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La vérité sur l'affaire Rosenberg

La vérité sur l'affaire Rosenberg

 

Il y a cinquante ans, les époux Rosenberg montaient sur la chaise électrique. Coupables ou innocents : espions au service de l'URSS ou victimes du « fascisme américain » ? L'affaire a divisé l'opinion mondiale. Archives et témoignages démontrent aujourd'hui sans appel leur culpabilité.

Le 19 juin 1953 à 20 heures, Julius Rosenberg, Juif new-yorkais de trente-cinq ans, meurt sur la chaise électrique. A 20 h 06, c'est au tour de sa femme, Ethel, Juive new-yorkaise âgée de trente-sept ans. Ils laissent deux orphelins : Michael, dix ans, et Robert, six ans.

Deux ans auparavant, le 29 mars 1951, Julius et Ethel ont été déclarés coupables d'espionnage au profit de l'URSS, à l'unanimité d'un jury populaire américain. Le 5 avril suivant, le juge a délivré sa sentence : condamnation à mort. Depuis, leur avocat a déposé 26 recours en appel, tous rejetés.

Au lendemain de la condamnation, l'affaire ne suscite guère de remous. Jusqu'à ce que, à la mi-1952, les communistes lancent une campagne mondiale pour sauver les Rosenberg, qu'ils déclarent innocents et victimes du nouveau fascisme américain. La condamnation des époux pour espionnage ne ferait que masquer l'antisémitisme du pouvoir des États-Unis. Une thèse défendue par ceux qui ne veulent pas voir la campagne de purges déclenchée par Staline contre les Juifs d'Union soviétique dès 19491.

Le 17 juin 1953, l'avant-veille de l'exécution des Rosenberg, le PCF organise à Paris une grande manifestation pour tenter de les sauver... Les intellectuels français se déchaînent dans un pathos sentimental à la gloire des deux « héros et martyrs » - Gallimard publie la correspondance entre Julius et Ethel sous le titre Lettres de la Maison de la mort . L'antiaméricanisme est à son comble. Les Américains sont accusés d' « hystérie collective » , de « psychose » , de « meurtre collectif » , d' « anticommunisme frénétique » , de « société en délire » .

Dans Le Chant interrompu Gallimard, 1955, l'historien catholique Jacques Madaule déclare qu'il s'agit d'une « affaire Dreyfus pire que la première » et que « l'antisémitisme hitlérien était plus franc » . Jean-Paul Sartre est le plus virulent, parlant de « lynchage légal » , de « meurtre rituel » , de « sacrifice humain » et concluant : « Ne vous étonnez pas si nous crions, d'un bout à l'autre de l'Europe : «Attention, l'Amérique a la rage.» Tranchons tous les liens qui nous rattachent à elle, sinon nous serons à notre tour mordus et enragés. »

C'est que la campagne menée en faveur des Rosenberg excède largement le cercle des communistes, et même de leurs sympathisants. On peut en mesurer l'efficacité à la lecture duBloc-Notes de François Mauriac, prix Nobel de littérature en 1952, pourtant peu suspect de complaisance vis-à-vis de Staline.

Lorsqu'un jeune intellectuel progressiste, Marc Beigbeder, lui écrit pour le « sommer » d'intervenir en faveur des Rosenberg, Mauriac a beau jeu de répliquer à son correspondant que celui-ci « est lui-même au service d'un empire concentrationnaire où des Rosenberg à coup sûr innocents ont été sacrifiés et continuent d'être sacrifiés par millions » et qu'il ne l'a pas vu « le moins du monde gêné par les pendaisons de Prague et autres lieux » .

Cependant, Mauriac lui-même finit par être touché par l'appel à l'humanité des chrétiens. En juillet 1953, à la Mutualité, à Paris, il préside devant « beaucoup de monde » un meeting catholique en faveur des Rosenberg, au cours duquel le philosophe Jean Lacroix n'hésite pas à clamer que les époux ont été « lynchés » .

Un demi-siècle plus tard, la thèse est reprise dans un livre au titre évocateur, Les Rosenberg, la chaise électrique pour délit d'opinion 2 : les Rosenberg auraient été purement et simplement victimes du maccarthysme3. Cette approche est si communément admise qu'en 1968 Alain Decaux en fait le sujet d'une pièce à succès, jouée en France et à l'étranger. Vingt ans après, saisi de doutes, il en interdit officiellement toute représentation.

En effet, la thèse de l'innocence des Rosenberg s'effondre face au déferlement d'archives et de témoignages apparus avec la chute du système communiste.

Déjà, à la fin des années 1970, l'Américain Ronald Radosh, pourtant fervent partisan des Rosenberg, avait dû conclure, après avoir consulté les 200 000 pages du dossier de la justice américaine, que Julius était bien un espion4.

