, juif né à Constantine en Algérie en 1915, n'a pas encore 30 ans. Il est alors le grand champion de la natation française. Depuis le début des années 1930, il collectionne les titres. Mais, en mai 1940, les Allemands entrent en France. Quelques semaines après avoir battu un record du monde, en juillet 1941, le nageur est rattrapé par les premières mesures discriminatoires à l'égard des Juifs qui l'obligent à quitter son poste de professeur de gymnastique à Paris. À Toulouse, où il s'est réfugié, il continue de remporter des médailles. Or, en 1943, le commissariat aux sports de Vichy décide d'interdire la compétition aux athlètes juifs. Le pire est à venir.

Barbarie

Arrêté en décembre 1943, Alfred Nakache est déporté avec sa femme et sa fille à Auschwitz où ils arrivent en janvier 1944. Il ne sait pas alors qu'elles ont été gazées dès leur arrivée au camp. Lui a été reconnu par un officier SS. «L'espoir de les retrouver va certainement l'aider à survivre», explique Denis Baud, professeur d'histoire à Toulouse et biographe du nageur (1). Dans le camp, outre l'horreur quotidienne, Alfred Nakache, par son statut de champion, va être soumis à l'arbitraire des gardes nazis qui l'humilient en l'obligeant à nager dans une citerne. Un jour, un officier lance son couteau au fond du bassin et contraint Alfred Nakache à plonger pour le récupérer. L'eau est glacée. Il résiste, et défie même les gardes en se baignant à leur insu avec ses camarades. L'avancée de l'armée rouge met fin à ces mauvais traitements en janvier 1945. Déplacé à Buchenwald, il est libéré en avril.

Alfred Nakache rentre seul à Toulouse où son nom a été donné à la piscine municipale un an plutôt quand les Toulousains le croyaient mort. Aidé par les Dauphins du Toec et sa famille, il se reconstruit et retrouve son niveau d'athlète d'exception.

En août 1946, un an plus tard, il bat un record du monde de relais et participe aux Jeux olympiques de Londres en 1948. «La natation le sauve en quelque sorte», dit Denis Baud. Le 4 août 1983, Alfred Nakache a 77 ans. Il vit avec Marie, qu'il a épousée en secondes noces. Comme chaque jour, il va nager. Ce sera la dernière fois. L'enfant de Constantine, Toulousain d'adoption, meurt d'une crise cardiaque dans le port de Cerbère. L'eau ne l'aura jamais quitté.

(1) «Alfred Nakache, le nageur d'Auschwitz», Éditions Loubatières

«Mon oncle était l'idole de la famille»

Cela fait quelques semaines, cet été 1945, qu'Alfred Nakache est revenu des camps de la mort. Le nageur est arrivé à Toulouse au mois de mai. Il n'a pas revu sa femme, Paule, et sa fille, Annie, depuis que le convoi 66 les a déportés au camp d'Auschwitz le 23 janvier 1944. À sa descente du train, la famille a été séparée. «À son retour, il se rendait en gare Matabiau pour voir si elles étaient dans les convois qui entraient en gare. En vain, explique sa nièce, Yvette Benayoun-Nakache, conseillère municipale à Toulouse. Il apprendra plus tard par une lettre qu'elles ont été gazées à leur séparation au camp.» C'est sa mère qui lui a parlé de ces épisodes. Yvette Benayoun-Nakache est alors jeune, très jeune. À l'époque, la petite fille vit un temps dans la même maison que son oncle, dans le quartier Saint-Cyprien. La demeure est également occupée par Alban Minville, l'entraîneur d'Alfred Nakache et des nageurs du Toec. Yvette Benayoun-Nakache raconte les journées à la piscine, les soirées dans les guinguettes qui bordent la Garonne : «Une belle époque.» Elle se souvient de son oncle distribuant ses médailles aux plus jeunes lors des réunions de famille : «Il adorait les enfants. Il disait : ''Toi, tu seras champion de crawl… Toi, tu seras champion de papillon…'' C'était un athlète immense, très modeste.» Les succès, toutefois, n'effacent pas le chagrin, ni les souvenirs. Yvette Benayoun-Nakache se rappelle d'un homme «marqué dans sa chair par les camps». Alfred Nakache évoquait peu la détention, la disparition de son épouse et de sa fille. «Il quittait parfois la table lors des dîners. Plus personne ne parlait. On sentait qu'il se remémorait des moments douloureux», décrit l'élue. Annie, la fille d'Alfred Nakache, cette cousine disparue avant sa naissance, Yvette Benayoun-Nakache apprendra à la connaître grâce au témoignage de Simone Foulon. Cette résistante avait accueilli Annie : «Je l'ai rencontré par hasard lors des législatives de 1997. Quand elle a su qui j'étais, elle m'a dit qu'elle avait quelque chose pour moi. C'était l'ours en peluche d'Annie.» Yvette Benayoun-Nakache garde aujourd'hui un souvenir très ému de son oncle. «C'était un homme aux sourcils ombrageux, discret. Malgré ses silences, il possédait une grande joie de vivre. Avec son parcours, il était l'idole de la famille.» Cette reconnaissance subsiste. Lorsqu'elle évoque un souvenir récent avec son petit-fils, Yvette Benayoun-Nakache sourit ainsi de la phrase prononcée par le jeune garçon, séduite par sa candeur et son esprit frondeur : «Il est sorti de l'eau et m'a dit : ''J'ai nagé comme Nakache.'' Il était fier de lui.»

B.C.

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Je l'ai vu nager en papillon a Tunis peu après la guerre . Impressionant !

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