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LA TUNISIE DANS LA TOURMENTE DES ASSASSINATS, Par Jacques BENILLOUCHE

Mohamed Brahmi

LA TUNISIE DANS LA TOURMENTE DES ASSASSINATS

 

Par Jacques BENILLOUCHE

 

L'assassinat de Mohamed Brahmi est le deuxième du genre en Tunisie après celui, en février, de l'opposant de gauche Chokri Belaïd qui avait également été tué par balle devant son domicile. Mohamed Brahmi était le coordinateur général du Mouvement populaire et membre de l'Assemblée nationale constituante (ANC).

 

 

Politicien de gauche

Mohamed Brahmi est né en 1955 dans la région de Sidi Bouzid, dans la ville qui a déclenché la révolution tunisienne le 14 janvier 2011. Il a suivi des cours à l’université où il a été poussé à s’engager politiquement au sein des étudiants arabes progressistes et unionistes. Il a ensuite enseigné l’économie et la gestion sans jamais abandonner son engagement politique. Il a fondé en 2005 un parti sous le nom des unionistes nassériens, adepte du socialisme et du panarabisme. Il défendait avec conviction les idées de l’égyptien Nasser et était proche des successeurs de Salah Ben Youssef, chef du mouvement nationale tunisien, opposant à Bourguiba et assassiné par deux tunisiens dans un hôtel de Frankfort. 

 

Le 8 mars 2011, après la révolution, deux partis idéologiquement très proches sont reconnus : le Mouvement unioniste progressiste, dirigé par l'ancien bâtonnier Béchir Essid, unioniste arabe (nassérien), longtemps emprisonné sous les régimes de Bourguiba et Ben Ali et le Mouvement du peuple dirigé par Khaled Krichi, ancien secrétaire général de l'Association tunisienne des jeunes avocats. Le 20 mars, les deux partis décident de fusionner et de créer le Mouvement du peuple unioniste progressiste (MPUP). Ce parti s’inscrivit alors dans une opposition ferme au parti au pouvoir Ennahda.

 

Mais suite à des dissensions et à des intérêts personnels, la famille des unionistes nassériens s’est déchirée à nouveau. Le président du mouvement Echaâb, Mohamed Brahmi, a décidé le 7 juillet 2013 de quitter le parti dont il était l’un des membres fondateurs. Il a expliqué que le Mouvement du Peuple était infiltré par le mouvement Ennahda qui essayait de diviser  ses membres. Sans avoir la popularité de Chokri Belaïd, il a toujours orienté son combat contre le régime des islamistes au pouvoir ce qui agaçait bien sûr les dirigeants tunisiens.

 

La main d’Ennahda

En effet en tant que député à l’ANC (Assemblée nationale constituante), il avait pris la tête de l’opposition de gauche pour critiquer les manœuvres du parti Ennahda qui cherchait à islamiser les institutions tunisiennes. Il avait rejoint le mouvement Tamarrod, qu’il avait lancé dans la foulée de celui d’Égypte, et il avait exigé la dissolution de l’Assemblée constituante et la mise à l’écart d’Ennahda. Le leader d’Ennahda, Rached Ghanouchi a d’ailleurs déclaré que le meurtre de Brahmi était «un meurtre contre la Tunisie et la démocratie et qu’à travers cela, on cherchait à mettre la Tunisie dans l’instabilité et pousser les Tunisiens à s’accuser les uns les autres.»

 

Les commanditaires du meurtre sont désignés par la foule qui manifestait devant le lieu du crime avec des slogans révélateurs rappelant ceux qui étaient utilisés en Égypte, contre les Frères musulmans et Morsi, proches d’Ennahda : «La Tunisie est libre, les frères dégagent», «Ghanouchi assassin», «Ennahda doit tomber aujourd'hui», «l'Assemblée constituante doit être dissoute».

 

Il est probable que les dirigeants tunisiens actuels ont appris beaucoup de la chute de Mohamed Morsi qui, selon eux, a été trop tendre avec ses opposants  et qu’ils ont décidé de couper le mal à la racine en éliminant physiquement les opposants charismatiques susceptibles de mener une contre révolution. Les deux opposants Chokri Belaïd et  Mohamed Brahmi étaient de la trempe des dirigeants capables de réveiller un peuple endormi et fataliste à qui on a volé sa révolution. 

 

 

La main des Bourguibiens

Cependant on ne voit pas l'intérêt pour les dirigeants tunisiens, en plein troubles en Egypte, d'envenimer la situation au moment où les Frères musulmans ont été contestés. Alors il semble que la date de l’assassinat qui a été choisie n’est pas fortuite. 
La Tunisie fête le 25 juillet 2013, le 56ème anniversaire de la proclamation de la République. Cette fête nationale a pris de l'envergure notamment après la révolution du 14 janvier 2011. Le 25 juillet 1957, l’Assemblée nationale constituante, suite à une réunion du bureau politique du parti de Bourguiba, le Néo-Destour, avait adopté à l’unanimité l’abolition du régime monarchique, proclamé l’État tunisien et attribuée à Bourguiba la charge de chef de l’État avec le titre de président de la République tunisienne.

 

Les Bourguibiens n’ont jamais désarmé et ils fondent leur espoir de retour sur l’échec annoncé des partisans d’Ennahda. En choisissant cette date, ils veulent rappeler au peuple tunisien les moments historiques qu'il regrette depuis la révolution islamique. Il n’est pas impossible que certains de leurs membres souhaitent faire le vide de personnalités qui ont été des opposants de toujours à Bourguiba et à Ben Ali. Les services de sécurité pléthoriques des deux dictateurs sont encore en place ou dans des réseaux dormants, attendant l’heure qui leur sera désignée. 

 

Ils estiment que le pays est en danger. L’assassinat de l'opposant Chokri Belaïd avait provoqué une grave crise politique dans le pays. Avec l’élimination de Mohamed Brahmi, les rues de Tunis peuvent à nouveau s’enflammer avec un risque certain pour le pouvoir en place. Des manifestants se sont déjà rassemblés à Tunis, à l’avenue Bourguiba, et à Sidi Bouzid. Une opportunité pour les Bourguibiens de revenir à la une de l’actualité avec la certitude que l’armée n’a pas le pouvoir d’intervenir comme en Égypte, à moins qu’ils n’utilisent l’ancien chef d’État-Major, à la retraite, comme faire valoir. 

 

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