Bagdad : les Iraniens continuent de gagner du temps précieux pour leur bombe (info # 012405/12) [Analyse]
Par Jean Tsadik © Metula News Agency
Au second jour des entretiens de Bagdad entre les 5+1 et l’Iran, on ne discute plus que pour fixer la date et le lieu d’une nouvelle rencontre.
Pendant ce temps, les Perses multiplient, ce jeudi, les actes de défiance à l’encontre des grandes puissances. Par divers canaux, ils se déclarent ainsi "déçus par les propositions émises par les membres permanents du Conseil de Sécurité", expliquent que "ceux-ci se trompent s’ils essaient de faire pression sur Téhéran", et exigent que les pourparlers se penchent sur des sujets autres que leur programme nucléaire, notamment la situation en Syrie.
On apprend également que la théocratie chiite se livre aujourd’hui à des manœuvres militaires. Plus inquiétant encore : l’AIEA révèle que la junte des ayatollahs a installé de nouvelles centrifugeuses dans son usine souterraine de Fodow (Fordo), à proximité de la ville de Qom.
Hier, les 5+1 avaient soumis à leurs interlocuteurs une offre en cinq points, dont la proposition essentielle consistait en l’abandon par Téhéran de ses activités d’enrichissement de l’uranium à 20%.
Dans la soirée, une rencontre en tête-à-tête s’est déroulée entre Mme Ashton, le chef de la délégation des grandes puissances, et son homologue iranien, Saïd Jalili. Cette entrevue s’est prolongée tard dans la nuit, et elle a été qualifiée par un officiel américain de "très difficile".
Téhéran a laissé planer la possibilité, qu’en parallèle des négociations principales, il pourrait parvenir à un accord avec l’AIEA, en vue de permettre la visite de certains de ses sites par des inspecteurs de l’agence internationale.
Il semble que les Perses imaginaient – ou voulaient croire – que cette "mesure de bonne volonté" suffirait à lever certaines des sanctions qui leur sont imposées, et à obtenir que l’Union européenne fasse marche arrière au sujet de sa décision de boycotter totalement les importations de brut iranien à partir du 1er juillet de cette année.
Mais les diplomates occidentaux, s’adressant à la presse, ont été fermes sur ce point, mentionnant que "les sanctions ne seraient levées qu’en échange de progrès significatifs et réels".
Une autre alternative a également été discutée durant la journée de mercredi, baptisée "accord intermédiaire". Elle prévoyait d’autoriser la "République" islamique à enrichir de l’uranium jusqu’à 20%, contre l’engagement de cette dernière de cesser toute activité à Fodow (Fordo). Dans le cadre de cette initiative, les ayatollahs devaient également remettre cent kilos d’uranium enrichi à 20% qu’ils ont déjà produits.
En contrepartie, les Etats-Unis et l’UE auraient proposé de surseoir à la mise en application des nouvelles sanctions qu’ils ont déjà décidées.
Selon un diplomate US auquel nous avons parlé, si cet "accord intermédiaire" ne permettait pas de mettre un terme au projet nucléaire iranien, il aurait du moins gelé l’avancée de la "République" chiite vers la fabrication de la bombe. Il aurait permis, de plus, d’enclencher un processus synchronisé, mettant en parallèle les étapes visant à l’abandon dudit programme, et la levée graduelle des sanctions déjà en vigueur.
Le diplomate a terminé son compte-rendu sur un ton humoristique, déclarant que cet accord médian avait le double avantage d’aménager un délai supplémentaire pour l’option diplomatique, et d’empêcher les Israéliens d’entreprendre une opération militaire en solo.
Mais la délégation iranienne a également rejeté l’idée d’un tel accord. Depuis hier soir, elle s’emploie principalement à réclamer une date de reprise des pourparlers la plus tardive possible, alors que les 5+1 exigent qu’ils se déroulent au début du mois de juin prochain.
En Israël, on est très irrité par la tournure que prennent les discussions de Bagdad, et par la souplesse, que l’on juge excessive, à l’égard de la dictature chiite.
