Share |

La Tunisie qui m’avait vu naître, par Emile Tubiana

La Tunisie qui m’avait vu naître

 

 

Bien après le départ de mes chers parents j'ai réalisé qu'ils m'avaient laissé un héritage culturel et spirituel qui ne me paraissait pas important en son temps. Ce n'est que des années après leur départ que je commençais à me rendre compte de leur portée. Les départs de ces êtres se passaient en silence sans qu'on puisse échanger un mot, car ceux qui partent et ceux qui les entourent n'osent pas penser ou même accepter la fin sur terre de ceux qui nous sont chers. Seule la douleur des vivants se fait sentir. De par mon expérience je savais bien que rien au monde ne pouvait enlever la peine intérieure d'une personne. Chacun souffre à sa façon dans la solitude. Seul le temps peut cicatriser la douleur.

 

Voilà que déjà plusieurs années sont passées depuis que toutes ces personnes que j'aimais nous ont quittés l'une après l'autre. Ils ont laissé leurs corps qui leur avaient servi  durant de longues années. Ce n'est que maintenant que j'essaye de mettre par écrit mes sentiments de jadis, que je pensais garder pour moi seul, en faisant revivre ces êtres. Ils m'avaient enveloppé de leur amour et m'avaient enrichi de leurs expériences et de leurs histoires. Nous ne nous rendions même pas compte que nous vivions dans la grâce avec nos concitoyens.

 

Aujourd'hui, après tant d'années, je me rends compte, combien nos obligations quotidiennes nous préoccupent et nous privent du loisir de laisser libre cours à nos mémoires. On est tellement pris par les soucis du jour, qu'on devient insensible tant au passé qu'au présent. Hélas on ne reconnaît le présent que lorsqu'il devient passé.

 

Mais devant l'absence d'un de nos chers aînés, toutes les obligations nous paraissent aujourd'hui banales. Il nous reste qu'à donner du respect à la personne qui part en assistant ses proches et en gardant son esprit vivant par tout ce qu'elle nous a laissé.

 

Nous devons passer parfois l'absurde pour réaliser et confronter la vérité.

 

Rien n'est aussi cher qu'une mère, un père ou des frères et des sœurs. Nous pensons souvent qu'il est nécessaire de faire ceci ou cela, mais rien n'est plus important que la famille. C'est le premier maillon d'une chaîne à laquelle nous étions physiquement et directement liés, qui se détache, lorsqu'un de nos proches nous quitte. Ce n'est qu'une fois les choses passées, que l'on se rend compte du degré de leur importance. Nous sommes bridés par les chaînes de l'existence matérielle, par la peur de l'inconnu, par des souffrances que nous avons connues par nos propres expériences et par mille et une choses qui en réalité n'ont aucune importance.

 

Nous sommes ainsi inconsciemment hantés par les soucis du lendemain. La peur nous paralyse et nous  prive de nos meilleures facultés. La peur n'a jamais fait du bien à personne. Elle nous fait prendre des décisions avec hâte et sans réflexion. Elle nous diminue et essaye de nous ensevelir jusqu'à être presque à sa merci. Parfois elle nous sauve quand elle nous retient de faire quelque chose qui pourrait être nuisible. J'ai vu le départ de mes tantes, mes oncles, mes grands-mères et grands- pères, de mon père, de ma mère et d'autres membres de la famille, des amis ou simplement des personnes qu'on a connues dans un moment ou un autre. Certes, ils nous ont manqué parfois même de leur vivant, dû à l'éloignement ou tout simplement par le manque de temps. Maintenant ils nous manqueront pour la durée de notre vie sur cette planète. Ainsi c'était pour tous les vieux membres de la famille, puis pour les amis que nous aimions et que nous avons vus passer l'un après l'autre. Les scènes tristes se répètent tous les jours, une fois pour l'un, une fois pour l'autre et la vie continue. Aujourd'hui je regrette de n'avoir pas eu l'occasion de partager longuement leurs histoires et de demander les questions qui ne me venaient pas a l’esprit  lorsqu'ils étaient encore parmi nous. Il fallait leur dédier plus de temps et d'attention, ceci aurait ajouté une richesse aux trésors spirituels qu'ils nous ont laissés.

