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Sortir la tête du tunnel

Sortir la tête du tunnel (info # 013107/14) [Analyse]

Par Jean Tsadik ©Metula News Agency

 

Israël est à nouveau en train de s’embourber dans une situation qu’il avait largement les moyens d’éviter. C’est principalement la faute de sa médiocre direction politique, qui, du fait de son manque d’homogénéité et d’intérêts personnels divergents – Netanyahu ne parle pratiquement pas à son ministre des Affaires Etrangères, et Lieberman devrait vivre dans un avion pour expliquer la position de son pays – ne remplit pas son rôle.

 

Une fois de plus, il me faut répéter que le 1er ministre hébreu ne possède aucun entendement stratégique ; face aux Palestiniens non-djihadistes de l’AP, il a confondu statu quo et stratégie. Il n’a pas saisi que nul ne peut stopper l’avancement du monde. Or il s’est contenté de s’asseoir sur le couvercle du chaudron palestinien en espérant que les tumultes de la région ne l’en fassent pas tomber ; et ce n’est pas une politique. Israël ne peut pas être gouverné par quelqu’un qui n’a pas de projet pour la solution des conflits et qui se contente de gagner du temps sans savoir pourquoi.

 

A ce titre, il est largement responsable de la guerre qui frappe aujourd’hui son pays. Tout ce qui l’intéressait, lors de la formation du gouvernement d’union Fatah-Hamas, c’était de le faire éclater, maintenant, il paierait cher, avec les Egyptiens, pour voir Abbas gouverner la bande de Gaza.

 

Le problème étant qu’il a si peu cultivé les relations avec Abou Mazen, qu’il n’existe plus aucun dialogue direct avec lui, et qu’Israël est relégué au rôle de spectateur pendant qu’al Sissi parle avec le chef de l’Autorité Palestinienne des solutions possibles à la crise.

 

Parlant du conflit lui-même, Netanyahu n’a pas non plus d’objectif stratégique à faire valoir. Il s’y est fait happer par Mashal et les Qataris en laissant les flammes échapper à tout contrôle après l’enlèvement et l’assassinat des trois jeunes étudiants talmudiques.

 

Il a puni Gaza alors que Gaza n’y était pas pour grand-chose, et il a pratiquement contraint le Mouvement de la Résistance Islamique à la guerre, alors que lui non plus n’avait pas choisi cette voie.

 

Mais comme Israël est fort, des points de vue militaire, technologique et économique, cette guerre que Bibi n’avait pas choisie lui a ouvert des horizons politiques que le 1er ministre n’avait rien fait pour mériter. Presque par hasard, cet affrontement a mis à jour une communauté d’intérêts extraordinaire avec l’Egypte, mais aussi l’Arabie Saoudite, la Jordanie, les pays du Maghreb, la Ligue arabe et même l’Autorité Palestinienne.

 

Tous désirent ardemment la disparition de la succursale palestinienne des Frères Musulmans, un mouvement islamiste-djihadiste qui menace leur stabilité.

 

Et cela fait maintenant vingt-quatre jours que l’exécutif de Jérusalem balbutie sa copie, perdant chaque jour des hommes, de l’argent et des amis.

 

Or l’obstacle n’est pas infranchissable, et jamais Tsahal ne s’est trouvé dans une situation d’hégémonie sur l’ennemi comme lors de Rocher Inébranlable. Sur le plan de la qualité des troupes et de l’écart technologique entre les belligérants, c’est presque faire offense à l’intelligence des lecteurs de la Ména que d’établir la liste des différences : Israël en est à intercepter des obus en plein vol tandis que son ennemi vit à l’ère des Katiouchas, soit avant la Seconde Guerre Mondiale.

 

Le Hamas ne dispose pas d’aviation, pas de blindés, pas d’artillerie, pas de marine, pas de drones… Je cesse là l’énumération qui pourrait épuiser la mémoire de vos ordinateurs. Le déséquilibre se retrouve au niveau des effectifs : 70 000 hommes engagés côté hébreu, contre 25 000 en face.

 

Et selon les bilans tenus par El Soudi, qu’il serait téméraire de mettre en doute, 7 000 miliciens, les meilleurs, auraient été mis hors d’état de nuire, et pourtant, le Hamas continue à tirer des roquettes sur Israël et à tuer des soldats.

 

Dans ces conditions, Jérusalem avait tout loisir de se fixer des objectifs stratégiques – des objectifs de nature à modifier une situation politique défavorable – et pourtant, il se limite à définir des buts tactiques et à demander à ses soldats de les atteindre et de ne pas les dépasser.

 

De plus, le gouvernement Netanyahu change de finalité militaire au fur et à mesure que l’affrontement se développe. Rappelez-vous ! Tsahal est intervenu à Gaza pour mettre fin aux tirs (insupportables) des roquettes sur Israël. Mais aux premiers jours de l’intervention terrestre, le renseignement a découvert l’étendue et la dangerosité des "tunnels stratégiques".

 

Good bye les Katiouchas, hello les tunnels. Au point que leur destruction figure désormais l’objectif ultime de Rocher Inébranlable, et que Netanyahu n’a de cesse de le répéter.

