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LOMBROSO - Une Famille Italo ibérique à Tunis dans la seconde moitié du XVII° Siècle, par Elia Boccara

Livourne - vieille ville

 

LOMBROSO

d'après une Etude de Elia Boccara

 

 

Une Famille Italo ibérique à Tunis dans la seconde moitié du XVII° Siècle

« La famille Lombroso était la plus importante, ou l'une des plus importantes famille Grana en raison de sa prééminence économique et sociale, de la permanence de son implantation à Tunis, qui remonte au début du XVII° siècle, ainsi que par le rôle de ses membre, au fil des générations, dans le cadre de la communauté ».

Anna Avrahami Foa

Dans cette publication l'auteur traitera d'abord des origines de la famille Lombroso pour décrire ensuite son activité à Tunis dans la seconde moitié du XVII° siècle jusqu'en 1710 lorsque fut créée à Tunis la Communauté Hébraïque Portugaise. Pour atteindre ce résultat il a tenté de réunir et de synthétiser les fruits de diverses recherches sectorielles complétées par des enquêtes personnelles auprès des Archives d'Etat de Venise et Livourne ainsi qu'au Central Archives for the Historyof the Jewish People de Jérusalem, dans les archives de la chancellerie du Consulat de France à Tunis, mises en forme par Pierre Granchamps, ainsi que dans la correspondance du négociant français Nicolas Béranger la quelle a été intégrée par Grandchamps dans les trois derniers volumes que celui-ci a consacré aux dites archives.

Origines Vénitiennes

J'ai volontairement adopté la forme LOMBROSO mais le patronyme écrit en hébreu permet aussi de l'orthographier LUMBROSO. Au moyen age en Espagne on rencontre la forme LUMBROSO ce qui en espagnol signifie lumineux (cf Julio Casares, Dictionario Ideologico de la lengua espagnol, Barcelona 1966). Mon choix s'est basé sur la prédominance presque absolue de cette forme dans la période considérée, entre autre dans les procès de l'Inquisition de Venise, Pise et Rome, dans les actes de la ASV que j'ai pu consulter ainsi que chez A. Luzzatto: « La Communità Ebraica di Venezia e i suoi cimiteri », Milan 2000.

Dans les « Actes de Tunisie » recueillis par Grandchamps* il y a une prédominance très nette de la forme Lombroso ou Lombrozo, et même de Lambroso alors que Lumbroso ne se rencontre que pendant quelques années.

Mais en lisant Lumbroso il est établi que parfois Grandchamps est influencé par la forme que ce nom adoptera définitivement du moins dès le XIX° siècle.

Selon mon hypothèse,les membres de ces familles qui en Espagne s'appelaient Rodrigues ou Matos-Maccoca,récupérèrent cet antique patronyme espagnol en l'italianisant légèrement. Il arrive que dans un même document un même personnage soit appelé successivement Lombroso puis Ombroso la lettre initiale prise pour l'article étant tenue pour facultative.(Processi XIII pp. 231 et 232).

Marranes portugais en Italie

Au XVI° siècle, le 27 juin 1552 un Isach Lombroso participe à l'assemblée générale de la Nation Portugaise d'Ancone mais il ne figurera pas à l'assemblée suivante qui se tiendra le 15 septembre 1552 (25).

Le 25 septembre 1557 nous trouvons à Pesare un Samuel Lombroso qui vends du drap de Londres aux portugais Yomtob Attias et Samuel Benmayor (6).

Le 6 janvier 1572 à venise, Mayr Lombroso fils de Isach (qui est cité sous le subterfuge de levantin) se porte garant de l'identité de nombreux autres juifs dits levantins (7).

De 1569 à 1612 à travers une série de documents réunis par Pier Cesare Ioly-Zorattini, il nous est possible de reconstituer, dans ses grandes lignes, la vie de Mayr Lombroso.

En 1600, devant le tribunal de l'Inquisition de Pise, il dit être natif du Caire en Egypte, ce qui lui permet de se présenter comme juif levantin, puis de s'être marié à Salonique avec sa cousine Esther, de s'être établi à Venise en 1569 et enfin à Pise en 1591 (9).

La naissance au Caire est erronée mais vise à fuir l'accusation d'être un renégat accusé d'être revenu au judaïsme après avoir été baptisé chrétien au Portugal.

