Asloum, ça tourne!
L’ancien petit prince des rings découvre le métier d’acteur dans Young Perez, l’histoire vraie d’un boxeur juif déporté à Auschwitz.
Une ambiance cabaret, Paris des années 1930, gros cigares et danseuses à plumes. Sur le plateau enfumé, le "cut" retentit à peine que Brahim Asloum se précipite déjà vers l’écran de contrôle : "Ça allait, les expressions?" Jacques Ouaniche, le réalisateur, le rassure : "Oui, sinon je te l’aurais dit." La veille, en extérieur et par – 8 °C, il l’avait trouvé "parfait" sur un long plan serré, où tout résidait dans la charge émotionnelle du regard.
En échange, il eut aussitôt droit à une accolade et une bise de son acteur principal. Oui, acteur principal… Chose singulière, l’ancien boxeur découvre le cinéma dans un premier rôle. Il s’en émerveille à chaque instant. Ouvre grands les yeux, distribue les sourires. Réclame parfois une prise supplémentaire, en disant à l’équipe : "Celle-là, elle est pour moi."
"Je me suis toujours considéré comme un artiste"
Les rings, qui l’ont sacré champion olympique (en 2000, à 21 ans) et du monde (2007-2009), semblent loin. Mais pas tant que ça, en réalité. Asloum incarne le rôle-titre de Young Perez, un Juif tunisien, champion du monde à 20 ans, coqueluche du Tout-Paris avant d’être déporté à Auschwitz en 1943 puis abattu durant les marches de la mort, qui suivirent l’évacuation progressive du camp. Façonné par Ouaniche, remarqué pour la série Maison close après avoir été producteur (quatre César pour L’Esquive en 2005), le film sortira en fin d’année. Ou début 2014 s’il est sélectionné pour le festival de Berlin.
Pour le néocomédien, l’expérience n’a rien d’une lubie. Le 7e art, il y pensait déjà quand il suait dans le noble art. "Mais je le gardais pour moi. Déjà que j’étais l’objet de critiques sur mon attitude… À ma manière, je me suis toujours considéré comme un artiste. Je tenais à soigner mon entrée sur le ring et ma sortie. Entre les deux, je me démerdais!"
Asloum s’était pourtant promis de ne jamais incarner un boxeur. C’est ainsi qu’il a refusé un rôle dans Truands (2007). Il a donc fait une exception, une seule. Parce que l’histoire de Victor Young Perez, méconnue, est trop forte. Et qu’elle rejoint, par petites touches, la sienne. Parce qu’il se souvient aussi de ses passages, à l’Insep, devant la plaque honorant son illustre prédécesseur des poids mouche. Ou encore de ce coup de fil d’un réalisateur, il y a douze ans, qui l’imaginait déjà dans le rôle.
La crainte des scènes dénudées
Malgré une forme de gémellité, le choix est risqué. Et le procès en crédibilité probable, surtout dans un milieu qui n’accorde pas facilement la carte de membre. "On verra ce qui se dira à la sortie. Pour l’instant, je ne me projette pas trop, je ne me mets pas de pression. Et puis je ne peux pas en avoir plus que sur le ring, quand la France me regardait boxer." Sur le plateau, on le sent couvé, on perçoit la bienveillance. Pas seulement parce qu’il débute, mais sans doute aussi parce qu’il est arrivé avec humilité, premier rôle ou pas. "Brahim a la force et la douceur de Perez, ce côté paradoxal d’homme-enfant, observe Steve Suissa, qui incarne Kid, le frère aîné. Sa légitimité sur le film, il l’a bien gagnée." Manager du champion, Patrick Bouchitey, qui se souvient d’escapades dans les salles de boxe avec Patrick Dewaere, acquiesce : "Il fallait le mettre en confiance, mais Brahim est assez nature. Dès le départ, dans l’oeil il était là."
Dans l’investissement physique aussi. Une scène dans laquelle il passe ses nerfs dans un miroir lui a valu trois points de suture à l’index. Quant aux séquences de combats, elles ne sont pas simulées, ou si peu. Une demande d’Asloum, qui a refusé d’être doublé. Résultat, il a encaissé "de bonnes rafales" et même vu "quelques étoiles" sur un enchaînement. "Le plus dur, c’est de savoir que tu vas en prendre une, mais que tu ne dois pas bouger pour autant." Il a aussi donné le change : l’un des boxeurscascadeurs qui lui faisait face a fini à l’hôpital, tympan percé ; un autre a mis quelques jours à retrouver la couleur de ses paupières. Ce sont les seules scènes dont Asloum, qui ne se trouvait "pas beau sur un ring", n’a pas souhaité visionner les rushes. Davy Sardou, qui joue le meilleur ami du héros, les a trouvées saisissantes de réalisme : "Brahim a tout coordonné avec précision : “Là, tu me donnes la serviette. Là, tu me masses ici…” Entre les cordes, c’était lui le patron."
Aujourd’hui, changement de décor. Direction un camp militaire bulgare pour les scènes de déportation. Changement d’apparence aussi. Le crâne va être rasé et le corps s’affiner un peu plus sous l’effet d’un nouveau régime : une pomme par jour. La gestion du poids, Asloum connaît, il ne s’en fait pas trop. Il avait davantage d’appréhension avant les deux scènes déshabillées, tournées en fin de semaine avec la divine Isabella Orsini, choisie pour le rôle de Mireille Balin, la Marlene Dietrich française dont s’était épris le boxeur. "C’était plus soft que je ne pensais, même si on s’est dévêtus un peu sauvagement. Cela m’a d’autant plus rassuré que j’avais promis à ma mère qu’il n’y aurait pas de scène d’amour!"
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