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Mon ami Henri Bellicha, par Armand Meyer Bokobza

 

Mon ami Henri Bellicha

 

Cela fait longtemps que mon ami Henri Bellicha a disparu. Il apparaissait souvent dans ses publications et dans le chat du Café des Dattes sous le pseudo de Raphaël.


J'avais rencontré Henri Bellicha, plus jeune que moi, à l'Hashomer Hatzair à Tunis, à la fin des années 1950.


Nous nous étions retrouvés grâce à une annonce qu'il avait fait paraître dans Harissa, au début de sa création. C’est ma fille qui m’avait signalé cette parution, car je lui avais raconté les faits décrits plus loin.


Voici le texte de cette annonce :

« Je recherche les anciennes et anciens de L'HACHOMER HATZAIR Tunis de 1955 à 1961, et en particulier ceux du makhané de Bizerte. ceux qui sont allés en ville et ceux qui sont restés dans la forêt. merci par avance. »


Nous avions participé ensemble à plusieurs makhanot (camps). En particulier ceux du R’mel, en 1960 et en juillet 1961, dans une forêt de pins au bord de la mer, près de Bizerte. Ce séjour avait failli se terminer tragiquement pour plusieurs d’entre nous car nous avions été pris dans les combats violents entre les forces tunisiennes et l’armée française.


Ceux qui sont allés en ville : la plus grande partie des jeunes était partie à Bizerte avec une partie de l’encadrement pour prendre le train et rentrer à Tunis car nous avions constaté que la tension montait dangereusement entre les autorités tunisiennes et les forces françaises.


Ceux qui sont restés dans la forêt : un petit groupe de jeunes, accompagné de moniteurs, avait démonté le matériel, et attendait l’arrivée de véhicules dans lesquels tout le monde embarquerait avec le matériel,.


Malheureusement le train n’avait pas pu partir vers Tunis car la voie de chemin de fer passait le long de la base aérienne française, et des combats violents avaient commencé dans l’après-midi du 19 juillet 1961. Ceux de la ville, une soixantaine de jeunes avec quelques adultes dont je faisais partie, restèrent bloqués en ville nouvelle jusqu’au 23 juillet, alors que ces combats continuaient dans les rues, jusqu’à l’occupation d’une partie de la ville européenne par la Légion Etrangère.


Après plusieurs jours d’incertitude et de difficultés de ravitaillement nous fûmes reconduits à Tunis par un convoi de voitures particulières venu de Tunis. Nous étions restés sans nouvelles de l’autre groupe, craignant le pire.


Ce sont ceux de la forêt, auxquels appartenait Henri, qui furent le plus en danger.


Je reproduis un extrait du livre de Patrick-Charles Raynaud qui relate ces évènements, La Bataille de Bizerte, publié chez L’Harmattan en 1996.

« Situé le plus à l’est, le fort du R’mel est tenu par une poignée de marins qui y entretiennent des batteries de 105 allemandes Krupp, installées par l’Afrikakorps du maréchal Rommel durant la dernière guerre mondiale. Fixes, ces tourelles sont pointées sur la baie mais peuvent être orientées vers d’autres objectifs. Au cours de la nuit, le quartier-maître chef armurier, ancien d’Indochine, a déplacé des silhouettes en contreplaqué de sa conception pour faire croire aux Tunisiens qu’ils étaient nombreux. En fait cinq marins en tout et pour tout assurent la défense du R’mel aidés par des chiens de guerre lâchés, pour la circonstance, dans l’enceinte du fort. Dans la nuit, des camions ont déposé des soldats tunisiens qui ont pris position dans le bois environnant, menaçant sérieusement la modeste garnison française. Une première fois l’aéronavale intervient et mitraille les environs du fort, à titre préventif. Mais vers11 heures, deux compagnies tunisiennes commandées par le capitaine Boubaker El Bekri se rapprocheront. Avec sa mâchoire lourde et ses cheveux noirs bouclés collés sur le front par la sueur, cet ancien sous-officier de l’armée française ressemble à un imperator romain. Il a combattu sous bien des latitudes, en Flandres en 1940 jusqu’en Indochine. Son expérience du combat lui a permis d’accéder à l’épaulette dans l’armée de Bourguiba. Alertés, les Corsair et les Aquilon de la flotille 11 F reviendront, piqueront et sèmeront quelques roquettes. Des camions brûleront. Les Tunisiens se replieront en emmenant leur capitaine blessé à l’épaule. Le bois du R’mel, à l’ombre duquel les bizertiens aimaient tant venir pique-niquer, flambera tout le reste de la journée. La position ne sera plus menacée. »