De fait, dans une déposition du 11 décembre 1594 devant se Saint Office un néophyte romain affirma que: « don Mayr Ombroso était venu du Portugal où il résidait et vivait en chrétien avec sa femme et ses enfants et que, à Pise, lui et ses enfants se sont circoncis (10). Le même déclara en outre: « avoir vu à Pise David Lombroso, portugais, qui, à Pise, avec ses fils s'était fait circoncire alors qu'au Portugal ils étaient chrétiens et vivaient chrétiennement. (11)

En fin dans une note du 16 octobre 1602 il est fait état « de ces portugais qui vivent en juifs et pour les quels on se doit de faire diligence aux fins de retrouver leur acte de baptême. »

Et l'on indique le noms de « David Lombroso, homme de quarante ans avec ses fils » et de  « Mayr Lombroso, sa femme et ses enfants, de ces deux hommes on ignore le prénom chrétien mais à Lisbonne ils se nommaient Rodriguez ».

Pendant son séjour à Pise, Mayr Lombroso qui avait obtenu des autorités grand-ducale le privilège d'établir sur la place une manufacture de tissus mêlés de laine et lin à bas prix (Processi XIII p 13) avait en outre offert à la synagogue de la ville une paire de rimonim ( cf R. Toaff La Nazione Ebrea a Livorno e a Pisa, 1591/1700, Florence 1990 p. 78).

Sans que l'on en connaisse la date exacte Meir Lombroso retourna à Venise où il mourut, sa pierre tombale porte la date de 1612 (13) .

En revenant en arrière nous apprenons que, durant son long séjour vénitien, Mayr Lombroso fit l'objet le 7 juillet 1583 devant l'inquisition de Venise, dénoncé par certains citoyens de Murano qui lui reprochaient de séjourner sur l'île avec sa famille en dépit de l'obligation faite aux juifs de résider dans le ghetto. Il avait même sous loué des appartements à des chrétiens; et, en fin, pendant la procession du Corpus Domini, avec d'autre juifs, il restait à sa fenêtre, «  riant et se gaussant de notre religion » (14).

Le tribunal de l'Inquisition, ne prit pas au sérieux de telles accusations, preuve que Mayr Lombroso était considéré comme un e personnalité respectable. Si bien que le 24 mars 1586 les officiers du Cattaver l'autorisèrent à demeurer à Murano avec d'autres personnes pour encore deux mois jusqu'à la fin Mai  «et qu'ils puisse rester hors de la dite demeure en dehors des heures à eux imposées».

Enfin au cours de mes investigations j'ai découvert qu'en 1629 les V Savi alla Mercanzia étendirent privilèges concernant les juifs à Josué Lombroso, Jacob d'Abram Lombroso et Isach Lombroso

 

Les Lombroso à Tunis

Même si nous n 'avons pas de preuves de la descendance directe des Lombroso de Tunis par rapport à ceux dont nous avons déjà traité il y à des indices qui vont dans ce sens en raison de la coïncidence des différents prénoms.

Dans la première moitié du XVII° siècle seuls deux Lombroso, peut-être parents entre eux, ont laissé des traces à Tunis: Samuel et Abram.

Samuel Lombroso se trouvait à Tunis le 20 octobre 1619, c'est alors qu'il enregistre, avec Yitshaq Baru, trois polices de chargement(17); en 1625 on le retrouve à Alger en relation d'affaires avec la compagnie de David Navarro, à la quelle était associé Moise Israel (18). On le retrouve en 1626 à Livourne où, en 1643 il est blessé au cours d'une agression (19).

On trouve aussi un Yitshaq de David Lombroso à Venise en 1668, le quel reçoit une procuration en provenance de Tunis émise par Reina fille de Salvador Penso (20) veuve de Meier Lombroso, descendant de Mayr Lombroso, aux fins de vendre une maison à Venise et de gérer ses biens(21).

Du même Y. Lombroso nous savons qu'il fut, à Venise en 1662 et en 1664, Parnas (consul) de la

«  Chevra Pidiyon Shevuyim » fraternité pour le rachat des captifs (22). Il se rend ensuite à Tunis où il jouera un important rôle religieux et où il meurt en 1691. Il fut le père de David et Samuel Lombroso qui eux aussi jouèrent un rôle important.

