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Jérusalem et Riad : couper la tête de l’anaconda

Un Airbus saoudien à Tel-Aviv

Jérusalem et Riad : couper la tête de l’anaconda (info # 011105/15)[Analyse]

Par Jean Tsadik © MetulaNewsAgency

 

La semaine dernière l’arrivée d’un Airbus saoudien à l’aéroport de Tel-Aviv, photographié sous toutes ses coutures, a fait le buzz. C’était la première fois qu’un appareil du royaume des Ibn Saud atterrissait publiquement en Israël, un pays avec lequel Riad n’entretient pas de relations diplomatiques.

 

Beaucoup d’encre a coulé à propos de ce mini-évènement, et il convient de ne pas lui donner plus d’importance qu’il n’en a vraiment. La compagnie portugaise Hi Fly, qui louait cet appareil à la Saudi Arabian Airlines, le transporteur national de la monarchie, a d’ailleurs vu son contrat dénoncé par les Saoudiens. Ces derniers ont fait valoir que leurs inspecteurs aéronautiques n’auraient pu se rendre dans l’Etat hébreu pour superviser les travaux d’entretien, à cause, précisément, de l’absence de relations diplomatiques entre les deux pays.

 

Auparavant, ils avaient déclaré que l’information quant à la présence du gros porteur dans les ateliers de la société Bedek, pour y subir un entretien de routine, était fausse. Reste que l’A330 saoudien s’y trouve toujours et que les travaux ont débuté.

 

Il sera intéressant de suivre cette affaire pour voir si les ponts entre la Saudi et Hi Fly sont réellement coupés, ou si l’avion reprendra au contraire du service sous ses couleurs actuelles après être passé entre les mains des techniciens hébreux.

 

A notre avis, cette péripétie n’est pas anodine et elle témoigne du processus de rapprochement indéniable entre Jérusalem et Riad ; Hi Fly, dont nous connaissons la bonne réputation dans le monde aéronautique, n’aurait pas hypothéqué ses contrats valant plusieurs dizaines de millions de dollars sans avoir reçu le OK de ses clients avant d’envoyer l’A330 se refaire une beauté en Terre Sainte.

 

Ce petit avatar participe à démontrer tout le bon sens qui existe pour le Roi Salman bin Abdulaziz Al-Saud, qui a succédé en janvier dernier à son demi-frère Abdallah décédé, d’avoir recours au savoir-faire de ses voisins Hébreux, plutôt que de faire systématiquement appel aux fournisseurs de services européens ou américains.

 

Cela est vrai pour l’entretien des appareils et des équipements civils, mais également de tout leur arsenal militaire, allant des chasseurs-bombardiers aux chars d’assaut. On parle ici d’un marché de plusieurs milliards de dollars annuels, qui apporterait des avantages pécuniaires aux deux parties.

 

Cette évaluation pourrait également englober des projets de mises-à-niveau (upgrade) de matériels existants, dans lesquels les Israéliens sont des experts renommés, et, bien évidemment, l’acquisition d’équipements fabriqués localement, à commencer par les drones.

 

D’ailleurs, il n’est plus nécessaire de dissimuler qu’une collaboration de cette sorte existe, et que le royaume a modifié ses lois en 2006 afin de permettre de se procurer légalement des objets fabriqués en Israël.

 

Pour saisir la taille de ce marché potentiel, il n’est que de rappeler que la monarchie saoudienne est l’Etat, au monde, qui dépense la plus grande proportion de son budget à l’achat d’armes, et que cela en fait le second acheteur à l’échelle planétaire en valeur absolue. Disposant des moyens que lui confère son rang de second producteur d’or noir, et détenteur des deuxièmes réserves mondiales, vous parlez d’un pouvoir d’achat.

 

On sait à la fois beaucoup et peu de choses quant à l’étendue réelle de la coopération entre les deux entités ; n’ayant pas pour habitude de propager des rumeurs, pas plus que de compliquer des transactions que nous considérons stratégiquement précieuses dans l’intérêt de la région, nous devons nous exprimer avec prudence.

 

En commençant par rappeler l’évocation sibylline qu’avait effectuée le 1er ministre Netanyahu devant le Congrès américain, au sujet des intérêts communs et des convergences de vues entre le pays qu’il dirige et des Etats arabes de la région.

