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Ces journalistes qui font trembler le pouvoir tunisien

 

Nawaat.org, ces journalistes qui font trembler le pouvoir tunisien

 

 

Les révélations faites sur la présence d’un appareil parallèle au ministère de l’Intérieur, impliquant de hauts dirigeants d’Ennahda, et visant à instaurer l’anarchie par les assassinats, ont choqué l’opinion publique tunisienne.

Tunis
De notre envoyé spécial

Si le pourrissement du climat politique du pays a atteint son paroxysme avec l’assassinat de Chokri Belaïd, au point de menacer sérieusement la stabilité d’Ennahda, réputé inébranlable, l’enquête publiée sur Nawaat.org, sous le titre «Une affaire de trafic d’armes présumée révèle un appareil parallèle lié à Ennahda», a rogné davantage sur le crédit du parti au pouvoir. Ramzi Bettayeb est le journaliste ayant révélé ce dossier grave soulignant des accointances entre des miliciens, des hommes d’affaires et des dirigeants islamistes. Nous le rencontrons sur la terrasse du café du théâtre, alerte et rongé par le stress, pour parler de ce blog qui n’en finit pas de secouer le cocotier tunisien et pas seulement depuis la révolution.

Nawaat existe en effet depuis 2004. Les médias classiques bâillonnés par le régime Ben Ali, trois jeunes décident de créer ce blog et offrir des espaces inespérés à l’opposition. Tous les ténors s’y expriment, y compris l’actuel président Moncef Marzouki et de nombreux dirigeants d’Ennahda. «Le blog a commencé dans un esprit qui certifiait l’illégitimité du régime. On publiait tout ce qui était interdit, tout ce qu’ont vécu les prisonniers politiques. On touchait aux questions de société, aux problèmes concernant l’établissement d’une vraie démocratie en Tunisie, et on dévoilait aussi la schizophrénie du système de Ben Ali», raconte Bettayeb.

La police répond en fermant l’accès local aux internautes tunisiens avec le fameux 404 not found. Mais le site est à l’abri étant hébergé à l’étranger, de nombreux Tunisiens réussissent à obtenir le proxy pour lire en secret le contenu interdit. Nawaat offre en prime des enquêtes sur les agissements de Ben Ali et la famille Trabelssi. Ainsi, les déplacements non officiels de l’avion présidentiel sont retracés grâce à des photos amateurs soigneusement collectées, révélant aux Tunisiens les extravagances du couple présidentiel payées avec l’argent du contribuable.

Mais c’est surtout la publication exclusive de câbles Wikileaks traduits en arabe et liés au régime qui vaudra au blog sa notoriété. Nawaat connaît sa gloire pendant la révolution en assurant une couverture édifiante et militante des évènements ; un travail qui lui vaudra d’ailleurs de nombreux prix internationaux du journalisme et du journalisme électronique.

L’après-Ben Ali permet à Nawaat de sortir de la clandestinité, mais la ligne éditoriale consacrée au journalisme citoyen est maintenue. «Après la révolution, Nawaat s’est réorganisée pour devenir une structure journalistique professionnelle, mais avec la même passion et le même engagement. On a fondé l’association Nawaat pour la promotion du journalisme citoyen, on a installé des clubs un peu partout dans la République et on s’est focalisé sur les enquêtes sur l’état actuel des choses», souligne encore Bettayeb.

Une indépendance jalousée

La rédaction s’agrandit, mais les moyens demeurent modestes, car l’organe tourne le dos à l’objectif commercial et s’interdit d’ouvrir ses pages à la publicité. «Nous ne voulons pas emmerder le lecteur et surtout pas passer sous le contrôle des annonceurs», explique Ramzi. C’est le prix à payer pour son indépendance éditoriale. Une indépendance pour laquelle les journalistes semblent si jaloux et pas du tout prêts à y renoncer.

D’ailleurs, l’attitude est notée sur la page d’accueil. «Conscient que la conquête de la liberté est un combat à mener au quotidien en totale indépendance, le blog de Nawaat est indépendant de toute association, organisation ou gouvernement et ne reçoit aucune subvention publique et n’est financé par aucun parti politique», lit-on dans la rubrique «Qui sommes-nous». Cette attitude impose le respect dans le paysage médiatique tunisien même si le doute est exprimé par certains au sujet de la crédibilité des enquêtes. Parmi les lecteurs, la fréquentation du site a augmenté exponentiellement depuis la révolution.

A nos questions liées à l’enquête qui fait beaucoup de bruit en Tunisie, Ramzi refuse tout commentaire prétextant des investigations en cours. Il est sûr cependant que les journalistes de Nawaat subissent d’énormes pressions après la publication de leur travail. D’ailleurs, en me quittant, Ramzi devait rencontrer, quelques tables plus loin, son avocat pour obtenir conseil sur la démarche à suivre.
 

Des milliers de manifestants à Tunis en hommage à Chokri Belaïd

 

Quelques milliers de personnes ont défilé hier à Tunis en scandant des slogans contre les islamistes au pouvoir pour marquer la fin d’un deuil de 40 jours après le meurtre de l’opposant Chokri Belaïd, un crime qui a exacerbé une crise politique et n’a pas été entièrement élucidé. Les manifestants se sont d’abord rassemblés, à la mi-journée, au cimetière du sud de Tunis où repose l’opposant tué par balle à bout portant le 6 février dernier par un groupuscule islamiste radical, selon les autorités.  

Des complices ont été arrêtés, mais le tueur est en fuite et le commanditaire n’a pas été identifié.
Le cortège, dans lequel se trouvaient la veuve de l’opposant, Besma Khalfaoui, et plusieurs dirigeants de partis d’opposition, s’est ensuite rendu sur l’avenue Habib Bourguiba, au centre-ville, reprenant des slogans hostiles au parti islamiste Ennahda et à son chef Rached Ghannouchi. De nombreux manifestants brandissaient des portraits du défunt barré de la phrase «Qui a tué Chokri Belaïd ? » et des drapeaux tunisiens. D’autres commémorations sont prévues aujourd’hui, notamment des manifestations culturelles et un lâché de ballons.  

Le meurtre du chef d’un petit parti de gauche a exacerbé une crise politique qui a culminé avec la démission du Premier ministre Hamadi Jebali faute d’avoir pu convaincre son parti Ennahda de mettre en place un gouvernement de technocrates pour diriger le pays jusqu’à l’adoption d’une Constitution et des élections.  Un nouveau gouvernement formé par l’islamiste Ali Laârayadh, ministre de l’Intérieur sortant, a pris ses fonctions finalement jeudi.

 

Nouri Nesrouche

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