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La Palestine n’est plus au cœur du problème

 

La Palestine n’est plus au cœur du problème (info # 011402/11) [Analyse]

Par Sami El Soudi © Metula News Agency

 

A Ramallah, à la gouvernance de l’Autorité Palestinienne, on a poussé un ouf de soulagement, comme dans beaucoup d’autres capitales de la région, en regardant les images d’hier (dimanche), montrant l’armée égyptienne évacuant les protestataires de la place El Tahrir. Il faut dire que les événements qui secouent le Proche-Orient et le Maghreb ne font pas l’affaire du Fatah.

 

Ce, parce que la révolution dans le delta du Nil soulève plus de points d’interrogation que de certitudes, ce qui, pour un mouvement cherchant méthodiquement son émancipation nationale, engendre moult inquiétudes.

 

Ici, on a remarqué que le seul dénominateur commun des manifestants consistait dans leur volonté de se débarrasser d’Hosni Moubarak. Au reste, dans la mêlée et la pagaille, on distingue d’immenses différences entre les jeunes gens éduqués et spontanés, désirant fonder une authentique démocratie laïque, et le courant islamiste, qui remercie bruyamment Ahmadinejad pour son soutien et l’exemple donné par l’Iran.

 

Il faut comprendre que les trois millions et demi de Palestiniens vivant dans les "territoires" sont largement dépendants du grand frère égyptien et, partant, de tout ce qui se déroule chez lui. En cas de prise de pouvoir par les Frères Musulmans au Caire, on assisterait ici à un renforcement sans précédent du Hamas ; un phénomène contre lequel la Moukata lutte de toutes ses forces.

 

En dépit de l’inimitié et de la méfiance affichées par tous les nouveaux pharaons, leurs services de renseignement et leurs militaires, pour tout ce qui est palestinien, le seul allié arabe fiable de Mahmoud Abbas et Salam Fayyad, celui qui les représente sur la scène internationale, qui s’occupe de faire avancer leur projet et participe à leur guerre contre le frère-ennemi islamiste de Gaza, c’est l’Egypte.

 

De Ramallah, on considère aussi avec effroi les nouvelles concordantes annonçant la perte de contrôle de la péninsule du Sinaï par l’armée d’outre Canal, et la formation officieuse d’un pouvoir partagé entre les bédouins, le Hamas, mais également Al-Qaeda dans le Sinaï.

 

C’est un fait que, même lorsque le régime du raïs déchu occupait ce désert, cela n’empêchait guère ces mêmes organisations de faire parvenir des tonnes d’armes et de munitions dans la Bande de Gaza, non sans qu’elles aient, préalablement, traversé l’Egypte de part en part, et notamment le tunnel et les quelques ponts jetés sur le Canal, gardés, en permanence, par des milliers de soldats.

A l’heure où le Caire semble perdre pied dans la péninsule – ici, on prie pour que cela ne soit que transitoire – on redoute, tout comme Israël, la sur-militarisation du Hamas. On sait, en Cisjordanie, qu’il faudra abattre le califat comme condition incontournable à l’édification de notre Etat ; lors, tout affaiblissement du Hamas nous rapproche de notre objectif, tandis que tout renforcement nous en éloigne.

 

Les événements d’Egypte bouleversent aussi considérablement les intenses efforts diplomatiques des chefs de l’Autorité, dont l’objectif, au final, est la promulgation par le Conseil de Sécurité – si, entre-temps, aucun accord satisfaisant n’est trouvé avec Jérusalem – d’un Etat indépendant sur la base des frontières de mai 1967.

 

Ces derniers mois, cette stratégie par des voies pacifiques volait de succès en succès, de plus en plus de pays déclarant indépendamment leur reconnaissance dudit Etat palestinien.

 

Mais les événements de Tunisie, suivis par ceux de la vallée du Nil, qui menacent de s’étendre au Yémen, à l’Algérie, au Maroc et à toutes les autres dictatures arabo-musulmanes, ont relégué toutes les autres préoccupations régionales dans l’ombre de l’actualité.

 

A ce titre, on constate avec crainte que l’Iran a commémoré l’anniversaire de la Révolution Khomeyniste, avec la participation d’une foule de centaines de milliers de supporters de la dictature théocratique défilant dans les rues de Téhéran. Il est vrai que Khamenei et Ahmadinejad sont les principaux bénéficiaires du tohubohu actuel dans le monde arabe : ils s’empressent sur leur projet de bombe atomique en toute impunité, se réjouissant de ce que l’on voit mal les Israéliens intervenir militairement contre leurs installations sans pouvoir compter sur un allié sûr et stable au Caire.