Nous avons déjà évoqué Abram Lombroso lequel est considéré comme le chef de lignage de la branche principale des Lombroso de Tunis. Nous savons qu'il y reçut le 22 avril 1626 une procuration de la part de Moise Israel Peňa – mandataire des orphelins de Moise Israel – aux fins de recouvrer certaines créances du défunt (24).

J'ai tenté de suivre les traces d'Abram Lombroso lequel quitte Tunis pour Livourne où, toujours en 1626, il est associé au déjà nommé Samuel Lombroso dans un procès contre David et Abraham Navarro au sujet d'un chargement de sucres parvenu de Tunis. Puis à nouveau contre David Navarro le 20 février et le 10 septembre 1629 en qualité de curateur des héritiers de Moise Israel (26). enfin le 31 septembre 1633 au sujet d'une somme de 1909 écus.

On retrouve Abram Lombroso à Venise le 20 juillet 1661 à la mort de son commettant Giuseppe Carob dont Abram était l'homme de confiance (28). C'est la même année qu'Abram décide de s'établir à Tunis (29) où depuis une dizaine d 'années opérait son fils Daniel..

On ne peut pas - comme le font M. Rozen(30)et d'autres - identifier cet Abram Lombroso au rabbin Abraham Lombroso qui qui a été enterré à Venise en 1627 (31).

A compter de la seconde moitié du XVII° siècle les descendants d'Abram Lombroso se sont illustrés en Tunisie pendant de nombreuses générations.

Nous ne connaissons de ses enfants que son fils Daniel dont les activités sont notables de 1652 à 1681 (32). Il eut pour fils Avraham, Jacob et Rafael. Dès 1654 Avraham est présenté comme l'associé de son père Daniel. Association qui se poursuit jusqu'en 1662 (33). Avraham réapparaît seul ou associé à son père entre 1680 et 1683. Mais le vrai chef de famille après Daniel sera Jacob dont nous pouvons suivre le négoce de 1674 à 1708, seul ou avec d'autres associés essentiellement sous la raison sociale « Jacob et Rafael Lombroso ».

Les autres Lombroso dont on relève la présence à Tunis semblent peu travailler en nom propre. Peut-être appartenaient-ils à l'entreprise de Jacob ou peut-être encore pratiquaient-ils le commerce local qui n'a pas laissé de traces documentées.

D'après ce qu'écrit le fils de Jacob, Yitshaq Lombroso , dans son livre « Zera' Yitshaq », la Semence d'Yitshaq, (34) Jacob eut trois enfants: Rachel, Yitshaq et Avraham, ce qui pose un problème car j'ai trouvé sept actes à la Chancellerie du Consulat de France au nom de Daniel de Jacob Lombroso, concentrés sur un temps très court entre le 9 juin 1682 et et le 13 janvier 1683.

Un acte intéressant du 14 décembre 1679 (35)réunit Daniel Lombroso et Daniel de Avraham Lombroso: le premier Daniel ne peut-être que le vieux père de Jacob et Rafael, tandis que le second doit être son petit fils, le fils donc de son aîné Avraham. Pour plus de précision dans un acte très important du 30 août 1685 – sur le quel nous reviendrons plus loin – nous trouvons à la suite: Abraham de Daniel Lombroso et Daniel de Abraham Lombroso, il est évident que le second est fils du premier.

La conclusion la plus vraisemblable est que Daniel de Jacob Lombroso après une brève initiation au commerce sous l'aile paternelle est mort très jeune ce qui peut justifier l'oubli de son frère Yitshaq.

Le Daniel nommé par la suite, sans indication de paternité, dans différents actes jusqu'en 1707 est le fils d'Avraham le frère aîné de Jacob et Rafael.

Dans une lettre du 3 octobre 1704 le négociant français Nicolas Béranger parle de Daniel Lombroso Juif de Venise (36). Quant aux deux fils de Jacob, Avraham et Yitshaq ils feront tous deux des études rabbiniques mais Avraham décida par la suite de se dédier au négoce (37), en raison peut-être de la disparition de son frère Daniel.

Tout ce que nous savons de David et Samuel Lombroso, les fils du vénitien, Yitshaq de David Lombroso, est que , selon les documents tunisiens en notre possession, David a exercé son commerce en nom propre à petite échelle de 1687 à 1701 (38) quant à Samuel de Isaac, son nom figure au bas de deux importants documents signés par divers notables juifs de Tunis sur les quels nous aurons l'occasion de nous arrêter, nous y trouvons d'ailleurs un autre Jacob, fils de Meir Lombroso et de Reina Penso (39).