Ce récit donne une idée précise de l’enfer dans lequel s’étaient retrouvés Henri et ses camarades.


Lors de notre rencontre en avril 2002 je lui avais apporté ce livre qu’il ne trouvait pas à Nice. Il m’a dit que des roquettes avaient explosé très près de son groupe qui, vu d’avion à travers les pins, ne se différenciait pas du reste des troupes tunisiennes. Il m’a confirmé qu’ils avaient rencontré la compagnie tunisienne et qu’ils avaient eu de grandes craintes avec le capitaine Boubaker El Bakri qui, méfiant sur les causes de leur présence en ce lieu, les avait interrogés longuement avant de leur permettre de repartir librement. C’est un miracle que tous les membres de ce groupe soient sortis indemnes physiquement, mais pas moralement, de cet épisode tragique qui avait profondément marqué Henri pour toujours.


Peu après tous les mouvements sionistes en Tunisie s’étaient volontairement dissous.


Il avait relancé plus tard son appel dans HARISSA pour retrouver d’autres anciens :

« ANCIENS DE L'HACHOMER HATZAIR DE TUNIS: Meier,Yoel,Yoav et Reouven se sont retrouves grace a Harissa. Qu'attendent les autres pour nous écrire afin de nous réunir ou correspondre, échanger des souvenirs et des photos. Alors, Giza, Jeannot, Shimchon, Avi, Simone, André, Ilana, Ruthi, Yeoudith, et tous les autres, ou êtes vous et qu'êtes vous devenus. »


C'est avec un plaisir réciproque que nous avions échangé sans réserve nos souvenirs, nos photos et nos documents. En dehors du café des dattes, nous étions restés régulièrement en contact par mails et par téléphone.


Malgré la longue période durant laquelle nous nous étions perdus de vue, nos échanges avaient été rapidement chaleureux et ce passé commun avait permis une complicité implicite et constante. Chaque fois que l’un d’entre nous retrouvait des documents de cette époque, il en faisait part à l’autre et les lui communiquait.


Il m’avait informé qu’il entreprenait la réalisation d’un plan de la ville de Tunis à partir des plans antérieurs et des photos aériennes qui avaient paru dans HARISSA. Peu avant sa disparition il m’avait annoncé qu’il avait des nouveautés à me transmettre prochainement. Malheureusement je ne les ai jamais reçues.


Depuis cette date je pense souvent à lui et je ressens le vide créé par son absence.


Albert a bien décrit le rôle important et la contribution continue d’Henri dans HARISSA jusqu’à sa brusque disparition qui a été vécue comme une tragédie par tous les harissiens.


Voici deux photos dans lesquels Henri et moi sommes ensemble.


La première a été prise au camp du R’mel, autour du drapeau. Henri est le 2ème à partir de la droite, tenant le drapeau à deux mains. Il avait été très content lorsque je la lui avais transmise car il ne l'avait pas.

 

La seconde date d’avril 2002, sur la terrasse du café-restaurant où il aimait rencontrer ses amis parmi lesquels il y avait de nombreux artistes.

 

 

Photo prise à la synagogue en mosaïques d'AKKO en juin 2005

 

Armand Meyer Bokobza

 

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