 

Lui qui a coutume d’en rajouter pour faire le show, s’est montré particulièrement hermétique sur le sujet. C’est ce que l’on peut appeler un understatement, un euphémisme, en français.

 

On sait, par exemple, que des drones arborant (ou non) l’étoile de David sont régulièrement signalés en mer Rouge. On leur attribue régulièrement des faits d’armes, le plus souvent au Soudan ; le 6 mai dernier, ils auraient anéanti une usine dans la région d’Omdurman (à proximité immédiate de la capitale Khartoum), à l’aide de deux missiles. L’installation détruite abritait vraisemblablement une chaîne d’assemblage de fusées iraniennes qui œuvrait sous la direction de Pasdarans.

 

Le plus souvent, ces engins sans pilotes s’en prennent à des convois d’armements sophistiqués que les mêmes perses tentent d’acheminer par mer et par terre pour les livrer à leurs protégés du Hamas à Gaza et du Hezbollah au Liban.

 

Or ces deux organisations terroristes et leur mentor iranien commun constituent les pires ennemis des Saoudiens ; ceux avec lesquels ils sont précisément en guerre au Yémen.

 

Une simple lecture de la carte permet de s’apercevoir que Port Soudan n’est éloigné que de 300 kilomètres de Djeddah et de la Mecque, et de pas plus de 850 km de Sanaa, au Yémen, où ont lieu une grande partie des bombardements réalisés par les aviations saoudienne et arabes.

 

Des rapports émanant de sources fiables font état de survols fréquents de drones non identifiés sur les lieux des frappes, avant et après qu’elles aient lieu. Cela suit un mode opératoire pratiquement identique à celui que l’on a pu observer l’été dernier dans le ciel de… Gaza.

 

Affirmons-le sans tourner autour du pot : nous serions terriblement étonnés si ces aéronefs n’appartenaient pas au Khe’l Avir, et ne fournissaient pas des informations opérationnelles aux aviations arabes participant à l’opération Tempête décisive. Il est à noter que les avions sans pilotes fournissent des données en temps réel plus utiles que celles des satellites ; dans les armées U.S et dans Tsahal, ils possèdent l’avantage inégalé de remplir simultanément deux missions complémentaires : l’observation et l’interventioncontre des objectifs au sol.

 

Nous serions également surpris d’apprendre que les pilotes saoudiens et ceux d’autres forces aériennes participant au conflit ne soient pas encadrés par des spécialistes du Khe’l Avir. Plusieurs raisons plaident en ce sens : 1. Une grande similitude opérationnelle entre l’Armée de l’air israélienne et ce que l’on peut apprendre de la manière de procéder des pilotes saoudiens, malgré le peu d’information qui nous parviennent ; 2. Des résultats d’une précision satisfaisante de la part d’équipages n’ayant aucune expérience du combat ; or il est pratiquement impossible de réaliser ce genre d’exploits dans l’improvisation. 3. Un nombre réduit de bavures, les tirs se concentrant sur les objectifs sélectionnés, en épargnant relativement les acteurs collatéraux sur les scènes d’interventions. 4. La prudence du régime saoudien, peu enclin à entreprendre des missions aventureuses sans en maîtriser les conséquences ; ledit régime a pris l’habitude de toujours s’entourer des meilleurs experts étrangers dans toutes ses entreprises sophistiquées ; 5. Riad ne fait pas confiance aux Américains depuis le rapprochement amorcé entre Washington et Téhéran ; dans le même temps, le roi et son entourage sont convaincus de l’existence d’un intérêt commun supérieur avec Jérusalem sur la nécessité absolue de contenir la poussée de la "République" Islamique. Ils ont en outre observé que les Israéliens ne constituaient aucune menace pour leur régime, et qu’ils ne leur avaient jamais posé le moindre problème.

 

En plus de ce qui précède, les lecteurs de la Ména sont au courant, depuis plusieurs années désormais, grâce aux témoignages de notre correspondant permanent en Jordanie, Fayçal H, de l’existence de contacts réguliers entre responsables israéliens et saoudiens.

 

Or nous sommes en mesure d’affirmer que ces rencontres se sont multipliées et ont gagné en importance ces derniers temps. On peut parler de coordination stratégique face à l’ennemi commun ; on sait, par exemple, qu’en cas d’attaque des Hébreux contre l’infrastructure nucléaire perse, les Saoudiens leur ouvriraient leur espace aérien et leur offriraient un appréciable soutien logistique.