Puis, en juillet 1995, la CIA a dévoilé l'affaire Venona, du nom d'une opération de décryptage des messages radios soviétiques engagée dès 1943 par les services américains5. Or plusieurs dizaines de ces messages démontrent que, sous les pseudonymes de « Liberal » et d'« Antenne », Julius Rosenberg avait espionné pour le compte de l'URSS depuis 1942.

Et que sa femme était au courant de ses activités.

Enfin, en 1999, Alexandre Feklissov, officier supérieur du KGB de 1939 à 1986, en particulier comme directeur de la section américaine à la 1re direction, publiait ses Mémoires6. Feklissov avait été à New York l'officier traitant de Julius, qu'il avait rencontré clandestinement des dizaines de fois. Il confirme la plupart des affirmations portées par le FBI lors du procès de 1951.

Feklissov considère même le réseau de Julius comme « l'un des trois principaux réseaux clandestins soviétiques [de renseignement] pendant et juste après la Seconde Guerre mondiale » , avec les Cinq de Cambridge réseau dirigé par Kim Philby, infiltré à la tête du contre-espionnage britannique et dans l'entourage de la reine et le réseau d'espionnage atomique constitué du savant Klaus Fuchs, l'un des concepteurs de la bombe atomique américaine. Il s'agit pour lui de « l'un des réseaux clandestins les plus performants de l'histoire du renseignement technologique soviétique » .

Florin Aftalion, professeur à HEC, a repris le dossier dans une brillante synthèse de l'ensemble de la nouvelle documentation, tant américaine que soviétique : La Trahison des RosenbergJ.-C. Lattès, 2003. Il ressort, d'une part, que Julius a été un agent soviétique, recruté dès 1942.

D'autre part, qu'il se trouvait à la tête d'un réseau qu'il avait constitué lui-même en recrutant parmi ses connaissances : David et Ruth Greenglass, sa belle soeur et son beau-frère qui travaillait au centre ultra-secret de Los Alamos, au Nouveau Mexique, où était fabriquée la bombe atomique ; Ann et Michael Sidorovitch, chargés de microfilmer les documents ; Joël Barr et Alfred Sarant, deux ingénieurs qui, de 1943 à 1945, ont livré plus de 9 000 pages de documents considérés par les Soviétiques comme « très précieux » . Également William Perl, spécialiste des avions à réaction et des missiles, qui a remis plus de 5 000 pages ; Morton Sobell, spécialiste des systèmes de guidage, qui a transmis des milliers de pages ; Max Elitcher, enfin, qui fut peu actif.

Ainsi, pendant des années, Julius a assuré les contacts clandestins avec ses sources, la collecte des documents et leur microfilmage. Il a lui-même volé et livré à Feklissov, à Noël 1944, un détonateur de proximité. Sans doute l'un des secrets les plus importants en dehors de ceux concernant la bombe atomique.

Une partie du réseau de Julius Rosenberg touchait bien à l'espionnage atomique, puisqu'à l'été 1945 Greenglass a fourni aux Soviétiques d'une part des croquis de lentilles et des notes explicatives concernant le détonateur de la bombe A ; d'autre part le schéma d'une bombe à implosion avec note explicative. Et surtout la liste des savants travaillant à Los Alamos.

Feklissov affirme que Julius a aidé à l'exfiltration de ses agents, et l'a parfois organisée lui-même. Celles de Greenglass, Perl et Sobell furent ratées. Mais Barr et Sarant, rapatriés en URSS, prirent la tête à Moscou de très importants laboratoires militaires.

Et Ethel ? Elle était au courant des activités de Julius : un télégramme « Venona » la cite comme connaissant ses activités et la qualifie de « personne dévouée » . Feklissov confirme qu'elle « connaissait sans doute la collaboration de son mari avec le renseignement soviétique » . L'original de ces télégrammes a aujourd'hui été retrouvé à Moscou7. Complicité qui lui valut un impitoyable châtiment que seul peut expliquer le manichéisme de la guerre froide.

Fervent adepte du communisme stalinien, très sensibilisé à la lutte contre l'antisémitisme nazi, fasciné par le combat titanesque mené par les peuples de l'URSS contre l'Allemagne, Julius s'était construit un monde intérieur. Il se prenait pour un « partisan new-yorkais » en guerre contre le nouveau fascisme, l'Amérique.

Arrêté, il décida de ne pas capituler devant l' « ennemi » , entraînant Ethel à le suivre. Des aveux auraient pu les sauver jusqu'au moment de l'exécution - un téléphone était à cet effet installé à côté de la chaise électrique.

Mais, enfermé dans une mythologie du sacrifice pour l' « avenir radieux » , Julius a choisi la mort et la gloire du martyr.

Par Stéphane Courtois

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