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La « fuite » de Ben Ali racontée par Ben Ali lui-même

La « fuite » de Ben Ali racontée par Ben Ali lui-même

 

 

 

Le 14 janvier 2011, au terme d'une ultime journée d'émeutes particulièrement violentes à Tunis, le président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali a fini par quitter la Tunisie pour l'Arabie saoudite. Une fuite vers un exil doré dont il espèrait revenir un jour, aux dires de l'équipage de l'avion présidentiel qui l'a, avec sa femme Leïla Trabelsi et plusieurs membres de la famille, accueilli à son bord. A-t-il fui ? A-t-il été poussé vers la sortie ? Ou bien un plan avait-il été ourdi pour l'éloigner d'une situation de chaos, avant de le faire revenir comme celui pouvant ramener l'ordre ? 

Le 20 juin 2011, au premier jour de son premier procès par contumace, le premier d'une longue série de procès, l'ancien président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali a voulu « rétablir la vérité » en donnant sa version des faits sur son départ dépeint comme « une fuite ». Dans une déclaration (en arabe) présentée à la cour par son avocat libanais, Akram Azouri, le président déchu raconte la « ruse » qui, affirme-t-il, est à l'origine de son départ 

LE RÉCIT DE BEN ALI 

« Ali Seriati, le directeur général en charge de la sécurité du président, est entré dans le bureau du président Ben Ali pour l'informer que des services de renseignement amis avaient confirmé que l'un des membres de la garde républicaine était chargé d'assassiner le président de la République. La situation dans la capitale tunisienne était dangereuse et hors de contrôle. Le palais présidentiel à Carthage et sa résidence de Sidi Bousaïd étaient encerclés. Comme un hélicoptère survolait la zone et que des sentinelles patrouillaient le littoral entre le palais présidentiel et sa résidence privée, il lui a demandé de permettre à son épouse et à ses enfants de partir dans l'avion prêt à décoller pour Djedda. Ali Seriati est revenu et a insisté sur le fait que le président accompagne sa famille à Djedda pour quelques heures afin que les services puissent déjouer le complot et assurer la sécurité du président. » 

« Sur cette base, le président est monté dans l'avion avec les membres de sa famille. Après quoi, il a ordonné au commandant de l'avion de l'attendre à l'aéroport de Djedda pour qu'il puisse revenir avec lui à Tunis. Mais, à son arrivée à Djedda, l'avion est reparti à Tunis sans l'attendre, contrairement à ses ordres explicites. Il est alors resté à Djedda contre son gré. Plus tard, il a été déclaré qu'il avait fui Tunis et que selon l'article 57 de la Constitution tunisienne, le président de la chambre des députés devenait président de la République par intérim. Le président Ben Ali certifie que cela est la réalité et que tout le monde est témoin de ses actes, du directeur général en charge de la sécurité du président, au directeur de cérémonie, au commandant de l'avion et au directeur général des liaisons aériennes tunisiennes. » 

Mis en cause, le général Ali Seriati a été acquitté le 12 août 2011 par la justice tunisienne des accusations de complicité dans la fuite en Arabie Saoudite de Zine El-Abidine Ben Ali et de sa proche famille. Le tribunal de première instance de Tunis a en revanche prononcé des peines de prison allant de quatre mois à six ans contre 25 membres de la famille de l'ex-président Ben Ali et de son épouse Leïla Trabelsi, dont 22 étaient présents à ce procès, pour tentative de fuite et possession illégale de devises. Le général Seriati a expliqué être « victime d'une mise en scène » montée par l'ex-ministre de la défense Ridha Grira, actuellement libre. 

BEN ALI SE DÉFEND DES ACCUSATIONS PORTÉES CONTRE LUI 

L'ancien président Ben Ali, dont « l'image et la réputation ont été ternies », dit par ailleurs « qu'il est de son devoir de clarifier les points suivants » : 

« Il n'a pas abandonné son mandat de président de la République et n'a pas fui la Tunisie. » 
« Il n'a pas donné l'ordre pendant les derniers événements d'ouvrir le feu à balles réelles sur les manifestants. Cela est indubitable dans tous les contacts qui ont eu lieu entre la présidence de la République, le ministère de l'intérieur et le ministère de la défense nationale. Tout cela a été enregistré. » 
« Il ne possède pas à titre personnel de compte bancaire hors de Tunis, ni en Suisse, ni en Autriche, ni dans aucun autre pays. » 
« Il ne possède pas en France, ni dans aucun autre lieu dans le monde, aucun bien immobilier ou mobilier de superficie importante [...] » 
« Concernant les armes illégales qui ont été trouvées en sa possession, ce sont des cadeaux officiels reçus de chefs d'Etat, enregistrées à l'inventaire officiel des archives de l'administration publique générale du président et des personnes officielles. » 
« Concernant les bijoux qui appartiennent à son épouse, ce sont également des cadeaux officiels de chefs d'Etat. » 
« Concernant les quantités de billets de monnaie, dont les images ont été diffusées à la télévision officielle, qui se trouvaient à sa résidence personnelle après son départ, elles sont une preuve supplémentaire d'une mise en scène frauduleuse. [...] Sur ces billets de banque se trouvait le sigle de la banque centrale tunisienne afin d'insinuer que le président a détourné de l'argent public [...] » 

Autant d'accusations qui visent, aux dires de l'ancien président tunisien, à « représenter la période précédente comme le mal absolu en vue de préparer les Tunisiens à accepter un nouveau système politique élaboré à leur insu et par des extrémistes ». Et l'ancien président de rappeller les « réalisations incontestables pendant vingt-trois ans » qui peuvent être apportées à son crédit dans les domaines économiques, sociaux et politiques. Et de conclure en rappelant les réformes qu'il avait annoncées le 13 janvier et entendait mettre en œuvre. 

PLUSIEURS CONDAMNATIONS 

La justice tunisienne n'aura pas entendu la défense de l'ancien président, condamné à plusieurs reprises par contumace. Le 20 juin 2011, avec son épouse, Leila Trabelsi, pour détournement de fonds publics, à trente-cinq années de prison chacun, avec, de surcroît, 50 millions de dinars (25 millions d'euros) d'amende pour lui, et 41 millions de dinars (20,5 millions d'euros) pour elle ; le 4 juillet 2011, à quinze ans et demi de prison pour détention d'armes, de stupéfiants et de pièces archéologiques ; le 28 juillet 2011, à seize ans de prison pour corruption et fraudes immobilières, dans deux affaires d'achat et cession de terrains immobiliers au début des années 2000 ; le 7 avril 2012, avec d'anciens hauts responsables de son régime, à cinq ans de prison pour la torture d'officiers de l'armée ; et le 13 juin 2012, à la perpétuité, pour complicité d'homicides volontaires dans la répression en janvier 2011 du soulèvement populaire. L'ancien président est toujours réfugié en Arabie saoudite. 

Hélène Sallon, Le Monde du 14 janvier 2014 

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