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Et l’Egypte devint une dictature islamiste

Mohammed Morsi - Le doigt levé des dictateurs

 

Et l’Egypte devint une dictature islamiste (info # 021308/12) [Analyse]

Par Sami El Soudi ©Metula News Agency

 

Hier, le nouveau président égyptien, Mohammed Morsi, est intervenu sur les télévisions de son pays afin d’annoncer, entre autres, le limogeage des chefs de l’armée, du renseignement, et la prise en main de la nation selon les vues de l’organisation dont il est issu, les Frères Musulmans. Lors de cette allocution, il a également informé de l’annulation des décrets qui limitaient ses prérogatives au profit de la junte militaire qui avait succédé à Moubarak.

 

On peut lire et entendre les détails de ces mesures sur tous les media du delta du Nil et dans la presse internationale. Ce que je n’ai pas réussi à trouver dans les organes occidentaux, ce sont les "conditions" dans lesquelles ces mesures ont été rendues publiques, et l’emballage que Morsi leur a choisi. Or il me semble que ceux-ci sont au moins aussi significatifs que le contenu du discours lui-même.

 

Car le nouveau pharaon, élu dans les conditions douteuses que j’avais décrites après les avoir constatées de visu, a réalisé une intervention de dictateur islamiste. Il a tout simplement pris le pouvoir et s’est assuré que personne ne pourrait en déloger les Frères, aussi longtemps, du moins, que ces derniers conserveront la force.

 

Le doigt levé, menaçant les ennemis de l’islam, il a déclaré que l’Egypte serait rendue aux croyants. Pas un mot sur les minorités, notamment les Coptes chrétiens, qui comptent tout de même quelques douze millions d’adeptes en Egypte. D’ailleurs, un prélat avec lequel j’ai pu m’entretenir ce matin n’a rien tenté pour cacher les craintes qu’avait inspirées le discours de Morsi à toute sa communauté. Il m’a confié que la situation de ses frères "sera encore pire que ce qu’ils avaient connu sous Moubarak, ce qui n’était déjà pas enviable. Il y aura des conversions forcées", m’a prévenu le prêtre, "des confiscations de biens, de bétail et de droits, des destructions de lieux de culte, et j’ai peur pour nos religieuses et nos fidèles, particulièrement au sortir des offices", a conclu mon interlocuteur.

 

Aucune tentative d’apaisement non plus pour les millions de musulmans non pratiquants et laïcs n’est perceptible dans les propos du raïs. On a la très nette impression que tous ceux qui ne sont pas islamistes n’auront pas de place dans la nouvelle Egypte.

 

D’ailleurs, les observateurs auront d’abord remarqué que Morsi ne s’est pas exprimé depuis le palais présidentiel ni même depuis le parlement, mais d’une mosquée, située dans le Vatican sunnite que constitue l’"Université" Al-Azhar. Et cela, c’est tout un programme. Un programme qui signifie l’enterrement de première classe de l’Etat séculier, son remplacement illimité dans le temps par une dictature islamique et l’instauration d’une interprétation pure et dure de la charia, la loi coranique.

 

Ce que mes confrères occidentaux n’ont pas rapporté, c’est que Mohammed Morsi a littéralement ponctué toutes ses deux phrases par une citation religieuse ou une imprécation dirigée dans le même sens. Ses compatriotes ont assisté à la harangue d’un imam, non à l’expression d’un homme politique.

 

Certains attendaient un sursaut des militaires, particulièrement après l’écartement du ministre de la Défense et chef du Conseil suprême, le maréchal Tantawi, ainsi que du chef de l’état-major de l’armée, Sami Enan. Ils rêvaient, car privés du soutien des officiers subalternes et des hommes de troupe, ils ne pouvaient pas, ne serait-ce qu’envisager un coup d’Etat.

 

Ce qu’ils ont fait jusqu’à présent s’est borné à retarder la prise de pouvoir absolue par les Frères Musulmans. Ils n’avaient pas les moyens de faire d’avantage. Il y avait, au Caire, deux autorités parallèles qui se disputaient les rênes du pouvoir, mais cette direction bicéphale s’est terminée hier. On a même assisté à des manifestations de joie parmi les soldats.

 

L’objectif des officiers supérieurs, provenant tous du régime de Moubarak, consistera à survivre en évitant la répression qui se prépare et qui ne les épargnera pas. Ils espèrent – et ils me l’ont confié – en une réaction populaire des courants laïcs et musulmans modérés, alors que la situation économique ne cesse de se détériorer, et qu’elle va, très rapidement, s’avérer intenable pour des dizaines de millions de leurs compatriotes. "Au moment de la révolte, il faudra bien encadrer la population", m’a déclaré un général visiblement très abattu.