 

C’est une plaisanterie. Non pas que ces tunnels ne présentent pas une menace désagréable pour les habitants du sud de l’Etat hébreu et qu’il ne faille pas s’en occuper, mais on ne mobilise pas une armée entière pour cette seule tâche.

 

Une tâche tactique par excellence, puisque la destruction des tunnels n’a aucune chance de chasser le Hamas du pouvoir et de la région. Et que l’on sait, d’autre part, qu’il n’est pas possible de dynamiter toutes ces galeries, ni d’empêcher la milice islamiste de les reconstruire en quelques années. Mais si les djihadistes manquent de moyens, ils ont en revanche tout le temps du monde à leur disposition.

 

Cette besogne sisyphienne vaut-elle la vie d’un seul soldat ? Ce, d’autant plus que 80 pour cent de la population israélienne du pourtour de Gaza s’est réfugiée au Nord, et qu’elle ne reviendra que lorsqu’elle sera assurée – avec des arguments tangibles – que la menace des tunnels et celle des fusées sont définitivement écartées. Nous nous trouvons, en plus du reste, en pleine tragédie humaine.

 

Ce que demandent les citoyens israéliens est d’être durablement débarrassés des Katiouchas et de la menace des tunnels, mais pour parvenir à ces fins, le seul moyen consiste en la décapitation du Mouvement de la Résistance Islamique. 

 

Alors certes, sur ce point aussi, Bibi a de la chance ; on a toujours de la chance quand on est fort et qu’on a une armée telle que Tsahal sous la main. A force de débusquer les tunnels et d’harceler les milices au cours de la guerre d’usure qu’Israël mène depuis 24 jours, on pourrait bien parvenir, en suivant des objectifs purement tactiques, à réduire à presque rien le nombre des tunnels et des fusées à disposition de l’ennemi. Un ami de l’état-major me confiait hier qu’il ne reste plus que quelques centaines de mortiers et quelques dizaines de roquettes capables de dépasser quarante kilomètres dans les planques du Hamas.

 

Avec une "armée" fortement diminuée, des stocks de munitions à sec et l’impossibilité de se réapprovisionner grâce au blocus quasi hermétique imposé d’entente avec les Egyptiens, Hanya n’aura bientôt plus que des pierres à lancer sur les Israéliens.

 

De plus, ses infrastructures sont en ruines, sa centrale électrique est détruite – il dépend de deux lignes à haute tension pour alimenter Gaza en courant deux heures par jour, et encore c’est Israël qui le lui fournit -, lui et ses collègues de la direction politique sont des hommes morts sitôt qu’ils sortiront de leurs caves, et les chefs de la milice dirigent ce qu’il leur reste de combattants depuis les sous-sols des hôpitaux, des mosquées et des écoles.

 

Mais cette guerre d’usure, qui pourrait encore durer des semaines, fait aussi du mal à Israël ; elle tue ses soldats, chasse sa population du Sud, ralentit son économie et ternit son image chaque fois que la photo d’un innocent ensanglanté parvient sur les écrans des télévisions occidentales.

 

Et peu importe aux Européens et aux Américains que Tsahal soit effectivement l’armée la plus humaine du monde, l’image d’un enfant mort dans les bras de son père parle plus au cœur des Occidentaux que les meilleures explications du monde.

 

Et peu leur importe que le Califat Islamique, qui partage la même idéologie et les mêmes méthodes que le Hamas, ait décidé d’exciser toutes les femmes vivant dans les territoires qu’il contrôle. Peu leur importe qu’il lapide les infidèles et qu’il y ait près de 200 000 morts en Syrie, parce qu’ils ne les voient pas ! Peu leur importe, même, que le million de chrétiens irakiens a pratiquement disparu, qu’ils sont crucifiés en Syrie, qu’au Liban, où ils étaient majoritaires dans les années soixante, ils ne représentent pratiquement plus que 20 pour cent de la population, que la même tendance existe en Palestine, et qu’en Egypte et au Soudan ils sont opprimés.

 

Or Mohamad Deif, le chef suprême de la milice de Gaza vient de déclarer aux Israéliens qu’il va gagner la guerre, "parce que vous aimez la vie et que nous aimons la mort". L’apitoiement est un concept judéo-chrétien qui n’a pas cours parmi les chefs de la mouvance islamiste. Dans ces conditions, en introduisant des centaines de caméras à Gaza, chaque cadavre constitue une victoire du Hamas, Israël se souciant plus de la santé des Gazaouis qu’Ismaïl Hanya et Khaled Mashal.

 

On l’a souvent écrit dans ces colonnes, les media Occidentaux ont tort de limiter le narratif de ce conflit (et des autres) à la seule préoccupation humanitaire. Les morts collatéraux constituent un effet des guerres, mais pour les empêcher, il faut comprendre leurs causes et combattre leurs fauteurs.

 

Nous, d’admettre et d’observer que Barack Obama ne cherche pas à les comprendre. Il est encore plus dénué que Netanyahu de réflexion stratégique, ce qui, dans le cas du président des Etats Unis, représente une véritable catastrophe pour l’ensemble des populations de la planète.

