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L'an I de la révolution arabe

 

L'an I de la révolution arabe

 

 

 

La révolution arabe a commencé par une gifle, il y a bientôt un an, en Tunisie. Même si de nombreuses incertitudes demeurent quant à sa signification ultime, son étendue finale, sinon son calendrier, le temps d'un premier bilan est venu.

Le plus important est que le processus se poursuit et va continuer de s'étendre. Là où l'incendie ne s'est pas encore déclaré, le feu couve déjà. Aucun pays ne peut prétendre être une tour d'ivoire. Il est ainsi peu probable que l'Algérie ne soit pas affectée à son tour après la Tunisie et le Maroc. Et que dire de l'Arabie saoudite qui va traverser une période de succession complexe ? A travers sa révolution, le monde arabo-musulman entre à sa manière dans la modernité. Une modernité singulière qui passe par l'étape imposée de l'islamisme. Ses partisans ont incarné la résistance de la société civile face au despotisme et à la corruption des régimes en place. L'hiver 2010-2011 ne restera peut-être pas aux yeux des historiens comme celui du printemps arabe : une référence culturelle trop euro-centrée. Il n'en constitue pas moins un tournant de première ampleur, peut-être le plus important, depuis l'effondrement de l'Empire ottoman en 1916-1917. L'expression de révolution arabe, avec tout ce qu'elle implique d'accidentel et d'inéluctable, s'impose donc.

Mais derrière la réalité et l'unicité du fait révolutionnaire et la montée inéluctable des partis islamistes, il y a l'extraordinaire diversité et complexité des situations locales. Chaque pays est un cas singulier. En Egypte, « l'empire du Milieu » de cette partie du monde, on s'interroge encore sur la signification des événements. La révolution qui avait été « confisquée » par les militaires commence-t-elle enfin ou est-elle déjà en train de s'achever de la plus inquiétante des manières, à l'ombre du fanatisme religieux ?

En Syrie, les « Balkans de la région », le pays stratégiquement le plus sensible après l'Egypte, le régime Assad est-il en train de tomber comme un fruit pourri en dépit du soutien important qu'il reçoit de l'Iran des ayatollahs ? Où sommes-nous à la veille d'une véritable guerre civile qui, derrière le combat des factions sur le terrain, opposerait par personnes interposées l'Iran et l'Arabie saoudite, heureux d'en découdre loin de leurs territoires ? Et que penser de l'engagement toujours plus visible d'une Turquie partagée entre la volonté de se protéger à ses frontières et celle d'étendre son influence ? De telles interprétations, un peu trop machiavéliques, ne doivent pas faire oublier l'essentiel, c'est-à-dire le combat d'une population pour sa liberté face à l'oppression d'un régime qui creuse sa tombe en répandant le sang de son peuple.

En Tunisie et au Maroc, la victoire d'islamistes modérés qui invoquent le modèle turc pour rassurer le monde occidental et ne pas « désespérer les touristes »,a sans doute une signification différente dans chaque pays. La légitimité religieuse dont bénéficie le régime monarchique au Maroc constitue pour lui une garantie de stabilité relative dont ne bénéficie pas la Tunisie. En ce qui concerne la Libye, les risques de désordre et de confusion demeurent très grands. Et si la Libye se révélait un jour être plus proche d'un scénario à l'irakienne : la démonstration que le monde occidental remporte plus facilement les guerres qu'il ne gagne la paix ?

La troisième leçon de la révolution arabe nous concerne directement en tant qu'Européens. Les différences entre 1989 et 2011 sont certes considérables. Les pays affectés par le processus révolutionnaire de l'autre côté de la Méditerranée n'ont pas vocation à rejoindre l'Union européenne. Nos caisses sont aussi bien plus vides aujourd'hui qu'elles ne pouvaient l'être alors. Et pourtant, les leçons de 1989 sont toujours valables. C'est parce que nous avons démontré trop de compréhension pour les régimes en place, en Europe du Centre et de l'Est comme dans le monde arabe et au Maghreb, que nous devons faire preuve aujourd'hui d'un mélange d'ouverture et de discernement : autrement dit, ni peur ni irénisme. L'islamisme n'est pas et ne sera jamais - l'Iran des ayatollahs en est la démonstration éclatante -la réponse aux défis de la région qui sont avant tout économiques et sociaux. Le problème n'est pas de voiler les femmes, mais d'ouvrir les esprits, sinon de nourrir les corps.

 

Ecrit par

Dominique MOÏSI

Dominique Moïsi est conseiller spécial à l'Ifri

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