Aujourd'hui seulement nous réalisons qu'ils ne nous ont pas vraiment quittés et parfois nous sentons leur présence en nous-mêmes. Leurs histoires, leurs chansons de geste, leurs paroles de sagesse, leurs proverbes et leurs expressions nous accompagnent constamment. Ceux-ci les font revivre en nous dans les moments de besoin.

 

Ils ne sont plus physiquement avec nous mais ils vivent en nous. Ils nous paraissent aujourd'hui plus proches de nous qu'ils ne l'avaient jamais été. Aux moments de tristesse on ne sait pas toujours exprimer ce que l'on ressent au fond de son cœur.

 

C'est ainsi que j'avais pensé formuler ma prière en plongeant dans le passé et en faisant revivre mes sentiments pour ces êtres à travers leurs histoires ou par leur façon de vivre, en relatant un épisode ou un autre. Je suis retourné dans mon pays et à ma ville pour revoir les choses dans l'esprit de jadis. Ils nous ont laissé un héritage qui seulement après tant d'années nous dévoile son vrais sens et sa juste valeur. C'est ainsi que je pense exprimer ma gratitude envers tous les êtres que j'avais connu.

Nous devons d'abord passer nos propres expériences, pour pouvoir mieux juger le vrai et le faux, les bonnes et les mauvaises expériences. Certes il y a l'histoire qui nous sert aujourd'hui de leçon, que ce soit celle apprise à l'école ou dans les universités ou simplement celle qui nous a été transmise de vive voix.

 

Mais il y a aussi les histoires de chaque pays, de chaque peuple, de chaque famille et de chaque être, même si celles-ci représentent un témoignage familial, elles constituent tout de même des preuves de mémoire individuelle et collective.

 

Je ne peux pas raconter l'histoire de chacune des personnes que j'avais connues, même si je l'avais voulu, car il me manquerait les détails de l'une ou de l'autre. Le plus que je peux faire pour mes enfants, pour la future génération et pour les êtres qui ont la même affinité que moi, c'est de relater les choses qui m'avait aidé à passer mes propres expériences et qui m'ont aidé à trouver mon chemin. C'est à eux que je m'adresse. Chacun jugera pour lui-même, ce qui est à prendre ou à laisser. En somme chacun doit passer ses propres expériences et ce ne sont que celles-ci qui comptent. Il fallait que je plonge parfois à travers plusieurs générations et à travers différentes époques que j'avais connues. J'ai même plongé dans l'histoire lointaine pour extraire certains faits, afin de donner une certaine authenticité qui permettra à chacun d'extraire ce qui sera pour lui le plus essentiel.

 

Je me suis appliqué surtout à faire ressortir ce qui pourrait servir de trait d'union entre différentes époques, différents peuples et différentes personnes. Que ce soit notre histoire ou celle des autres, elle renferme en elle beaucoup de bons et de mauvais exemples qui contiennent des vérités. J'ai préféré chercher ceux qui me semblaient bons, ceux qui pourraient unir et ceux qui pourraient nous enrichir. Le choix est donné à chacun de prendre du tas de ces exemples, ceux qui pourraient l'aider dans sa vie. Si nous devions nous poser des questions, pourquoi ce fut ainsi et pas autrement, ou nous arrêter que sur le négatif, nous nous bloquerions nous- mêmes les voies qui pourront nous conduire vers la vie de demain et vers la vie tout court. Tout n'est pas parfait dans la vie mais tout n'est pas imparfait non plus. Il ne peut y avoir qu'un seul parfait. C'est à nous de savoir discerner le meilleur qui nous entoure et qui saute à nos yeux. Regardons un peu la nature, les belles fleurs, les oiseaux, les belles musiques, les belles peintures, la littérature, l'art de vivre, les belles choses qui nous font plaisir.

 

Ce n'est qu'alors qu'on se rend compte que les questions que nous nous sommes posées sont fausses à la base. Il faut enfin les rédiger autrement pour trouver la juste réponse. Notre devoir est d'aspirer au parfait sans se soucier des résultats. L'essentiel est de faire de son mieux. Le reste il faut le laisser à la grâce.