 

Lors d’une récente conversation conduite sur un ton carrément grossier – rapportée par la 1ère chaîne israélienne de télévision mais dont la Maison Blanche nie l’authenticité – Obama, qui distribuait des ordres au 1er ministre israélien, lui aurait intimé "d’arrêter cela tout de suite".

 

Cela participe d’un comportement particulièrement irresponsable, qui permettrait au Hamas de se réarmer et lui consacrerait la victoire à l’issue de cet affrontement. Soit le pensionnaire de la White House n’a aucune vision stratégique du monde et des intérêts américains, soit il œuvre en faveur d’intérêts contraires à ceux de son pays, ce que je me refuse d’analyser, car cela appartient à la sphère d’activité des psychiatres et des partisans des diverses théories du complot.

 

Reste que le Hamas doit disparaître, car même nu comme un ver, il ne va pas partir tout seul ; ce n’est pas un mode opératoire digne d’une puissance régionale comme Israël de se laisser dicter l’ordre du jour par une bande de djihadistes amoureux de la mort : le Hamas lance des roquettes, Israël répond avec le Dôme de fer, le Hamas creuse des tunnels, Israël répond en les dynamitant…   

 

Heureusement pour la planète, les puissances régionales sunnites agissent, elles, avec responsabilité. C’est d’abord parce qu’elles ont noté que le courant islamiste auquel appartient le Hamas est de plus en plus extrémiste, dans ses revendications et dans ses actes.

 

Désormais, au Caire, on divise la région entre les constructeurs et les destructeurs ; ceux qui se préoccupent des peuples et ceux qui se préoccupent du Coran, les Etats et les terroristes.

 

Les gouvernants sunnites font face à ces "terroristes" lors de guerres sans caméras, au Yémen pour les Saoudiens, à leur frontière orientale, contre le Califat, pour les Jordaniens, à la frontière libyenne, dans le Sinaï et face aux Frères Musulmans pour les Egyptiens. Et en Irak et en Syrie.

 

Leur premier souci est de créer un territoire homogène pour contrer l’avancée des islamistes, un territoire qui s’étendrait de la frontière libyenne au Soudan et au Yémen, des positions d’al Assad à la frontière israélo-libanaise au Nord. A la frontière jordanienne, au Nord-Est.

 

Dans ce dessein à caractère purement stratégique, il n’y a pas de place pour les djihadistes dans la bande de Gaza, et c’est pourquoi Le Caire, Riad, Amman et la Ligue arabe espèrent en la victoire de Tsahal, par K.O., pas aux points.

 

Cela permettrait à l’Egypte, en outre, de récupérer le Sinaï, en proie à la violence des bandes djihadistes soutenues par Gaza.

 

Face à eux, le Califat, Al Qaeda et le Hamas, entretenus par le bailleur de fonds qatari, et son émir de 34 ans, Tamim bin Hamad Al Thani, dont on dit qu’il est plus radical que Khaled Mashal, et que c’est lui qui le pousse à refuser le cessez-le-feu d’al Sissi.

 

Al Thani, qui a créé une chaîne d’Aljazzera uniquement destinée à soutenir et à organiser les Frères Musulmans contre le gouvernement égyptien. Qui a financé les tunnels et les roquettes de Mohamad Deif à coups de centaines de millions, tandis que les Palestiniens mendiaient de l’argent aux Européens pour payer leurs "fonctionnaires" et nourrir la population.

 

Il ne faut pas accepter de cessez-le-feu, car le Hamas et Al Thani n’ont strictement aucune intention de construire Gaza, de respecter une trêve et encore moins de faire la paix. Ils ont besoin d’une cessation des hostilités parce qu’ils sont à genoux devant Tsahal, et qu’ils veulent se réarmer pour poursuivre le djihad. Ceux qui prétendraient le contraire sont des idiots, des menteurs ou des djihadistes. Ou des gens qui n’ont pas entendu la déclaration de Qassem Suleimani, le chef de la Force al Quds (Jérusalem) iranienne, qui ne s’exprime que très rarement en public.

 

Suleimani a enjoint les islamistes de Gaza de "transformer la terre et les cieux en enfer pour les sionistes",  ajoutant : "Le désarmement de la résistance est un rêve éveillé qui ne deviendra réalité que dans le cimetière d’Israël".

 

Quand Netanyahu a tenté d’expliquer à Obama quel était le rôle du Qatar dans le conflit actuel, et qu’il n’était pas sensé, comme l’avait fait l’Amérique, de les convier à la table de négociation, Obama s’est fâché et a crié à l’oreille du 1er ministre : "Ce n’est tout de même pas vous qui allez me dire qui nous devons choisir comme médiateur !".

 

La compréhension stratégique de la situation dicte d’aller jusqu’au bout. De toute façon, si Israël ne le fait pas, il sera confronté d’ici un an ou deux à la même question. Car la destruction de tunnels n’a jamais résolu un problème de la taille de celui qui ravage actuellement le Moyen-Orient.

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