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La Tunisie et le français : un cas de divorce ?

 

La Tunisie et le français : un cas de divorce?

 

 

Par Maya Szymanowska

Le français serait-il en danger, comme l’ont craint les médias français au lendemain des premières élections libres qui ont scellé la victoire des islamistes au pouvoir ? Et si le rêve d’une Tunisie francophone, bastion du français au Maghreb, n’était que phantasme ? La réalité est peut-être plus complexe.

 

Rached Ghannouchi, le chef du mouvement islamiste Ennahda a provoqué le tollé auprès des médias français en regrettant mercredi 26 octobre que les Tunisiens ne soient devenus « franco-arabes » dans la pratique de la langue. Et d’ajouter : « Nous sommes arabes et notre langue c’est la langue arabe. On est devenu franco-arabe, c’est de la pollution linguistique. » Un des thèmes de prédilection du Front islamique du salut en Algérie au début des années quatre-vingt-dix, comme le remarquait le Figaro du jeudi 27 octobre 2011.

Un élément d’explication de la méfiance des islamistes d’Ennahda pourrait être beaucoup plus pragmatique qu’idéologique et résiderait dans l’éducation d’une partie des élites tunisiennes. Les islamistes d’Ennahda persécutés par le régime Ben Ali, ont été poussés à l’exil et certains ont choisi Londres plutôt que Paris comme terre d’adoption. Du coup, certains acteurs clefs ne manient pas aussi bien le français et lui préfère la langue de Shakespeare. C’est le cas de Rached Ghannouchi, le leader d’Ennahda, le parti islamique arrivé en tête des élections. Formé en Egypte et en Syrie, il a ensuite vécu à Londres durant vingt ans. Sa fille en revanche, manie parfaitement le français, mais refuse de donner les interviews dans cette langue.

Inexistants avant la révolution de Jasmin, les journaux francophones prolifèrent depuis, la plupart du temps sous la version électronique. Une dizaine recensée sur le web depuis le très complet Businessnews.com.tn en passant par Le Temps, La Presse ou Le Renouveau, au titre très parlant et dont le site est encore en construction. Tunis hebdo a mis ce slogan en exergue : « Je cherche la vérité ».

Le malaise est ailleurs

Hela Yousfi, maître de conférence à l’université Paris Dauphine, donne des cours à Tunis et a suivi de près les changements qui bouleversent son pays d’origine. Pour elle, la Tunisie reste un pays bilingue. La côte est certes plus francophone que l’intérieur du pays, mais d’après cette jeune spécialiste en management, les fractures importantes ne sont pas à chercher suivant cette clef géographique. La différence se dessine plutôt entre les élites exilées, déconnectées de la réalité du pays et la population appauvrie par les années de la dictature et le pays ravagé par la révolution. D’où les scores étonnants de ce businessman et star de télé londonien Hechmi Hamdi au sein même du fief de la révolution de Jasmin, la ville de Sidi Bouzid.

« Le résultat des élections donnant une large victoire aux islamistes modérés d’Ennahda scelle une volonté des Tunisiens de retour à une identité arabo-musulmane longtemps confisquée par le régime de Ben Ali et stigmatisée en Occident. » Si pour Hela Yousfi, les Tunisiens n’ont aucun problème avec la langue et la culture françaises - une bonne partie des élites est complètement imprégnée par l’éducation française - le malaise est ailleurs. Il concerne l’attitude de la France vis-à-vis de la Tunisie. « Les Tunisiens ne rejettent pas le français, mais l’interférence de la France dans la politique de leur pays. Les Tunisiens n’aiment pas être infantilisés et s’énervent quand ils entendent Alain Juppé dire qu’il surveillera l’Ennahda. Or, la France a soutenu le nouveau régime en Libye qui restaure la charia. »

Le rejet par Rached Ghannouchi du français met peut-être finalement le doigt sur un problème qui serait beaucoup plus politique et pas idéologique. Certes, cela peut être un geste vers l’électorat le plus dur de son parti. Mais aussi la volonté d’exploiter la soif d’indépendance des Tunisiens et le raz le bol de voir la France se mêler de la politique intérieure.

La balle est dans le camps de la France. A sa diplomatie d’éviter les maladresses qui pourraient remettre en cause l’attachement des Tunisiens à la culture française.

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