 

De plus, les ayatollahs ont tout loisir pour consolider leur mainmise sur le Liban, personne n’ayant évoqué, depuis un mois, les préparatifs de leur baudruche Nagib Mikati afin de former un gouvernement téléguidé par Damas et Téhéran. L’abandon par le monde libre des forces démocratiques pro-occidentales à Beyrouth se finalise sans la moindre interférence.

 

Tous ces avatars ne parlent guère en faveur du plan palestinien et du rapport de forces jusqu’à présent favorable avec le Hamas. Mais il y a plus grave, à l’échelle macro, pour notre mouvement d’émancipation nationale : les événements en cours déconstruisent la centralité de la "question palestinienne" sur l’échiquier international et arabe. Car la plupart des dictatures arabo-musulmanes avaient une tendance systématique à focaliser l’attention de leurs citoyens sur le différend israélo-palestinien afin de détourner leur attention de leurs propres problèmes.

 

Or, tant à Tunis qu’au Caire, qu’à Alger ou à Sanaa, on n’a quasiment pas vu de pancartes ni entendu de slogans qui s’intéressaient à notre cas. L’éloignement idéologique de la Palestine par les foules arabes participe d’une recentralisation sur leurs problèmes quotidiens. Cette redistribution spontanée des priorités  se développe contre tout ce qui faisait l’agenda et les thèmes de propagande des despotes qui les opprimaient ; une dynamique à laquelle nous ne pouvons pas logiquement échapper, du moins pas complètement, puisque nous en faisions partie.

 

Lorsque l’Egypte se demande comment elle va améliorer les conditions d’existence des quatre-vingt-deux millions d’Egyptiens, croulant sous le paupérisme généralisé, avec son cortège de 60% d’illettrés, comment attendre d’elle qu’elle place au premier rang de ses priorités le sort de mes concitoyens, qui vivent, de façon perceptible, amplement au-dessus de son seuil de pauvreté ?

 

A l’énumération de tous ces facteurs, on comprend assez facilement que, grossièrement, même si parfois pour des raisons différentes, les préoccupations de nos dirigeants sont identiques à celles de Benyamin Netanyahu et de son cabinet. C’est extrêmement difficile à constater, mais la crise égyptienne fait d’Israël notre dernier allié objectif, le seul à partager nos intérêts et nos inquiétudes.

 

Et dans le cas où l’Egypte choirait définitivement dans le camp islamiste, cela nous pousserait carrément dans les bras de Netanyahu et limiterait à une peau de chagrin notre marge de manœuvre. Car un petit peuple non encore émancipé connaît un besoin essentiel de jouir de l’appui politique d’un grand pays. Sans Moubarak, avec des islamistes pro-Hamas au pouvoir au Caire, ou même un Monsieur Compromis style Erdogan, sur quels appuis pourrions-nous compter ?

 

L’Arabie Saoudite ? Elle est bien trop contractée sur ses propres intérêts pour se préoccuper de nos revendications. La Jordanie ? Par trop affaiblie, mobilisée à contenir sa propre succursale des Frères Musulmans.

 

Les considérations qui précèdent expliquent l’empressement avec lequel Le Comité Exécutif de l'Organisation de Libération de la Palestine (organe situé hiérarchiquement au-dessus de l’AP), réuni samedi sous la présidence de Mahmoud Abbas, a décidé de la tenue d’élections présidentielles et générales avant la fin du mois de septembre prochain.

 

Afin de se présenter en force devant les électeurs, le Président Abbas et le 1er ministre Fayyad annonceront, ce lundi matin, la démission du gouvernement en vue de la formation d’un cabinet revigoré. Il est nécessaire de préciser que, sur les 24 portefeuilles de ministres, 16 seulement étaient attribués, car deux ministres avaient démissionné et six autres se trouvent à Gaza, dans l’impossibilité de travailler sous le regard du Hamas.

 

Cela faisait fort longtemps que Salam Fayyad poussait Abou Mazen à ce remaniement, arguant, avec bon sens, que plusieurs des ministres actuels sont parfaitement incompétents, que d’autres sont corrompus, et d’autres, encore, paresseux. Ceux qui ne tombent pas dans ces catégories seront reconduits ; les autres font les frais du tsunami égyptien, démontrant qu’il est malsain de gouverner trop longtemps avec un cabinet borgne.

 

Deux objectifs à ce grand ravalement de façade et à ces élections : exploiter la faiblesse du Hamas, actuellement en pleine dégringolade de son support populaire, avant que des événements extérieurs ne reconstituent son emprise. Et confirmer par un vote populaire la légitimité d’Abbas et Fayyad à la tête de l’Autorité avant de traverser une mer aux tempêtes incertaines. Car le mandat de Mahmoud Abbas s’est officiellement terminé en janvier 2009 ; il demeure au pouvoir afin d’éviter le vide institutionnel, mais, à l’occasion d’un éventuel raz-de-marée islamiste, cela ne suffirait pas à légitimer son maintien aux affaires.