 

Aux dernières nouvelles en provenance de Fayçal H, on devrait parler d’un pacte d’alliance, qui prévoirait une intervention coordonnée contre les ayatollahs au cas où l’accord préparé par les 5+1 ne parviendrait pas à incurver de manière satisfaisante la progression de la théocratie chiite vers la bombe atomique.

 

D’ailleurs, si un traité était effectivement signé entre Téhéran et les grandes puissances, il est prévu que la coopération régionale entre les grands Etats sunnites et Israël se pérennise et prenne ses distances à l’égard de Washington, dont le rôle se verrait encore réduit.

 

Des media américains ont également évoqué un financement des activités de Binyamin Netanyahu par les Saoudiens, avançant même le chiffre de seize milliards de dollars. Ces sommes seraient destinées à renforcer les capacités de surveillance et d’intervention, de même qu’à participer au développement d’armements dans l’optique d’une confrontation avec la junte cléricale perse.

 

D’autres observateurs d’outre-Atlantique avancent aussi que Riad aurait participé au financement de la campagne électorale du Likoud, jugeant que l’opposition israélienne se montrerait trop molle et inefficace face à la menace commune.

 

Nous, d’avouer honnêtement que nous ne possédons aucun début de preuve concernant ces allégations, mais que, dans l’atmosphère qui prévaut désormais entre les deux pays, l’hypothèse qu’elles soient réelles – totalement ou partiellement - n’est pas sensationnelle.

 

A Métula, nous avons également enregistré avec attention l’assertion lancée sur sa page Facebook par le Secrétaire général du parti yéménite al-Haq, Hassan Zayd, selon laquelle des chasseurs-bombardiers israéliens auraient directement participé, le 26 mars dernier, pour la première fois, à des attaques au sol au Yémen au côté des aviations arabes.

 

Cette déclaration est difficile à vérifier, mais on ne lui accorde ici que peu de crédit : il n’est en effet pas dans la tradition de Tsahal de s’impliquer dans des conflits qui ne concernent pas directement Israël ; de plus, le risque humain et politique de voir l’un de nos pilotes tomber entre les mains des Houthi, des miliciens du Hezbollah, des partisans de l’ex-président Saleh, de militaires iraniens, voire de combattants liés à al-Qaeda, ne nous paraît pas gérable.

 

Au-delà des nombreuses rumeurs, des informations non-publiables et de celles qui sont invérifiables, il est extrêmement probable que des conseillers israéliens soient actuellement à pied d’œuvre en Arabie saoudite. L’ampleur prise par la coordination stratégique entre Riad et Jérusalem est telle, que le gouvernement saoudien ne prend même plus la peine de nier que des rencontres ont lieu.

 

Dans l’entourage de Binyamin Netanyahu, on voudrait désormais que ces relations s’officialisent un peu, et que le royaume des Ibn Saoud cesse son activité diplomatique hostile à Israël dans les instances internationales et notamment à l’ONU.

 

Le nouveau roi, Salman bin Abdulaziz Al-Saud, que l’on dit modéré, sérieux, non-corrompu, travailleur, et qui fut le détenteur du portefeuille de la Défense avant de s’asseoir sur le trône, ne serait pas opposé à une reconnaissance politique d’Israël ; il la conditionnerait toutefois à des progrès dans le dossier palestinien, même s’il considère le Hamas comme un ennemi et qu’il ne voue pas la plus grande estime à Mahmoud Abbas et à l’OLP.

 

Mais l’essentiel, sur les bords du golfe d’Aqaba, consiste ces jours à couper la tête à l’anaconda iranien, qui s’installe graduellement aux frontières du monde sunnite et d’Israël. Qui a déjà étouffé le Liban et la Syrie, qui enserre le Yémen et qui lorgne sur l’Irak, en dépit de la passivité inquiète des Occidentaux. Mais ces derniers sont plus préoccupés par l’avancée de DAESH que par le péril perse, ce que Jérusalem et Riad ne parviennent pas à comprendre. Lors, dans ces conditions, il ne leur reste pratiquement pas d’autre choix que celui de collaborer. Etroitement, même.  

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