Un certain Josuè Lombroso, accueilli à Venise en 1617 (cf16) s'est ensuite établi lui aussi à Tunis où nous trouvons les traces de cinq opérations commerciales effectuées entre 1667 et 1672 (40).

Nous conclurons ce panorama général des Lombroso présents à Tunis au cours de la seconde moitié du XVII° siècle en signalant un Salvator Lombroso dont un seul acte du 22 septembre 1660 nous apprends qu'il exerçait une activité commerciale à Tunis et qu'il y est décédé(41).

De ce qui précède on conclura à l'origine principalement vénitienne des Lombroso.

 

L'activité économique des Lombroso

I - Daniel Lombroso

L'activité économique des Lombroso à Tunis dans la seconde moitié du XVII° siècle se divise en deux périodes:

La première de 1652 à 1681 est dominée par Daniel Lombroso.

Au cours de la seconde qui court de 1681 à 1708 et au delà s'affirme la forte personnalité de son fils, Jacob de Daniel.

Tant Daniel que Jacob sont entourés de parents et de descendants qui les assistent dans leurs négoces et qui poursuivront leur activité.

Lorsque Daniel Lombroso apparaît sur la scène tunisienne la puissante association entre Isac Alcalaï et David Uziel existe déjà. Tous deux proviennent de Venise avec de probables origines levantines.

Isac Alcalaï entreprend seul son activité à Tunis comme correspondant d' Avraham Uziel de Venise (42); il est ensuite rejoint par son ami David Uziel, peut-être un parent par alliance et certainement un parent de Avraham Uziel.

Daniel Lombroso aura des intérêts en commun avec l'entreprise Alcalaï-Uziel. Tandis que David Uziel disparaît de la scène en 1663 (peut-être par décès) Isac Alcalaï poursuit son activité jusqu'à sa mort de la peste en 1676(44). Le fils Isac, Daniel - qui a renoncer à l'héritage de son père s'engage à rembourser une importante dette de 2700 pièces contractée envers Jacob de Havram Uziel de Venise (45) reste à Tunis où il est sans doute lié à la famille Lombroso; Sa signature figure au bas de deux actes de 1685 et 1686.

De ce qui précède déduira que dans la période allant de 1650 à 1680 le panorama commercial juif à Tunis est dominé par un petit groupe de marchands d'origine Vénitienne, Occidentale ou Orientale, les Lombroso, Alcalaï et Uziel dont le commerce italien est orienté vers Livourne.

La première grosse affaire réalisée par Daniel Lombroso à Tunis - en société avec David de Moise Israel et Daniel Attias - est l'affrètement le 26 février 1652, moyennant 215 pièces par mois, du navire « Sainte Marie Bonaventure » de Martigues avec obligation pour une période de huit mois de

Charger des marchandises à La Goulette (le port de Tunis), Porto Farina, Bizerte, Cap Nègre et Fiumara Salade (deux concessions françaises sur la côte nord de la Tunisie), Livourne, Gènes, Nice, Marseille et d'autres ports de la Provence (46). Notons que comme souvent le bâtiment bat pavillon français.

Selon le régime des capitulations, les navires français étaient théoriquement mieux protégés face aux attaques des corsaires (47); en outre à coté de l'axe Livourne-Tunisie il y avait des relations privilégiées avec la France méridionale en y incluant les escales françaises en Tunisie (Cap Nègre bénéficiait du privilège d'exporter du blé et de l'orge).

Associé à Isac Alcalaï, David Uziel et quelques autres juifs livournais, Daniel Lumbroso acquière le 13 mars 1658 acquière le navire « Le Roi David » pour 2000 pièces de huit Real (48), On trouve là un bon exemple du climat de collaboration qui régnait à Tunis entre ces négociants juifs d'origine ibérique qui après une période d'extrême mobilité se sont établis définitivement dans le pays (49),

Nous n'avons pas dans ce cas spécifique d'indications précises sur les marchandises échangées mais nous savons plus généralement quels étaient les produit qui faisaient l'objet des principales transactions (50),

Les bateaux des royaumes de Naples et de Sicile étaient les plus fréquentes victimes de l'assaut des corsaires tunisiens

Le navire sicilien « Sta ferma e le anime del paradiso », qui transportait un chargement pour le compte de Daniel Lombroso en fit les frais.

