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Journal intime d’une jeunesse Tunisienne

 

 

Journal intime d’une jeunesse Tunisienne

 

 

 

Nous sommes ceux qu’on traite de bons à rien, d’irresponsables, d’incapables, de chômeurs, de terroristes, d’alcooliques, de schizophrènes…

Nous sommes nés à l’époque de Ben Ali, ceux qui n’ont pas connu Bourguiba, ceux que la génération précédente traite d’incultes, d’ignares ou d’impolis…

Nous sommes ceux qui risquent leurs vies au fond d’une mer méditerranée qui sert de carte postale pour ceux qui sont dans l’autre rive…

Nous sommes ceux qui choisissent de se jeter à la mer à la recherche d’une vieille blondasse qui leur garantirait un avenir meilleur à coups d’allocations et de primes de chômage…

Ceux qui se baladent dans les rues de Naples ou de Paris, sans papiers, sans identité, mais avec un iPhone dernier cri qui joue du Mezoued à tue-tête et des baskets de marque couleur fluo comme signe de réussite…

Nous sommes ceux qui triment leur race à la recherche d’un emploi, les stagiaires à durée indéterminée, les contractuels à durée déterminée et les chômeurs à vie, ceux qui passent les concours, qui repassent les concours et qui re-repassent les mêmes concours sans jamais voir le bout du tunnel…

Nous sommes ceux qui terminent leurs études à 25 ans, qui chôment jusqu’à 30 ans, qui rament jusqu’à 40, et qui à 50 attendront impatiemment la retraite anticipée, une retraite pas dorée du tout…

Nous sommes la première génération qui a assisté à l’ouverture des premiers centres d’appels en Tunisie, ceux à qui on a présenté ça comme une aubaine, LA solution pour contrecarrer le chômage, l’offre est alléchante : 600 Dt de salaire et une titularisation à la clé pour s’enfermer à clé dans son propre sillon High Tech : PC, casques, Wifi et un forfait illimité chez l’ORL en attendant patiemment la dépression nerveuse ou mieux : le cancer du cerveau.

Nous sommes ceux qui ne maîtrisent aucune langue disent-ils, ceux qui sont incapables de s’exprimer normalement, ceux qui ne maîtrisent que la langue des jurons et des gros mots…

Nous sommes la jeunesse dorée de la Tunisie moderne…

Nous sommes ceux qui ne trouvent aucun salut dans ce bas monde et qui se précipitent donc vers la mort, ceux qui, faute de mieux, se sont tournés vers le fanatisme, la génération qui a « produit » le plus de terroristes à travers toute l’histoire moderne et post moderne de la Tunisie, et puis regardons bien ce chiffre : Il y a 2800 terroristes tunisiens en Syrie, n’est-ce pas merveilleux ? Quel bel accomplissement !

D’ailleurs nous sommes ceux à qui on a enseigné l’histoire à coups de bourrage de crâne, de dictée et d’examens sur table avec autorisation de fausses copies sous la table…

Et donc nous sommes ceux qui ne connaissent ni Farhat Hached, ni Abdelaaziz Thaalbi, ni Abou el Kacem Echebbi…

Et puis nous sommes issus de différentes classes sociales, ces classes pour qui l’ascenseur social est en panne, enfin pas vraiment mais disons qu’il fonctionne dans un seul sens : vers le bas, toujours plus bas, jusqu’au Magma dans lequel ce pays brûle à petit feu, et nous, nous en sommes les bûches, son énergie renouvelable, ses « ressources humaines » qui font sa fierté pour l’export du secteur tertiaire…

D’abord il y a les pauvres, ceux qui sont nés de parents pauvres, qui resteront pauvres, sauf exception ou miracle divin, ou, qui seront encore plus pauvres, démunis, sans ressources, sans toit, sans travail, sans éducation…

Ensuite il y a la classe moyenne, ceux qui ne sont ni bons ni mauvais, ni riches ni pauvres, ni lauréats ni derniers de la classe, ceux qui tentent toute leur vie de ne pas s’égarer de ce centre de gravité, des équilibristes pour la vie…

Et puis il y a les riches, ceux dont la folie des grandeurs ne peut s’épanouir dans ce petit pays, ce petit pays « qu’ils aiment beaucoup », qu’ils chérissent généralement au-delà des frontières. La Tunisie je t’aime mais je te quitte, n’est-ce pas la quintessence du patriotisme ?

Nous sommes la génération qui n’a pas connu les écoles privées, ceux qui n’ont fréquenté que les bancs des écoles publiques, des lycées publics, des facultés publiques, et pour les plus malheureux d’entre nous, les bureaux de la fonction publique…

Nous sommes aussi ceux qui ont assisté à toutes les réformes du système éducatif, l’enseignement de base, la 9e, les 25%, le LMD, et ça a créé une génération de mi-littéraires, mi-scientifiques, des touche à tout et bons à rien…

Nous représentons donc cette jeunesse dorée de la Tunisie, qui a fait la « révolution du Jasmin », essentiellement pour plus de « dignité » mais nous avons gagné en inanité, une inanité qui continue de croître tous les jours pour nous rendre aussi inutiles que la présence de la diplomatie tunisienne à un sommet international…

Mais nous sommes aussi ceux qui ne lâchent pas, ceux qui s’obstinent, qui combattent, qui ont passé leurs vies à se démerder, ceux qui maîtrisent le système D, les magouilles, les chemins dérobés, et les circuits parallèles, peu importe le chemin, seul importe le résultat n’est-ce pas ?!

Nous ne sommes pas des ratés, et pourtant tout a été orchestré pour atteindre ce but, pour admirer le spectacle d’une génération qui étouffe, qui suffoque et qui coule, nous sommes juste différents…

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