Pas plus tard que lundi dernier, le ministre hébreu de la Défense, Ehud Barak, avait réitéré sa demande à l’attention des USA, de la Grande-Bretagne, de la France et de l’Allemagne, afin que ceux-ci exigent à Bagdad une cessation totale des opérations d’enrichissement.
Barak avait précisé le point de vue de son gouvernement, affirmant que "l’enrichissement à 3,5% devait être stoppé, et que tout l’uranium, ou presque tout l’uranium déjà enrichi à 3,5% devait être sorti d’Iran, de manière à ce qu’après les discussions, l’Iran ne puisse pas continuer ses activités vers la poursuite de son objectif d’une arme atomique". Barak de compléter : "Si, au début, des exigences inférieures à celles-ci sont énoncées, la Chine et la Russie vont encore les diluer. Le résultat serait trop mince et n’atteindrait pas le but visé, laissant le problème totalement ouvert. Je crains que ceci ne reflète la situation", a conclu le ministre israélien de la Défense.
Sauf avancée surprise, imprévisible au vu de l’atmosphère dans laquelle se déroule actuellement la rencontre de Bagdad, elle se clôturera ce soir, sans avoir abouti à des résultats probants, avec, dans le meilleur des cas et, du point de vue des diplomates, un accord pour se revoir à une date admise par les deux parties.
Un épilogue de ce type ne satisferait pas Jérusalem, qui pourrait annoncer qu’elle ne se sent plus liée par la poursuite de l’option diplomatique. Les Hébreux pourraient, dès la semaine prochaine, raviver leurs préparatifs en vue d’une opération militaire, et décider de choisir seuls la manière qu’ils jugent appropriée pour résoudre la question du nucléaire iranien.
Ce point de vue est encouragé par plusieurs analyses récentes, dont la plus significative, à nos yeux, est celle qu’a réalisée notre confrère Anthony Cordesman, du Center for Strategic & International Studies, le Centre pour les Etudes Stratégiques et Internationales.
Les conclusions de l’analyse de Cordesman sont très similaires aux nôtres.
Elles s’articulent autour des deux derniers rapports sur l’Iran émis par l’AIEA et remis aux représentants des grandes puissances.
La lecture de ces documents volumineux – l’analyse de Cordesman l’est à peine moins – ne laisse planer aucun doute quant à la conviction qui anime les dirigeants cléricaux se trouvant à la tête de la "République" islamique.
D’autre part, ils mettent en relief les erreurs stratégiques des 5+1 lors des négociations avec l’Iran, ainsi que les difficultés qu’il y aurait à solutionner le problème par le recours aux armes.
Avec plusieurs confrères, nous formulons l’espoir que les délégués des membres du Conseil de Sécurité + l’Allemagne auront fait l’effort de prendre connaissance des derniers rapports de l’AIEA avant de rencontrer les Iraniens à Bagdad.
Les points saillants de l’analyse à laquelle nous aboutissons de concert peuvent être résumés comme suit :
1. Celui qui imagine que la "République" islamique n’est pas en train de poursuivre un programme de très grande envergure – et non un projet minimaliste – afin de se pourvoir de la bombe atomique, ainsi que des moyens de la véhiculer, se ment à lui-même.
L’Iran ne s’affaire pas uniquement à acquérir les capacités nécessaires à l’enrichissement de l’uranium à 90% et plus ; il s’attelle également à manufacturer tous les éléments d’une bombe, ainsi que les missiles nécessaires à son utilisation.
2. Le programme nucléaire perse est conçu de telle façon qu’il progresse sur plusieurs canaux en parallèle. Ainsi, les négociateurs des 5+1 se trompent, s’ils se contentent d’exiger la cessation des activités d’enrichissement. De par le schéma directeur de son programme, Téhéran peut se permettre d’accepter un gel, même assez prolongé, de l’enrichissement, sans pour autant ralentir de manière conséquente son programme global.