Voici la synthèse du récit que le capitaine Francesco Buscaino, de Trapani, fit le 8 février 1660 - à la demande de Lombroso, et à l'usage des assureurs – au Consul de France Jean Le Vacher:faisant voile vers Livourne ils avaient étés capturés, avant de joindre à destination, par un bateau de corsaires tunisiens et entraînés en raison de vents contraires dans les eux sardes où ils furent libérés après onze jours par une escadre française ce qui avait permis leur retour à Tunis(51),

Par un acte du 22 novembre 1672 (52) le négociant marseillais Henri Philip Castelanne promets à Daniel Lombroso de charger pour son compte de 50 à 60 quintaux d'éponges au prix de 4 livres et 10 sols le quintal. Il est évident que le marchand français était le prête-nom de Daniel Lombroso, en y trouvant son intérêt comme cela arrivait fréquemment à cette époque du fait que les français bénéficiaient d'une taxation préférentielle de 3% sur les marchandises exportées ou importées alors que les juifs étaient taxés à 10%.

D'autres axes commerciaux unissaient Tunis au proche orient, en particulier avec l'Egypte, A titre d'exemple nous citerons une importante transaction qui fut conclue entre Daniel Lombroso et le capitaine français François Challon commandant du vaisseau « Saint Louis Bonaventure » au prix de 377 piastres pour l'armement et 3071 piastres pour le fret à charger à Alexandrie d'Egypte (53),

Les capitaines qui se trouvaient souvent à court d'argent en raison des frais qu'ils devaient engager pour l'entretien de leurs embarcations et de leurs équipages recouraient à l'emprunt auprès des commerçants juifs,

Ainsi le 30 décembre 1675 François Ferraud, de Marseille, capitaine du « Petit Vivonne » reçut de Daniel Lombroso, pour le radoub de son navire, la somme de 432 piastres au taux de 8%, avec la garantie du Consul de France(54),

Il arrivait aussi que certains marchands ne parviennent pas à assainir leurs dettes avant de quitter la Tunisie, Ainsi le napolitain Giuseppe Marullo s'était déjà embarqué sur un navire anglais lorsqu'il fut contraint d'en descendre par ses créanciers. Ce fut une fois encore Daniel Lombroso qui le tira d'embarras en lui accordant un prêt de 71 pièces et 5 aspri (55), d'autres commerçants désargentés demandaient des prêts pour payer les marchandises qu'ils exportaient.

L'un des produits les plus recherchés exporté vers Livourne était la boutargue ce qui permit à Daniel Lombroso de faire deux fois une double affaire unissant le profit financier au bénéfice commercial: Associé à un grec, il exporte vers Livourne, le 15 septembre 1679, 32 caisses de boutargue, en prêtant à son associé, pour financer son apport,667 piastre au taux de 12%, remboursables à Livourne; Le 14 décembre de la même année il prêtait à un autre grec 141 piastres pour sept autres caisses de boutargue(56),

Les opérations effectuées par Daniel Lombroso, seul ou en association avec des parents concernant le rachat des esclaves seront traitées par ailleurs.

II - Jacob Lombroso

Jacob Lombroso fut, et de loin, le marchand le plus génial de la famille. Non seulement il poursuivit le activités habituelles centrées sur le négoce et le rachat d'esclaves mais il donna une impulsion décisive à l'industrie locale des « chechia », bonnets tunisiens rouges portés par une grande partie de la population.

Ses initiatives sont décrites dans l'abondante correspondance du commerçant français Nicolas Béranger qui fut son ami et son collaborateur.

Il se comporta en chef de la Nation Juive Portugaise lorsqu'il favorisa, avec quelques autre personnes, la naissance d'une Communauté Portugaise totalement autonome par rapport à la communauté indigène.

Jacob était plus jeune que son frère Avraham, le quel resta plus étroitement attaché à son père Daniel. Après un apprentissage dans l'entreprise paternelle il manifesta rapidement des signes d'indépendance.

Le rachat d'un esclave, ce qui était pour eux un travail de routine, marqua en 1674 (57) son entrée officielle dans le monde des affaires.