 

En fouillant dans ma mémoire et surtout dans les sentiments les plus profonds et les plus honnêtes avec moi-même, je retombe dans mes origines, car c'est bien en elles que je peux puiser mes forces. L'origine de l'homme commence d'abord par lui-même, puis par la famille, par la ville où il est né et ce n'est qu'ensuite que l'ont cherche le peuple ou la nation a laquelle on appartient. Chez les Juifs ces rapports sont complexes. On se demanderait si les millénaires ou les siècles passés sont les plus proches. Est-ce l'appartenance religieuse, nationale ou l'action de soi-même qui déterminera notre futur et notre existence? Est-ce l'histoire des générations que nous connaissons ou celles du destin de notre peuple qui nous dicterait le chemin à suivre? Les peuples avec lesquels nous avons une langue commune? une culture commune? Une musique commune? Un mode de vie semblable? Ou d'autres qui sont reliés à nous par l'histoire? Par la religion? Par la nation où nous vivons, ou carrément par les amis qui détermineront notre vie? Le choix est très vaste et compliqué. Plus le choix est grand plus notre décision est incertaine. Il est à nous de discerner et de donner priorité à qui nous le voulons, parfois juste et parfois fausse. Les meilleures décisions que j'avais prises dans le passé ont été celles que j'avais prises par nécessité. La nécessité est la loi de l'univers. Mon père disait:

 

La nécessité brise les chaînes en fer « Es Sbeb Y Kasser Es Slassel Lahdid » Une fois que nous avons pris conscience des faits, c'est là où il faut être honnête avec soi-même et les autres, sans chercher à vouloir plaire ou jouer la comédie, car dans le fond c'est à nous-mêmes que nous devons en fin de compte répondre pour être en paix avec notre propre conscience. Il suffit de faire une petite promenade à travers les diverses expériences que nous avons passées, à travers les années et à travers les histoires vivantes que nous avons vécues ou connues, pour que nous constations que les êtres que nous avons connus sont vivants et nous accompagnent tout le long du chemin que nous fait parcourir la vie. C'est ainsi que nous constatons que nous avons en fait un énorme héritage duquel nous pouvons puiser selon nos besoins quotidiens. Une source inépuisable d'eau claire est constamment à notre disposition, en bref, des trésors cachés.

 

L'essentiel est de reconnaître tous les sentiments en nous. Chaque sentiment est une force indépendante sans conscience. C'est à nous de savoir les diriger de sorte qu'elles soient toutes unies avec notre conscience. C'est ainsi que nous réalisons que grâce à ces sentiments notre conscience s'enrichit d'un pouvoir considérable.

 

Ce qui me paraît aujourd'hui remarquable, ce sont les bons liens  qui ont existé entre les diverses communautés de notre ville. L'existence même de la société ouverte qui était composée de diverses ethnicités et confessions était la base de la mosaïque de la société tunisienne. Ce sont les souvenirs de ce que nous-mêmes nous avons vécu, qui nous animent. Ce sont les liens de famille ou de notre enfance qui nous réveillent. C'est bien le pays où nous sommes nés qui nous relie, car c'est là que se trouvent le début de l'enfance et la pureté de notre être.

 

S'il n'est pas possible de revivre dans son sol natal pour des raisons de famille, sociales ou autres, la terre qui nous a fait naître est aussi un héritage qui mérite d'être soigné. Même si nous vivons actuellement parmi d'autres sociétés, sous d'autres cieux, les souvenirs de notre enfance nous accompagnent. On ne peut effacer d'un coup d'éponge des siècles de vie harmonieuse et paisible, pour une raison ou une autre. Il faut être honnête afin d'éviter de fausser les faits de notre histoire. Nous sommes nous-mêmes une part intégrale de cette histoire. Chacun a des membres de sa famille enterrés ici ou là.

Mon père disait:

« En respectant les morts on respecte les vivants. » Il y a aussi un héritage physique et visible de tout ce que nos ancêtres nous ont laissé. Il serait bien de le mettre en valeur, ne serait-ce que pour nos enfants d'abord, ensuite pour les habitants de la ville et après pour les autres et pour l’histoire.

