Paix aux fils d’Abraham
Catherine Clément explique pourquoi, selon elle, le dernier livre de Bernard-Henri Lévy «La guerre sans l’aimer, journal d’un écrivain au cœur du printemps libyen», est «un livre qui se lit d’un trait, un livre à couper le souffle».
Ça tombe pile. Au moment où la diplomatie américaine cherche à récupérer la victoire libyenne en passant sous silence la France et l’Angleterre –pas moins–, Bernard-Henri Lévy publie La guerre sans l’aimer, journal d’un écrivain au cœur du printemps libyen, un livre qui se lit d’un trait, un livre à couper le souffle, au-delà de ce qu’on sait. Car on a beau connaître l’engagement de l’auteur aux côtés des insurgés libyens, son rôle déterminant dans la décision française de sauver la population de Benghazi d’un massacre programmé, on a beau l’avoir l’a vu sur écran acclamé en Libye sur fond de drapeau français, il fallait ce journal pour comprendre l’essentiel.
C’est l’histoire d’un juif pied-noir acharné à réconcilier l’islam et le judaïsme. Il y en eut d’autres. Mais aucun n’a transporté cette pulsion réconciliatrice sur des champs de bataille comme l’a fait, toute sa vie, Bernard-Henri Lévy. A 23 ans, au Pakistan oriental aux côtés des insurgés qui se battaient pour le futur Bangladesh; à 43 ans aux côtés des résistants de Sarajevo assiégés par les milices serbes; à 53 ans aux côtés du «Lion du Panshir» combattu par les talibans; à 63 ans aux côtés des Libyens attaqués par leur dirigeant.
Par deux fois, cet entêté défend des leaders musulmans, Itzebegovic en Bosnie, Massoud en Afghanistan –et deux fois, il échoue. Les accords de Dayton sont une trahison, al-Qaida assassine Massoud deux jours avant le 11 septembre 2001. Et le voilà reparti en mars 2011 quand, à l’aéroport du Caire où il est venu en reportage sur la place Tahrir, il aperçoit sur un écran de télé des foules à Benghazi sous le feu des avions de Khadafi. Pas une seconde d’hésitation. Il ira.
La suite est une épopée à mi-chemin entre le Mahâbhârata et Les Trois Mousquetaires. Comme dans le Mahâbhârata, ce combat familial géant entre le clan des bons et celui des méchants, Bernard-Henri Lévy rencontre des troupes mal fichues, des vieux dignitaires enhardis, des héros qui se donnent du cœur à l’ouvrage avec les moyens du bord, des médiateurs rusés, une foule combattante. Et comme dans Les Trois mousquetaires le drôlatique rencontre l’héroïque, on verra le philosophe trimballé dans une camionnette qui livre des tomates ou bien, scène hilarante, abordé à l’hôtel Raphaël par l’invraisemblable Elgigoushi, un émissaire de Khadafi suant et tremblant qui lui propose là, tout à trac sous les arbres d’une avenue parisienne, l’établissement de liens diplomatiques entre Khadafi et Israël…
Il arrive qu’on ne sache pas s’il faut rire ou frémir pendant une traversée de Malte à Misrata sur un mauvais rafiot harcelé par l’Otan, à se demander s’il ne va pas se faire flinguer vite fait et pourtant non, ça passe. Il arrive qu’on s’attendrisse devant les deux inséparables, Mansour et Ali, exilés de longue date, débarquant dans le grand monde des conférences de presse et de la diplomatie avec la grâce pataude et sincère des vrais engagés, il arrive qu’on s’énerve, il arrive qu’on s’émeuve, il arrive qu’on ait peur… Oui, tout peut arriver et tout arrive, même la fin de la guerre, même la mort du tyran. Et tout ça passe si vite avec une telle fougue qu’on ne peut pas s’arrêter en lisant, on cavale, on cavale alors qu’on sait comment finit l’histoire.
Mais le sait-on vraiment? Bernard-Henri Lévy a rencontré tous ceux qui font craindre un nouvel émirat, Mustapha Abdelajij, président du Conseil de transition et auteur de la fameuse phrase sur la charia, et ceux dont on redoute qu’ils soient d’al-Qaida. Il en sort rassuré, mais ce n’est pas son propos. L’essentiel, c’est «la paix au cœur entre les fils d’Abraham» qu’il n’a cessé de chercher, fût-ce à travers les guerres.
De temps à autre, on sent bien que l’ultime combat serait la réconciliation entre la Palestine et Israël –incroyable dialogue avec Avidor Liberman–, et on a l’espoir fou que peut-être, ce diable d’homme qui tient à porter le costard sur les champs de bataille par respect pour ceux qui se battent, ce type qui est tout à la fois Isaac, fils de Sara et Ismaïl, fils d’Agar, pourrait y parvenir.
C’est l’histoire d’un intellectuel juif acharné à défendre les faibles et qui s’est longtemps réfugié sous d’illustres modèles pour se justifier, Malraux, Lawrence, Chateaubriand. Il n’en a plus besoin, je trouve. Il n’a qu’à être lui.
Catherine Clément
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