A partir de 1683 il prend dans son entreprise son frère cadet Rafael, auquel il devait être très attaché, et fonde la société Jacob et Rafael Lombroso dont la principale activité sera orientée vers le rachat d'esclaves.

C'est au cours de cette même période que s'installèrent à Tunis certains membres de la famille Franco de Venise: Benjamin et ses fils Abraham et Daniel. La relation la plus durable, conduisit à une association avec Abraham de Benjamin Franco, au moins de puis 1682 (58). Le premier acte qui témoigne de cette durable association date du 17 février 1687 (59) et selon les documents, que j'ai consultés elle se poursuivra jusqu'en 1706(60).

Au début du XVIII° siècle Daniel de Abraham Lombroso (61).sera souvent associé à la Compagnie Jacob & Rafael Lombroso (61).

Dans la même période Abraham de Benjamin Franco conforte ses liens avec la jeune génération des Lombroso en s'associant avec Daniel ou avec David de Isaac Lombroso (62).

Enfin il semble que n'acquit à cette époque une relation d'affaires entre d'une part la Cie Jacob & Rafael Lombroso et Abraham de Benjamin Franco, et, d'autre part Sansone Boccara (63) fils de ce Benjamin Boccara qui en 1673 avait implanté à Tunis une usine de tabac à priser (64).

L'activité commerciale des Lombroso s'interrompt en 1708 (65) dans la mesure où c'est à cette date que s'arrêtent les documents fournis jusqu'ici par les archives diplomatiques de Nantes que j'ai pu consulté à Jérusalem.

 

Jacob Lombroso mourut en 1723.

 

Rachats d'Esclaves par les Lumbroso (1653-1706)

En Tunisie le rachat d'esclaves chrétiens fut, dès la fin du XVII° siècle, l'une des principales activités des juifs ibériques. En Europe l'initiative de ces opérations venait soit des « Rédemptions » qui étaient des institutions catholiques, soit d'autres intermédiaires qui - à la requête des familles des personnes capturées par les pirates barbaresques - prenaient en charge la collecte de la rançon nécessaire au rachat des esclaves.

Le déplacement de ces intermédiaires en Tunisie étant très coûteux, ils eurent souvent recours à l'intermédiation hébraïque grâce à une organisation parfaitement rodée qui reliait Tunis à Livourne, centre de recueil des commandes.

Financièrement l'opération se déroulait ainsi:

Le marchand de Tunis avançait le montant de la rançon, augmenté de divers tributs et pourboires, du « Change Maritime » (en général 16%), des indemnités de l'opérateur de Tunis et de son correspondant de Livourne, qualifié dans les actes d'ami, à qui toute cette somme devait être reversée dans les vingt jours suivant l'arrivée du captif à Livourne. Tant que toute l'opération n'était pas finalisée par le règlement des sommes dues, l'esclave était accueilli dans les Bagnes Pénaux du Grand-Duc de Toscane.

 

Les ordres pouvaient provenir non seulement de Livourne mais aussi du Gouverneur de Tabarka qui travaillait pour le compte de la Rédemption de Gènes, ou encore d'Amsterdam et d'ailleurs.

 

Les membre de la famille les plus actifs dans la libération des captifs étaient : Daniel, Jacob, Jacob & Rafael, seuls ou avec d'autres parents.

J'ai fait le compte des rachats connus effectuée en Tunisie par les différents membres de la famille Lombroso de 1653 à 1706.

Le total est de 247 esclaves libérés dont:

169 originaires des royaumes de Naples et de Sicile,

39 de la République de Gènes, dont 10 corses,

39 flamands et hollandais,

4 toscans, 4 espagnols et portugais,

3 allemands, 1 bolognais et 4 cas indéterminés.

Compte tenu des registres perdus et des contrats non enregistrés, on peut présumer que 300 esclaves au moins ont été libérés par les Lombroso pendant la période étudiée qui couvre un demi siècle.

En tenant compte des autres opérateurs juifs de Tunisie le nombre total des libérations d'esclaves devrait atteindre cinq cent personnes dont près des deux tiers ont étés libérés par l'action des Lombroso.

Parmi les opérateurs livournais en relation avec les Lombroso pour la libération des esclaves figurent les noms de Juda Crespino, Rafael & Moïse de Farro, Moïse & Gabriel di Farro, parfois aussi le capitaine Francesco Franceschi (sans doute toscan mais pas juif), des marchands flamands de Livourne, de diverses Institutions Pieuses et du Gouverneur de Tabarka.