 

 Rien ne se perd dans le monde et dans l'univers mais tout change. Il est de notre devoir de confronter la vérité si l’on se sent mûr. La vérité doit satisfaire notre conscience. Si notre conscience ne nous donne pas la paix intérieure, c’est que nous nous trouvons dans le faux chemin. Le bonheur de l'un ne peut pas être crée sur le malheur de l'autre. Certains ne connaissent pas les bases morales de cet enseignement ; il faut avoir été éduqué pour cela, ou avoir vécu les expériences profondes. L’éducation varie entre pays et même entre familles.  

 

Il suffit d’un leader pour conduire son peuple dans un sens ou dans un autre. Un leader est jugé selon ses décisions, s’ils reflètent ou pas le bien-être du peuple.  L'histoire nous démontre qu'un bon leader, même s'il n'a pas été élu par le peuple, finit par être aimé grâce à ses actions positives. N'importe quel régime est bon, si le peuple est heureux et s'il joui de la justice et de la libre expression. Il faudrait pour certains toute une vie pour saisir certaines vérités. Il n’est pas donné à chacun de distinguer entre le faux et le vrai. Le fait d'être soi-même victime ne donne pas le droit de rendre d'autres victimes.

 

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même, » nous conseille la bible. « Tout ce que vous voudriez que les hommes fassent pour vous, vous, pareillement vous aussi faites-le pour eux » (Matthieu MT 7-12). Malheureusement quand la confiance est ébranlée, elle laisse la place à la méfiance et aux faux jugements. Ceux qui dirigent tombent souvent dans les pièges qu'ils se créent eux-mêmes. Certains sont encouragés par des conseillers qui souvent servent leurs propres intérêts, d'autres par la peur, certains par l'esprit de grandeur ou par le nationalisme tout court. Des innocents de part et d'autre sont devenus des victimes. Le nazisme était la cause principale des tragédies du siècle passé, des changements de frontières et des mouvements de populations. Des peuples entiers ont été déracinés de leurs maisons, de leurs villages ou de leurs villes, des millions ont été massacrés. Par contre, d'autres ont regagné leur indépendance. Ceux qui ont été privés de leur liberté ne lèveront pas aujourd’hui un doigt pour qu'un autre peuple accède lui aussi à son indépendance.

 

Nous jouons tous avec le vrai semblant de la justice, tant que nous n'aurions pas saisi son vrai sens. Il est facile de plaider son point de vue, mais il est courageux de reconnaître le point de vue des autres. La faiblesse humaine triomphe à chaque coup. Nos ancêtres étaient parfois plus avancés que nous dans certains domaines, ils n'étaient pas encombrés par tout ce matériel qui nous ensorcelle et paralyse nos âmes. L'histoire se répète constamment. Les injustices continuent sous une forme ou une autre. L'homme ne tire des leçons de l'histoire, que lorsqu'elles conviennent à ses buts. Celui qui cherche la justice, la trouvera dans le tréfonds de lui-même et de sa conscience.

Le peuple juif a vécu des siècles en harmonie avec les peuples arabes et précisément avec le peuple tunisien. Nous pouvons citer des tas d'exemples de l'histoire. Oui, il y a eu certaines injustices mais elles n’ont pas atteint les degrés que nous connaissons. Mais pour ceux qui ont été touchés c’était un désastre qu’il ne faut pas ignorer, depuis le règne du roi David et du roi Salomon. Que nos ancêtres fussent installés avant ou après les Arabes ou avant ou après les Romains, cela m'est bien égal. Je suis né en Tunisie et cela me suffit pour dire que je me sens égal et je partage les mêmes affinités avec certains qui sont nés ou ont vécu en Tunisie. S'il y a eu des changements en Tunisie pour le bien ou pour le mal ceci ne changera rien à mes sentiments d'alors et d'aujourd'hui. Comme dans le passé, il faudrait beaucoup de bonne volonté et surtout du courage pour confronter les problèmes créés de part et d'autre. C'est la sagesse de Salomon dont on a besoin aujourd'hui, et pas les canons et les avions qui nous rendent esclaves des marchands d'armes. 