 

Qu’importe donc, dans ces conditions, que le Hamas, justement lui, ait immédiatement déclaré qu’il ne participerait pas à ces consultations, n’en reconnaîtrait pas les résultats et, par conséquent, qu’elles ne seraient pas organisées dans la Bande. Anticipant sur des événements imprévisibles, l’actuelle direction palestinienne entend simplement que son autorité soit endossée par des moyens démocratiques. Le sujet dont tout le monde s’entretient dans la région.

 

On remarque parallèlement, dans cette décision, un rapprochement supplémentaire de l’Autorité Palestinienne en direction de son voisin de l’Ouest. Je ne crois rien exagérer, en effet, en affirmant que notre régime constitue présentement le plus démocratique du monde arabo-musulman. C’est pour cela qu’il n’a, par exemple, pas à craindre un soulèvement populaire, du genre de ceux qui menacent les régimes alentours.

 

Mais c’est aussi en cela qu’il dévoile ses ressemblances avec la démocratie israélienne, une influence qui va croissant au fur et à mesure que se poursuit notre expansion économique.                   

 

Pendant que l’Orient se trouve en état d’ébullition, à Rawabi ("collines" en arabe), à 9 kilomètres de Ramallah et 20 de Jérusalem, la construction d’une nouvelle ville palestinienne, qui comptera jusqu’à 6000 unités d’habitation, progresse à grands pas. Les premiers résidents de cette cité, style américano-israélien, qui en comptera 40 000 en finalité, pourront emménager à la fin de l’année prochaine.

 

Autre signe de convergence, des dizaines de sociétés de construction israéliennes participent, à la demande des promoteurs palestiniens et qataris, à l’édification de Rawabi, rendant fous de rage les faucons et les edennistes au sein même du gouvernement Netanyahu. D’autres projets sont en gestation pour loger "à l’occidentale" et avec des loyers raisonnables les deux-cent-mille autres Palestiniens à la recherche d’un appartement.

 

Non loin de là, à la Moukata de Ramallah, on a accueilli avec soulagement la déclaration de l’armée sans visage qui a pris le pouvoir au Caire, selon laquelle elle respectera tous les accords internationaux ratifiés à l’ère Moubarak, y compris celui avec l’Etat hébreu. C’est de bon augure ; à en croire des barons de l’AP, les Egyptiens pourraient avoir troqué un autocrate semi-démocratique pour une dictature militaire, et avoir accueilli le changement en dansant et en chantant. D’autres caciques palestiniens croient en l’avènement d’une authentique démocratie sur les bords du Nil et entretiennent l’espoir qu’elle adopterait notre cause.

 

A la Moukata, on connaît toutefois de près les militaires de l’état-major du Caire, et on sait qu’ils détestent tout ce qui est peu ou prou islamiste encore plus que ne le faisait le raïs déchu. De plus, on parle ici d’une longue période de transition, qui n’interviendrait pas avant la normalisation totale au pays des pyramides, et qui serait suivie de réformes étroitement surveillées, tout comme le transfert à une autorité civile. A Ramallah, on est absolument persuadé que si des élections sont organisées, les formations et candidats islamistes en seront bannis.

 

La reprise en main du Sinaï serait déjà programmée et aurait reçu l’aval des Israéliens, nécessaire, car le nombre de soldats égyptiens autorisés à pénétrer dans la péninsule est strictement limité par l’accord de paix.

 

Pour nous, la réalisation de ces promesses est cruciale, car nous avons besoin d’un grand allié arabe fort et empathique si nous voulons négocier la création de notre Etat d’égal à égal avec les Hébreux. Car nous ne nous faisons pas d’illusions : faute de soumettre Jérusalem à des pressions efficaces, les Israéliens ne feront pas les concessions indispensables, l’histoire des négociations l’a démontré.

 

Le bémol dans cette affaire vient de ce que nombre de leaders palestiniens nourrissent des doutes raisonnables quant à la motivation des soldats du Caire et à l’efficacité de l’armée qu’ils composent. Jusqu’à l’avènement du général américain Dayton, qui a formé nos propres unités d’élite, nous avons bien connu le phénomène : un uniforme ne fait pas un soldat, et leur nombre n’est pas le gage de leur efficience. 

 

C’est pour cela que toutes les hypothèses demeurent ouvertes, c’est ça l’incertitude, et c’est pour cela que notre gouvernement prend toutes les mesures préventives dont il est capable.

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