On signalera ici la délivrance du notable génois Gio Stefano Doria demandé par les Spinola de Gènes à Daniel & Abraham Lombroso de Tunis, le 28 février 1680, pour l'exorbitante somme de 1736 pièces.

Le prix du rachat des captifs est extrêmement variable. Non seulement, comme une denrée, il est soumis à la variation des cours, mais il dépend aussi du niveau social du captif, de la présumée richesse de sa famille, ou encore de la compétence et de la capacité de travail de l'esclave. Ainsi, un capitaine de navire pouvait difficilement se libérer pour moins d'un millier de pièces.

Aussi, pour la libération de Andrea Speranza de Salerne, le contrat exécuté par Jacob & Rafael Lombroso avec le concours d'Abraham de Benjamin Franco, le 23 mai 1701 indique t'il une rançon de 200 pièces plus différentes charges, aux quelles il convient d'ajouter 4% (9 pièces) d'honoraires pour le marchand de Tunis, 2% pour « l'ami » de Livourne. Soit un coût total de 249 pièces et 20 aspri somme à la quelle il convient d'ajouter le « Change Maritime » de 16%, taux qui peut paraître élevé mais comme l'indique le contrat il garantissait contre différents risques tels que «  feu, naufrage ou corsaires, à l'exception de la mort naturelle » et comportait donc une véritable police d'assurance.

Ce même contrat présente l'intérêt de décrire le processus suivant le quel se déroulent les opérations. L'ordre de rachat émis par les « Lieux Pieux de Naples » est adressé à Gennaro Mare de Naples qui le transmet à deux autres napolitains, Gasparo et Gio-Francesco Verona, les quels l'adressent enfin à leurscorrespondants de Livourne, Abraham & Isache Del Rio qui représentent aussi les Lombroso de Tunis.

Evidement le passage par autant d'intermédiaires contribue à faire monter la dépense.

Parmi les curiosités de cette activité signalons le rachat le 16 septembre 1695 par Jacob & Rafael Lombroso, sur commande de Manoel Crespino, de deux esclaves chrétiens propriété d'un magnat juif tunisien le caïd Shalom.

 

La fabrication des Chechia

Jacob Lombroso détenait à Tunis, le quasi monopole des produits entrant dans la fabrication des chechia qui sont de souples bonnets de laine rouge portés par les hommes en Tunisie et dans quelques autres territoires du monde arabo-musulman.

Il possédait en outre au moins quatre ateliers de fabrication.

Les produits entrant dans la fabrication des chechia étaient les suivants:

Les plus fines laines espagnoles de Ségovie et celles moins recherchées en provenance

d' Albarracin.

Le vermillon pour la teinture des bonnets.

Le papier de Florence ou papier royal pour envelopper les couvre-chefs par douzaines.

Ces matières premières étaient importées par les Lumbroso en provenance de Livourne et de Marseilles.

 

Selon Nicolas Béranger, représentant des Lumbroso à Marseille :

« il y a à Tunis plus de 200 fabriques de bonnets qui n'en ont jamais cinquante douzaines d'achevésqui ne soient aussitôt vendues par la grande réputation qu’ils ont par tous les pays qui croient à Mahomet.

Presque tous les ouvriers ne travaillent qu’aux laines fines et de là vient que pour une balle des albarrasins il s’en consume quatre balles des ségovies.

Cela est un immanquable négoce [...], mais il faut avoir du fonds pour attendre le terme qu’on est obligé à donner aux débiteurs. Nous n’avons ici qu’un seul marchand juif, nomme´ Lambrosy [Jacob Lombroso] qui fasse ce trafic de la manière qu’il faut. Il reçoit à la fois 100 balles de laine fine et n’en vend pas une au comptant: tout se distribue à terme [...]. Comme les ouvriers travaillent incessamment en payant le vieux compte, ils en font un nouveau.

Comme on le voit il s'agit d'un négoce particulièrement profitable puisque, au delà des mers la demande est inépuisable. De plus les capitaux investis rapportent doublement en ce que, aux profits réalisés sur la vente des laines s'ajoutent les intérêts pour retards de payement. Ainsi que les profits résultants de l'exportation des produits finis.

 

http://lumbroso.info/index.html

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