 

A quoi servent le génie humain, nos philosophies et nos cultures, s'ils conduisent les hommes à l'abattoir ?  Sommes-nous troublés par un certain progrès ?  Pour certains la vie simple, où le mot "Y’ Aaychek" (je t'en prie) ou (que Dieu te garde) conserve encore sa valeur, où la bonté dépasse la force de la loi que l'homme a instituée, existe encore. Y a-t-il plus beau que cette considération que nos vieux appréciaient et respectaient ? Que nous restera-t-il si toute la vie humaine se basera uniquement sur des l

 

Nous devons créer l'atmosphère propice de confiance réciproque comme nos parents nous l’ont enseigné pour jouir de la paix et de la douceur de la vie.  Ni la malice, ni la force, ni la richesse ne nous conduiront vers le bon chemin, que nos géants, prophètes ou maîtres ont tracé pour nous. Ils nous ont donné les bases du chemin à suivre, qui commence par notre conduite quotidienne envers nos prochains et nous-mêmes. Le vrai combat est le combat à l’intérieur de nous-mêmes. Nous aurons tôt ou tard à le faire. Dieu n'a pas besoin de nos sacrifices ni de nos prières que l'on récite chaque jour comme des perroquets. N'est-il pas préférable de dédier notre temps à nous-mêmes et à nos prochains? 

 

 Les paroles de nos prophètes nous enseignent la charité, la bonté, l'amour, la pureté et l'honnêteté. Ce sont les bases de leurs enseignements. Chacun a le droit de prier à sa façon, l'essentiel est qu'il trouve la paix en lui-même et avec sa conscience, afin de créer l'atmosphère propice pour son épanouissement dans l’amour et le bonheur. Chaque minute et chaque jour doit servir à l'homme pour s'élever au-delà de la matière et des mesquineries de tous les jours. L'homme pourra élever son esprit et son âme vers la volonté de notre Créateur. Chacun interprète les paroles de ces prophètes à sa guise.

 

Nous avons hérité déjà à la naissance, la force de la création, la force de la volonté et la force de la foi.  Si nous saurons user de ces trois forces nous pourrons accomplir des merveilles. Si je devais choisir entre les êtres, je ne tiendrais pas compte des religions qu'ils pratiquent, car dans le fond chaque religion prend ses sources de la même vérité.  Les simples personnes honnêtes, qui confrontent tous les jours la nature comprennent mieux parfois le sens de la vie. Ils nous paraissent parfois trop simples, mais c'est justement dans la simplicité absolue que la vérité peut se dévoiler à nous. Certes il est bien d'atteindre un niveau intellectuel, à condition que celui-ci ne nous fasse pas perdre la simplicité qui est née avec nous, car nous serions des êtres dépourvus du sens de la vie et des sentiments qui animent notre vie.

 

Toute religion est bonne si elle nous fait aboutir à une sagesse universelle et  à préserver le sacré de la vie et la dignité de l'humaine. Les hommes du monde ne sont-ils pas les enfants de la lumière ? Que m'importe à quelle religion mon prochain appartient ?  Aucune religion n'est meilleure que l'autre. Je les respecte toutes. Chaque religion a dans son essence les traces divines.  Il faut simplement les pratiquer honnêtement, avec beaucoup de tolérance envers les autres et envers soi-même, sans excès ou fanatisme.  Il faut savoir créer tous les jours la joie dans le cœur. « Le cœur rempli d'amour ne meurt jamais, » dit un poète oriental. Tôt ou tard c’est nous-mêmes que nous devons confronter.  Nous devons confronter la vie en face sans image et imagination. Il faut prendre du recul avant d'avancer plus loin, mais ne pas rester cloué sur la même place par souci de ne pas faire d'erreur.  On dit bien que « celui qui fait quelque chose fait des erreurs et seuls ceux qui ne font rien n’aurons pas l’occasion de faire des erreurs ».  Il vaut mieux appartenir à la catégorie des hommes qui agissent qu'à ceux qui ne font rien.  On se presse pour ne pas perdre le temps, mais nous le perdons en avançant trop vite vers le faux. Un proverbe dit: « Il faut vivre comme si nous devions mourir demain, mais il faut apprendre comme si nous vivrons éternellement. »