 

En fait, deux approches vont se confronter désormais ; celle des Frères, qui affirment, par la voix du chef de leur groupe parlementaire, Essam al-Arian, que l’on assiste actuellement à la "deuxième vague de la révolution", et celle de ceux qui l’ont faite – les Frères Musulmans n’avaient pas participé aux manifestations visant Hosni Moubarak -, qui parlent, ce matin, de la nécessité de réaliser une seconde révolution, contre les islamistes, cette fois.

 

Mais le raïs s’est empressé de déclarer qu’il "ne tolérerait pas de nouvelles manifestations qui gêneraient la circulation", or je n’ai personnellement jamais assisté à une manifestation qui n’a pas gêné la circulation…

 

Et Morsi a également frappé fort contre la liberté et la pluralité de la presse. Le procureur général, à sa botte, a ainsi intimé à Tawfiq Okasha, le propriétaire de la chaîne de télévision Al-Faraeen (Le Pharaon), ainsi qu’au rédacteur en chef du quotidien Al Dustur (La Constitution), Islam Afifi, leur interdiction de quitter le pays.

 

Ils se trouvent tous deux en attente de leur procès, accusés d’avoir insulté Morsi, d’avoir lancé des appels en vue de l’agresser physiquement, et d’avoir encouragé un putsch. Des imputations dénuées de fondement à ma connaissance.

 

Toujours est-il que ces manœuvres dissuasives fonctionnent à merveille, puisque je n’ai pas trouvé de media égyptien qui, ce lundi, critiquait le nouveau Guide Général, le titre attribué au chef des Frères Musulmans. Au contraire, toute la presse et les organes audiovisuels faisaient l’éloge de la performance de Morsi et des mesures qu’il a décrétées.

 

Mohammed Morsi se comporte comme Recep Erdogan en Turquie, mais sans attendre d’avoir porté suffisamment de banderilles dans la nuque des commandants de l’armée pour les affaiblir. Il les a, au contraire, pris de court ; il faut dire que l’Armée égyptienne ne dispose pas de la puissance et surtout de la discipline de son équivalence ottomane.

 

Il se conduit aussi comme le Hamas à Gaza, en 2007, lançant les mêmes ukases et écrasant de la même façon les voix discordantes. Il rappelle ainsi à ceux qui avaient tendance à l’oublier, que le Mouvement de la Résistance Islamique Palestinien est une pure émanation d’Al-Azhar.

 

Le 24 courant, il aura à passer son premier examen d’autocrate ; ses opposants – ils ne se sont pas spontanément dilués dans le canal de Suez – appellent à une protestation d’un million de personnes contre le Guide Général et ses méthodes, et en faveur de la pluralité. Il m’est d’avis qu’ils ne parviendront pas à la place Tahrir. Qui était "envahie", hier au soir, par quelques milliers d’islamistes fêtant bruyamment la conquête du pouvoir par leur champion.

 

Il y a encore une justice qu’il nous faut rendre ; celle de constater qu’Hosni Moubarak avait parfaitement raison lorsqu’il affirmait à ses contempteurs euro-américains, quand ceux-ci se plaignaient des atteintes relatives à la liberté d’expression en Egypte, que le seul choix dont ils disposaient pour son pays se limitait à lui ou aux islamistes.

 

Dans un monde arabe qui n’a rien à faire de la démocratie, force est de constater qu’il avait raison. Et que les mêmes contempteurs ont eu tort d’abandonner l’ancien raïs, et particulièrement Barack Obama, qui, très tôt, appelait au renversement de l’allié de toujours des Etats-Unis.

 

Car ce qui vient de se dérouler au Caire est cent fois pire pour les êtres humains que les exactions de Moubarak ; et pas uniquement pour les Egyptiens qui vont désormais apprendre à crever littéralement de faim, sous la violence infinie d’une dictature ne rendant de comptes qu’au ciel, dont elle est, de plus, le porte-parole exclusif.

 

Il y a des fautes qui se paient en termes de décennies de phases ténébreuses pour une région entière et ses habitants, en termes de guerres interminables et de souffrances inutiles. Lors il me semble bien que Mohammed Morsi a donné hier le coup d’envoi de l’une de ces ères. Au temps pour les naïfs occidentaux qui criaient à la victoire à l’occasion des émeutes et des viols collectifs de la place Tahrir !

 

Vous parlez d’un printemps ? Vous parlez d’une révolution ? Vous parlez de démocratie ! 

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