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On peut rire des prophètes, mais pas de la Shoah

© Dessin de Stephff, Thaïlande.

On peut rire des prophètes, mais pas de la Shoah

 

Un journaliste du quotidien panarabe Al-Hayat dénonce ces intellectuels arabes qui trouvent des justifications aux attentats parisiens.

AL-HAYAT - HAZEM SAGHIEH

 

Les auteurs du crime contre la revue satirique Charlie Hebdo ont eu comme seules paroles, d’après ce qu’on en sait, les cris “Allahu Akbar” et l’affirmation qu’ils voulaient “venger le Prophète”. En revanche, des éditorialistes [arabes] et des militants des réseaux sociaux se sont efforcés de trouver des raisons auxquelles les criminels eux-mêmes n’auraient pas pensé et qui sont très loin de leur univers mental simpliste de terroristes. 

Cette ambiguïté, voire complaisance, dont ces éditorialistes font preuve face au crime s’explique par le sentiment que dans nos contrées le réflexe de faire l’unité [entre musulmans] prime les autres considérations. Alors qu’en un clin d’œil on voit les multiples guerres civiles qui déchirent le monde arabo-musulman, ce qui donne à cette “unité” un côté pathologique. Mettons de côté les accusations contre le sionisme, les mises à l’index de la France, des Etats-Unis et des puissances occultes, ainsi que les discours oiseux selon lesquels “eux-mêmes” [la France] l’ont cherché. 

La France tout entière dans le camp du mal

Il y a aussi ceux qui [pour justifier les attentats] rappellent la guerre au Mali, l’occupation de l’Algérie [au XIXe siècle], sans parler de la Palestine, qui retrouve évidemment sa place habituelle dans les discours. Mais quand bien même on ramène les raisons de ce crime à la colonisation, dont l’époque est bien révolue, pourquoi ce sont des journalistes qui ont été pris pour cibles, et non pas des militaires, des fonctionnaires ou des diplomates ?

Dans un sens, les terroristes qui se limitent à dire “Allahu Akbar” et“vengeance pour le Prophète” sont plus francs que ceux qui leur fournissent des prétextes. Et ils sont moins racistes. Car les seconds renvoient, plus franchement et plus nettement, la France tout entière dans le camp du mal. Alors qu’eux-mêmes se voient [avec tous les Arabes et tous les musulmans] dans le camp du bien, un camp qui ne cesse de subir des injustices. 

Frustration

Certains Arabes disent que les caricaturistes se sont moqués de l’islam mais pas de l’Holocauste. Le fait est qu’il y a une différence profonde entre les deux. Selon les dessinateurs de ce journal et selon les lois de leur pays, on a le droit de heurter les sensibilités religieuses et d’attaquer les symboles du sacré. Les prophètes n’ont-ils pas eux-mêmes heurté les sensibilités dominantes de leur époque ? Est-ce que leurs prédications auraient pu aboutir s’ils avaient pris soin de l’éviter ?

C’est tout autre chose que de se moquer de drames humains récents, ayant fait des victimes dont des proches sont encore en vie. On peut se moquer de Moïse, mais pas de l’Holocauste. De même, on peut se moquer des dirigeants qui ont mené des guerres civiles, mais pas des victimes de ces guerres. D’autres veulent “que les Juifs dégustent un peu, eux aussi, des souffrances que nous subissons” ! 

Or les Juifs ont bien assez dégusté au cours des dizaines de siècles, bien plus que nous Arabes. Personne, pas même les racistes parmi les Juifs, ne dit que les Arabes devraient subir la même chose. Certes, l’islamophobie existe dans les pays occidentaux. Mais il ne faut pas oublier que ces pays sont les seuls qui débattent de ce phénomène, l’analysent et le condamnent. C’est probablement la frustration que nous ressentons depuis [l’échec] des révolutions, échec qui nous prive de la liberté qui nous aurait permis, à nous aussi, de débattre de ces phénomènes, de les analyser et de les condamner. C’est cette frustration qui entretient cette ambiance moisie, dans laquelle nous nous plaisons à nous vautrer. 

—Hazem Saghieh 
Publié dans Al-Hayat Londres

http://www.courrierinternational.com/article/2015/01/19/on-peut-rire-du-...

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