 

Nous avons connu l'hospitalité, la politesse, la tolérance, la gentillesse et la générosité.  La sagesse que nos parents et nos ancêtres nous ont laissée pourrait disparaître avec le monde dans lequel nous vivons si nous restons insensibles à nos prochains dans le présent et dans le futur. Voici l’héritage spirituel que je veux laisser à mes enfants. Ma génération, les Musulmans, les Chrétiens et les Juifs, nous voyons disparaître devant nos yeux la génération qui nous a précédés et qui nous avait nourris de sa sagesse.

 

Certains on déjà vu le départ de leurs parents. Ils nous ont donné des exemples pratiques de la vie, de l'harmonie et du respect pour son prochain. Notre génération porte un fardeau lourd, elle est le trait d'union entre les générations passées et celles du futur. Il est de notre devoir et notre  intérêt de jeter des ponts, si cela est nécessaire, en rappelant à tous ceux, qui ont oublié ou ont quitté jeunes leur pays, le bon et le beau que nous avons connus.

 

Les Juifs de Tunisie ont réussi à recréer l'ambiance tunisienne, que ce soit à Paris, à Nice, à Londres, à New York, à Los Angeles, à Montréal, à Tel Aviv ou à Béer Chéva. Rien n'avait pu effacer les siècles vécus en Tunisie et encore moins les mélodies et les chants judéo-arabes et judéo-andalous qu'ils avaient entendus lorsqu'ils étaient encore sur les genoux de leurs mères et grands-mères. Nous retrouvons presque partout dans ces villes les briks aux pommes de terre ou les briks à l'œuf. Le couscous et les boulettes font concurrence aux plats du Moyen Orient. Nous trouvons aujourd'hui, en France comme en Israël des nouveaux chanteurs et compositeurs tunisiens, qui n'ont même pas connu la Tunisie. Ils composent, jouent et chantent les chansons tunisiennes et arabes. Ils ont hérité de leurs parents la langue, les airs les rythmes tunisiens. La nouvelle génération née à l'extérieur de la Tunisie ne sent ni la nostalgie ni le regret. Ces jeunes pris par les nouvelles cultures, ne savent rien de la nôtre. Ces cultures sont parfois à l’opposé de la culture des parents, mais ils sentent la nostalgie imprégnée dans le cœur des plus âgés. On les voit d'ailleurs dans les mariages et les communions se perdre même pour un moment, comme ils le disent, dans l'ambiance qu’ils prétendent ne pas être la leur.

Cette réticence est le résultat d'une certaine insécurité due à l'influence de deux cultures juxtaposées. Mais pour les parents qui ont quitté leur pays natal, ils ont du mal à s'adapter à leur nouvel environnement, tout en voulant garder leur héritage et leur mode de vie.  

 

 Quand on écoute la musique arabe ou tunisienne on se rend compte qu'on est différent.  Que nous soyons des diplômés d'université ou des simples ouvriers, nous sommes sensibilisés par cette musique et propulsés dans un monde qui n'existe qu'en nous et si ceux qui nous entourent ne se réjouissent pas de ces sons que nous aimons, nous ne nous sentons pas à l'aise. Ça va de même pour les Musulmans tunisiens qui n'ont pas grandi dans la même atmosphère. La musique tunisienne est différente de la musique occidentale et même arabe du Moyen Orient. 

 

Que ceux qui ont vécu en bon voisinage avec diverses communautés et reconnaissent la valeur de cette diversité ethnique sache la communiquer à leurs enfants. Nos mamans, chrétiennes, musulmanes ou juives, nous disaient : « Etkhasmou Ou Matedarbouch, » ce qui veut dire, « chamaillez-vous et nous vous battez pas. »  J'ai connu Tunis lorsque la Hara existait encore, lorsque Bab Esuiqa grouillait de vie, lorsque Souk El Legrana et Souk Enhass étaient pleins de marchants juifs et musulmans, qui ensemble animaient  la vente et l'achat.