3. Comme nous en parlons depuis assez longtemps, l’Iran, grâce au concours de savants étrangers et à l’acquisition d’équipements en dépit de l’imposition des sanctions, est parvenu à produire des centrifugeuses de son cru de bonne qualité. Il est actuellement capable de disperser lesdites centrifugeuses dans une multitude de petits centres de production, ceci rendant le travail de supervision des inspecteurs de l’AIEA quasiment irréalisable.
4. L’Iran est parvenu à réaliser des progrès technologiques impressionnants. Il a notamment acquis la capacité de tester la plupart des composants d’une bombe atomique sans être obligé de procéder à des explosions d’essai.
5. Au vu de ce qui précède, les experts parviennent à la conclusion selon laquelle une opération militaire contre l’infrastructure nucléaire persane, ainsi que les sites de missiles, ne génèrerait que des dégâts relativement circonscrits, qui ne seraient pas de nature à annuler le projet nucléaire iranien. Pour parvenir à cette fin, il serait absolument indispensable de procéder, à la suite d’une attaque massive, à de nombreuses opérations militaires successives, si l’on veut s’assurer que le projet iranien ne puisse pas redémarrer.
6. Téhéran a parfaitement conscience de son retard militaire dans le domaine des armes conventionnelles, tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif. Les ayatollahs savent, d’autre part, qu’il leur sera impossible de rattraper leur retard dans ce domaine, car ils font face à la technologie de guerre dont disposent les Etats les plus industrialisés de la planète.
Pour jouer le rôle de puissance régionale que les dirigeants de la "République" islamique se sont fixé, ces derniers considèrent que l’option nucléaire constitue l’unique moyen de générer un équilibre des forces.
Dans la situation qui prédomine, les exigences présentées par les grandes puissances doivent intégrer tous les éléments de ces analyses les plus récentes. Des analyses qui donnent entièrement raison à la position exprimée lundi dernier par Ehud Barak.
Pour être efficaces, ces exigences doivent, de plus, impérativement s’accompagner de préparatifs militaires tangibles de la part des puissances occidentales, qui seules sont à-même de contraindre les Iraniens d’abandonner leur projet d’arme nucléaire.
L’espoir réside en ceci que, face à une menace militaire concertée et décisive, les mêmes analyses montrent que les ayatollahs pourraient faire preuve de lucidité, en préférant le maintien de leur régime à une aventure nucléaire ; un régime qui ne pourrait pas résister à une opération militaire bien conçue.
Jusqu’à maintenant, les décideurs de Téhéran ont toujours fait preuve d’un esprit logique, réservant à la propagande domestique et arabo-musulmane leurs convictions jusqu’au-boutistes. Les signaux envoyés par les 5+1 lors des deux dernières réunions de négociations avec les Iraniens ne vont pas dans la bonne direction, en cela qu’ils se concentrent uniquement sur le problème de l’enrichissement, d’une part, et qu’ils ne sont pas accompagnés d’une préparation à une action militaire, de l’autre.
Les Iraniens adaptent le degré de leur provocation à celui de la menace qu’ils perçoivent de la part de leurs interlocuteurs. Ils jaugent en permanence la détermination des grandes puissances occidentales avant chacune des décisions qu’ils prennent.
Les récentes analyses des experts du dossier iranien démontrent que la situation est autrement plus sérieuse que ce que l’on imaginait jusqu’à présent. Les semaines que grappillent Saïd Jalili et ses associés lors des négociations recèlent une signification décisive pour la capacité du régime islamiste de parvenir à ses fins. De fait, l’obtention de délais supplémentaires procède de l’objectif principal des négociateurs de Khamenei lors de ces négociations, le reste n’étant pratiquement que du remplissage.
Des réunions au plus haut niveau de l’establishment de la défense et de l’appareil politique israéliens sont prévues dès la clôture de la rencontre de Bagdad. Les spécialistes sont d’avis que Jérusalem prendra ses décisions en conséquence. De nombreux Etats occidentaux ont récemment pratiqué des simulations de crises basées sur l’éventualité d’une intervention israélienne. La seule menace tangible qui effraie effectivement les dirigeants de la junte chiite.
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