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Jours tranquilles à Tunis

Jours tranquilles à Tunis (8)

Par Stéphanie Wenger

Arrivée à Tunis en août 2012 en provenance du Caire, la journaliste Stéphanie Wenger a retracé au quotidien une transition qui n’est pas de tout repos, entre rêves et attentats, espoirs et crispation, paradoxes et traditions.

Triste shabbat à Tunis

 (17 janvier 2015)

Sur les marches de la synagogue de Tunis quelques bougies et les photos d’un jeune homme souriant. Selon les clichés, il porte une kippa, montre fièrement un doigt marqué d’encre bleue, s’est drapé dans un drapeau tunisien. Des dizaines de personnes ont souhaité lui rendre hommage ce soir. La consigne a été donnée de n’allumer les bougies qu’à la fin du shabbat. Yoav Hattab est tombé sous les balles d’Amedy Coulibaly le 8 janvier, il est l’une des quatre victimes de l’Hyper Cacher de Vincennes. Et il est Tunisien. Pourtant aucun message des autorités, ni de la Présidence, ni du gouvernement, n’a été adressé à la famille. Seul le parti islamiste Ennahda a officiellement présenté ses condoléances. Fils du rabbin de Tunis, Yoav a été enterré à Jérusalem et pas en Tunisie. Une décision de la famille, religieuse, qui a créé un début de polémique, certains commentaires mettant en doute le patriotisme du jeune homme, incapable de se défendre, puisque mort. Yamina Thabet préside l’association tunisienne de soutien aux minorités, dont faisait partie Yoav. Elle était son amie : « Il ne faut pas mêler la politique à cela. Reprocherait-on à quelqu’un de vouloir enterrer son enfant à La Mecque en raison de problèmes politiques avec l’Arabie saoudite ? »Une voix s’élève de devant la grille de la synagogue, un homme barbe grise et chapeau souhaite rendre hommage à Yoav, il insiste aussi pour saluer la mémoire des policiers « et de tous ceux qui tombent sous le coup des terroristes. Ils sont des saints car ils sont morts en défendant leurs idées. » L’homme termine son adresse en soulignant « Nous sommes des Tunisiens juifs, et non l’inverse : Tayha Tounes (vive la Tunisie !) »

Pierre est de passage, il travaille et vit à Paris mais il a grandi dans ce quartier de Lafayette et garde un pied ici. Il s’est enroulé dans un drapeau tunisien et arbore une kippa blanche, une image que les photographes et caméra s’empressent d’enregistrer : « Attends déplie-le un peu, qu’on voit mieux le centre du drapeau, voilà comme ça. » Il m’explique que la communauté juive à Tunis est minuscule - « peut-être 500 personnes » - partagée entre Lafayette et La Goulette. Sur la question de l’enterrement en Israël, Pierre hausse les sourcils, incrédule :« Vous auriez voulu qu’il soit enterré ici, au cimetière du Borgil ? »

Il se trouve que j’ai visité le cimetière juif il y a deux jours, il est à l’abandon, les tombes sont fissurées ou brisées. Le terrain semble avoir subi un tremblement de terre, c’est plus probablement des infiltrations d’eau. La ville et la communauté juive se sont longtemps renvoyé la responsabilité de l’entretien. Finalement, à entendre un des membres de la communauté qui a retrouvé des documents beylicaux, ce n’est pas la ville qui est chargée de l’entretien, mais des conflits de personnes sont responsables de l’inaction et du délabrement des lieux. L’autre cimetière au cœur de la ville, a été rasé et remplacé par un jardin public, sous Bourguiba. Pierre raconte que dans sa jeunesse, dans les années 80, il n’a jamais ressenti que sa religion posait des problèmes : « pendant Shabbat, les voisins musulmans venaient nous aider à allumer la lumière. » Une jeune femme nous interrompt : « je m’excuse mais je veux vous saluer monsieur, c’est très rare de voir un Tunisien juif. Je viens de Kairouan et je n’ai appris qu’à l’âge de 16 ans qu’il y avait des juifs en Tunisie. J’ai eu la même réaction que si mon père m’avait annoncé qu’il avait d’autres enfants. » « Pourtant, Kairouan était un grand centre talmudique », commence à lui raconter Pierre. Je les laisse poursuivre cette discussion, comme des cousins qui ne sont jamais rencontrés, ils ont des centaines de questions à se poser.

Et c’est à ce moment-là que je le vois, cet homme qui a voulu se joindre à la veillée. Il n’est pas seul : il a amené avec lui une photo du président qui vient d’être élu, celui qui n’a pas envoyé de condoléances, et il a bien l’intention de la poser sur les marches à côté des bougies. Un des organisateurs lui dit assez fermement : « ça va pas bien ? Range-ça, mets une photo de Ben Ali tant que tu y es ! » L’homme a une justification imparable pour expliquer ce réflexe hérité des années de dictature et de culte du chef : « Pourquoi je ne peux pas mettre son portrait ici ? On est en démocratie, non ? »

En librairie depuis le 24 septembre chez Riveneuve Editions.

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