 

On me dit qu'il y a Belleville la même chose qu’à Tunis. C'est certain que l'on trouve quelque chose de semblant à Belleville, mais qu'elle comparaison? Lorsqu’à Sidi Mardoum ou Sidi Bouhdid je pouvais prendre mon café ou mon thé et faire un Kif, lorsque je pouvais me mélanger à mes amis musulmans de Halfaouen et écouter ensemble la même musique d’Ali Riahi, sans parfois même connaitre les voisins de table, nous faisions ensembles un Kif. Peu m’importe à quoi nous croyons ; après tout nous sommes les seuls à nous comprendre. Alors, oublions les erreurs faites dans le passé ! Esmah ! J'ai visité Tunis avant et après ; le gout du café n’était pas le même. On m'a fait visiter récemment La Goulette, La Marsa, Salombo, Hamam Elif, Rades ; et bien c'est bien triste si l’on veut comparer le Tunis d'hier avec le Tunis d'aujourd'hui, sans la communauté  juive qui a existée pendant des siècles ; Halquelouad - La Goulette sans les Italiens.

 

La Tunisie me parait être mutilée de sa partie la plus active, que ce soit du point de vue économique, intellectuel ou culturel. Et ceci parce que certains n'étaient pas clairvoyants.  A mon avis le mal est plus profond - nous ne pouvons même plus faire un petit tour chez Bichi ou chez Khamous, prendre un petit apéritif suivi d'un michoui ou un homs bel camoun chez Daida. Oui, on me dit que je peux avoir cet apéritif à Beer Sheva, ou à Belleville. Je sais que je peux avoir tout cela même chez moi, mais ce n'est pas le côté gourmandise qui me fait souffrir, loin de là, c'est l'anéantissement de toute une culture qui ne pourra plus être reproduite par quiconque, même si on use les mêmes scènes, que ce soit en France, aux Etats Unis, en Israël ou ailleurs, ce sont les acteurs qu'on ne peut plus reproduire et sans eux  une nouvelle génération grandira dans d'autres cultures.

 

voudrais pas diminuer une musique quelconque car chacune est une expression de la culture qui l'a créée. Chaque musique a une valeur spéciale pour les personnes qui ont grandi dans son atmosphère. Même entre Tunisiens, les goûts diffèrent. Il va de même pour les civilisations, chacune a sa valeur. Je ne reproche à personne, je fais simplement des constatations d'homme témoin de l'histoire qui voit un monde s'éteindre pour toujours. Aux Etats Unis on se sent peut-être un peu mieux que dans d'autres pays. Ceci est dû à la mosaïque sociale qui est composée de nombreuses ethnies et religions. 

 

Les nouveaux centres créés par les Juifs tunisiens dans plusieurs pays pour recréer l'ambiance, sont devenus aussi des places de rencontre occasionnelles. Les Tunisiens usent les quartiers des restaurants tunisiens pour satisfaire l'envie du moment, d'autres viennent se réconforter. Ces quartiers sont devenus des lieux sociaux où l'on partage ses soucis et ses joies. On entend dans ces restaurants Musulmans et Juifs se dire, « Ya Khouya » (mon frère). Soyons honnêtes, au moins avec nous-mêmes, ne jouons pas avec ces mots sacrés. Si nous le pensons vraiment, « Ya Khouya », alors qu'on le soit. Qu'on le pense seulement n'est pas suffisant.

 

Un Tunisien n’a pas toujours autant d’affinité avec un Egyptien qu’avec un Tunisien. Nous sommes des étrangers, n’importe où dans le monde et le monde ne nous reconnaît que comme tels. L'expression naturelle d'un Tunisien qui se manifeste sous une forme ou une autre et qui dit « Ya Khouya » doit être  honnête et pure car nous sommes vraiment des frères sémites. Nous sommes non seulement les descendants d'Abraham, mais aussi nous sommes apparentés du côté de Moïse, qui était Hébreu et qui avait marié Tzipora (ou Safra en arabe), la fille de Yetro qui était le cheik de Médian et qui appartenait aux tribus d'Arabie. Le plus important de tout cela c’est que nous sommes nés de la même terre qui est la Tunisie le pays qui nous a vu naître. C’est un fait que personne ne pourrait contester.

