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Les derniers jours de Bachar al-Assad, par Bernard-Henri Lévy

 

Les derniers jours de Bachar al-Assad, par Bernard-Henri Lévy

 

 

 

C’est un exilé récent que me présente Bernard Schalscha, cet ancien trotskiste qui, au sein de La Règle du jeu, rassemble, depuis huit mois, les informations sorties de Syrie et attestant la sauvagerie de la répression à Homs, Hama ou Qousseir. L’homme nous raconte les torturés. Les mitraillés. Les enterrements dont profitent les miliciens pour être bien certains de faire des cartons. Et ces nuages de fumée faisant comme un voile de crêpe noir au-dessus des têtes qui, même alors, refusent de plier. Pour lui, la cause est entendue. Un pouvoir qui se conduit ainsi, un pouvoir aussi méthodiquement assassin, un pouvoir qui vous plonge la tête dans le sang, votre sang, quand vous osez la relever, est un pouvoir à l’agonie, fini, aux abois, condamné – question de jours, question de semaines, mais condamné.

 

C’est un officier supérieur de l’armée syrienne. Il est plus âgé. Beaucoup plus. Et il est en Occident, lui, depuis plusieurs années déjà. Avec sa carrure de vieil athlète, son cheveu ras, son front légèrement bosselé (la trace d’anciennes tortures ?), il ressemble à Gregorious, le boxeur des « Forbans de la nuit » de Jules Dassin. Il connaît le régime à fond. Il est en contact avec d’autres officiers, plus jeunes, qui sont l’armature de l’armée et, en ce moment même, désertent. Il a des informations précieuses, et fraîches, sur l’état de démoralisation, l’indécision nouvelle, le début de panique aussi, où sont ses pairs restés fidèles au régime mais qui, soudain, n’y croient plus. Pour lui non plus, l’issue ne fait pas de doute. Pour lui aussi, les jours de la dictature sont comptés.

 

C’est Rifaat el-Assad, le propre oncle de Bachar – le frère de son père, Hafez el-Assad, qui fut le fondateur de la dictature, son architecte. Je l’avais déjà rencontré une fois, à Londres, il y a six mois. C’était le début de la guerre de Libye. Le début du bain de sang en Syrie. J’avais été frappé, déjà, par sa ressemblance hallucinante avec ce frère dont il fut, longtemps, avant leur brouille, l’exécuteur des basses œuvres, le double : le même visage long et triste ; le crâne haut, presque hydrocéphale ; des orages, parfois, dans le regard ; des rires soudains et un peu diaboliques. Sauf qu’il avait rompu, lui, déjà, avec le régime. Il était, depuis son exil londonien, avec ses fils, en contact avec quelques-uns des transfuges du système. Il la connaît mieux que quiconque, cette clique alaouite qui a fait main basse sur son pays. Il l’a, avant de s’en dissocier, accompagnée pendant des décennies et la connaît donc de l’intérieur. Pour lui aussi, Bachar, son neveu, n’avait qu’une chance de s’en sortir : réformer. Il n’a pas saisi cette chance. C’est fini.

 

Ces trois hommes, si différents soient-ils, sont d’accord sur un point : un régime qui tire sur son propre peuple, qui le considère comme viande de boucherie, un régime qui ne connaît plus d’autre langue, pour parler à ses sujets, que celle des avions de chasse et des canons, a perdu toute espèce de droit, de légitimité, à gouverner. A plus ou moins court terme, en vertu d’un scénario qui, à la réserve près du dernier acte, n’est pas encore tout à fait écrit, sa chute est inévitable. Dans l’histoire du XXIe siècle, cette loi porte déjà un nom – c’est le théorème de Kadhafi.

 

Ces trois hommes s’accordent sur un deuxième point : l’isolement grandissant du régime ; la multiplicité des voix qui montent, de plus en plus puissantes, des profondeurs du monde arabe, pour le contraindre à désarmer ; les partenaires d’Assad, ses « frères », tous ceux qui, si longtemps, au sein de la Ligue arabe, avaient fait rempart au père comme aux autres dictateurs de la région, et qui commencent de lâcher le fils. Le monde a changé, disent-ils. Les droits de l’homme, les droits des peuples sont, dans cette partie du monde aussi, une idée neuve. Et une puissance régionale est née, qui s’appelle le Qatar et qui, avec ses calculs, ses arrière-pensées, ses ambiguïtés, pèse désormais de tout son poids pour empêcher de nuire les régimes les plus sanguinaires. Comme en Libye ? Eh oui, comme en Libye ! La jurisprudence Libye, encore une fois. La même force, les mêmes forces, produisant les mêmes effets. Comment les intéressés ne le voient-ils pas ? En vertu de quel autisme Bachar ne comprend-il pas que la même coalition est en train de prendre forme, qui eut raison de Kadhafi et qui aura raison de lui ?

 

D’autant qu’il y a un dernier point sur lequel sont en train de s’accorder mes trois interlocuteurs. C’était un tabou, jusqu’à présent. C’était le mot qu’il ne fallait surtout pas prononcer. Et il se trouvait même, en France, des hommes – je les ai rencontrés lorsqu’a été organisé, avant l’été, autour de La Règle du jeu, un meeting de soutien aux civils syriens assassinés – pour dire qu’ils préféraient encore mourir qu’avoir à le proférer. Ce mot c’est : « intervention ». Ou, mieux : « intervention internationale ». Pourquoi ce qui a été fait en Libye ne l’a-t-il pas été en Syrie ? A ce deux poids et deux mesures, à ce scandale d’iniquité, plusieurs raisons. Mais celle-ci, déjà : les Syriens, contrairement aux Libyens, ne le demandaient pas. Souvent même ils s’y refusaient. Eh bien, cela aussi est en train de changer. Et c’est la dernière raison pour laquelle le régime de Damas est condamné.

 

Avec Assad, la guerre est déclarée.

 

Photo : D.R.

 

Source : la Règle du Jeu

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