 

Je sais qu’au Moyen Orient il y a eu des injustices ou des fautes de faites par l’un et par l’autre. Peut-on faire tourner la roue en arrière sans causer de nouvelles injustices, que ce soit de la part des Juifs ou de la part des Arabes ?  Même si la bonne volonté existe, la plupart des refugiés juifs ou arabes ont vieilli, sont devenus malades ou morts. La nouvelle génération ne connaît rien de tout le passé, à part la haine plantée. Est-ce cet héritage que les Juifs et les Arabes veulent laisser à leurs enfants ?

 

Voyons ensemble les choses comme elles sont et chacun se doit de juger pour lui-même, sans haine, mais avec calme et en pleine connaissance des faits. Est-ce que l’Alsace et  la Lorraine vont retourner à l’Allemagne ? Est ce que la Corse va retourner à l’Italie ? Est-ce que le Kurdistan va retourner aux Kurdes ? Ou bien, un des plus grands territoires du monde qui est actuellement les Amériques, va-t-il retourner aux Indiens ?  Durant son voyage en Jordanie, Bourguiba avait bien dit : «  il vaut mieux faire la paix avec Israël que la guerre, car nous avons tous à gagner. » Voila un homme qui connaissait bien les Juifs et dont plusieurs étaient ses bons amis qui l’avaient servi avant et après l’indépendance de la Tunisie.

 

Il faut être juste et reconnaitre que le territoire actuel d’Israël appartenait bien au peuple juif. La preuve en est que les Juifs ont 3000 ans d’histoire dans la terre promise. La Mosquée Omar était bien construite sur le temple juif et sur son esplanade. Quelqu’un peut-il contredire ces faits ? Même le fameux et noble Saladin (Salah al-Din Yusuf Ibn Ayyub) qui avait conquis Jérusalem n’aurait pas pu le contredire.

  

Tout le monde chrétien ne peut pas ignorer la bible et surtout la présence de Jésus dans la terre promise juive et que Jésus lui-même était un Juif. Les chrétiens et même le Monde Arabe connaissent bien la bible, tous les rois d’Israël et tous les prophètes, sans oublier Moise qu’ils appellent encore aujourd’hui Moussa. Je suis convaincu que le temps remédiera tous les pensées de part et d’autre car l’être humain finira par voir ses propres intérêts et sa vie et finira par se soumettre à la nécessité qui est la maîtresse de la vérité. Les êtres qui géreront demain ces terres finiront par trouver une solution équitable car l’intérêt qui dérivera par la coopération dépassera de loin la haine et les rancunes. Le monde tourne sans jamais s’arrêter et chacun verra et trouvera ce que les parents et grands parents n’ont pas pu trouver.  Nous avons vécu en paix durant des siècles et alors il vaut mieux la paix et la coexistence que la guerre regardons  ce qui est devenue de la Syrie, l’Iraq , la Libye l’Egypte ,  et la Tunisie. etc

 

La vie est belle et ce serait une pure bêtise de la gâcher par les émotions du moment. Comme nos parents nous disait : « Rien ne dure dans la vie. » Actuellement le Monde Arabe, qui est en pleine turbulence, finira lui aussi par reconnaître son intérêt. Après tout, ce ne sont pas les terres qui manquent dans les pays arabes et jusqu'à présent personne ne les a contestées. Il faut une patience de fer pour que tous ces êtres trouvent leur vie comme ils la sentent. Il faudrait des sages et non pas des dictateurs qui usent la vie de leurs citoyens pour faire des guerres et jouir des victoires qui ne durent qu’un moment.

Le réveil est encore loin, car les êtres ne sont encore pas conscients de leur vie.

 

Emile Tubiana

Publier un nouveau commentaire

CAPTCHA
Cette question permet de s'assurer que vous êtes un utilisateur humain et non un logiciel automatisé de pollupostage.
5 + 14 =
Résolvez cette équation mathématique simple et entrez le résultat. Ex.: pour 1+3, entrez 4.

Contenu Correspondant