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Souhail Ftouh, avocat tunisien militant de la cause juive, mais aussi de la démocratie dans le monde arabe, choisit l'exil

 

Souhail Ftouh, avocat tunisien militant de la cause juive, mais aussi de la démocratie dans le monde arabe, choisit l'exil

 

Par Hélène Keller-Lind

 

A peine descendu de l'avion qui l'emmenait vers un inéluctable exil, Souhail Ftouh, jeune avocat tunisien musulman, militant connu de la cause juive et de la cause d'Israël, prenait la parole devant le siège de l'UNESCO à Paris pour dire non à la déjudaïsation de Jérusalem. Il évoque ici le cheminement qui l'a conduit à défendre ces causes, au nom de la justice et de la vérité, mais aussi son déchirement de n'avoir eu d'autre choix que de quitter une Tunisie où la Révolution, porteuse de tant d'espoirs, a été confisquée.

 

Hélène Keller-Lind

 

Un inéluctable exil

 

Ses convictions restent inébranlables, même si le prix à payer est exorbitant. Souhail Ftouh, en effet, s'est vu contraint de quitter son pays, la Tunisie, sa famille dont une partie le rejette, son travail de jeune avocat au Barreau de Tunis. Un déchirement. « Je n'étais plus à l'aise ni dans la rue, ni dans ma famille, ni dans mon travail. J'avais perdu toute quiétude affective » dit-il aujourd'hui.

 

Son déchirement est double, car si les Juifs de Tunisie qui ont vécu ce même départ et savent aujourd'hui qu'ils ne pourront plus retourner dans leur pays – on ne parle pas ici des Juifs qui y sont restés – Souhail Ftouh, étant musulman, est non seulement rejeté, contraint à l'exil, mais il est également considéré comme traître. Lui qui, pourtant, a la trahison en horreur et en a été victime à plusieurs reprises.

 

Il est parti peu avant que lui soit fait un procès, car une plainte pour trahison avait été déposée contre lui et était en cours d'instruction. Procès qui devait se tenir peu après celui du Recteur de la Faculté de la Manouba à Tunis, Habib Kazdaghli, poursuivi pour avoir voulu appliquer la loi tunisienne qui interdit le port du voile intégral à l'université. De faux « témoins » affirmaient que ce Recteur aurait agressé des étudiantes en niqab. Accusations totalement infondées, mais ce type de procédé est connu. Le procès d'Habib Kazdaghli, qui a débuté le 5 juillet, a été reporté à la demande de l'avocat du Recteur.

 

Compte tenu de la situation actuelle dans une Tunisie gouvernée par le Parti islamiste, Ennhada, Maître Ftouh n'a alors eu d'autre choix que de partir, d'opter pour un inéluctable exil.

 

Il y avait eu nombre de signes avant-coureurs, trahisons, agressions et plaintes

 

Deux incidents au sein même du Tribunal de Tunis, censé, souligne-t-il, « garantir le respect des lois et de la justice », l'avaient particulièrement marqué. Il raconte comment en février 2011 un militant nassériste, Khald Krichi, l'avait agressé verbalement, le qualifiant de « sioniste » - une accusation grave -, tentant de provoquer une émeute. En 2011 toujours, une avocate l'insulte et le gifle, invoquant la même « accusation ». Voulant sans doute provoquer une réplique violente de sa part, ce qui lui aurait permis de le poursuivre en justice. Il ne réagit pas, mais porta plainte. Une plainte qui, dit-il, sera « oubliée ». « Cela aurait pu être pire », dit-il aujourd'hui. « J'aurais pu être agressé physiquement dans la rue... »

 

En 2009, cette fois, dans une interview qu'il avait accordée à radio Shalom Montréal, se plaçant toujours du point de vue du droit, il défendait la légitimité de la réplique israélienne ciblée sur la Bande de Gaza, lors de l'Opération « Plomb fondu », citant le nombre de missiles tirés sur le sud d'Israël dont il avait tenu un décompte quotidien très précis. Opération de légitime défense intervenue alors qu'il y avait eu rupture de la trêve mise en place en septembre 2009, rappelle-t-il, celle-ci n'ayant pas été renouvelée. Ayant eu vent de cette interview des confrères, avocats islamistes, l'avaient enregistrée et initièrent une pétition contre Maître Ftouh. Ils engagèrent une procédure de destitution devant le Conseil de discipline du Barreau. Or, souligne, Souhail Ftouh, il n'avait commis aucune faute professionnelle pouvant justifier une telle procédure. Manœuvre qu'il ressentit, bien sûr, comme une trahison. Elle n'aboutit pas et la plainte fut classée. Mais on était là avant l'arrivée au pouvoir du parti Ennhada. Il y eut aussi une contre-pétition qui recueillit 300 signatures au sein de la communauté juive de Montréal.

 

Autre incident antérieur : l'avocat chez qui il faisait son premier stage en 2007 lui annonce soudain que le cabinet va fermer pour une semaine de vacances. Ce qui l'intrigue, car on est en mars et ce mois n'est généralement pas une période de congés. Pourtant, n'ayant aucune raison d'en douter, il ne se rend pas à son travail. L'avocat saisit alors le Barreau de Tunis, l'accusant d'abandon de poste. Le procédé le choque. « Cela relevait de la trahison », dit-il. Un autre avocat, franco-tunisien, lui, le prend alors en stage.

 

Rumeurs

 

Il y eut également les inévitables rumeurs habituelles dans ce type d'affaires, l'accusant d'appartenir au Mossad. Évidemment, serait-on tenté d'écrire... Dire le droit et la vérité étant forcément suspect dans un contexte tel que celui qui était le sien. Plus tard, en France, il y aura d'autres types de rumeurs prétendant que Souhail Ftouh, pourtant bel et bien inscrit au Barreau de Tunis, plaidant au Tribunal, qualifié même d'espion chez lui, n'existe pas. Négation de son existence pour tenter de jeter le discrédit sur tout ce qu'il a écrit ou dit depuis Tunis pour défendre la cause d'Israël et des Juifs. Ce qu'il a fait jusqu'à son départ forcé, dans les colonnes de nombreux sites et surtout sur son propre blog, Identité-juive.com http://identitejuive.com/author/ftouh/ créé en décembre 2007 et dont la lecture reste importante.

 

A titre d'exemple, l'un de ses articles, déplorant l'accueil triomphal qui fut réservé au Chef du Hamas en visite à Tunis en janvier de 2012 et dans lequel il explique en quoi le blocus maritime de Gaza est légitime http://identitejuive.com/honteux-le-chef-du-hamas-recu-en-grandes-pompes-en-tunisie/ lui valut un tombereau d'injures sur Facebook. Il y fut traité de « chien », de « traître », mais on lit aussi « c est un juif », ce qui ici est bien sûr une insulte, dit-il, ou cette question lui est posée : « Hanya est terroriste et toi quoi!!!!Israélien ? » Le qualifier « d'Israélien » étant, bien sûr, un autre type d'insulte pour l'auteur de la question.

 

Un blog portant son nom prétend apporter « la preuve » que son existence serait une imposture, « un personnage fictif crée de toutes pièces.... décrit comme un Tunisien dont l’amour pour Israël est inconditionnel et dont les propos sont plus sionistes que le plus radical des sionistes ». Il se serait agi de « créer de toutes pièces un personnage qui soit à l’antipode de Norman Finkelstein ou de Shlomo Sand! C’est-à-dire un musulman, intellectuel et qui à une haine viscérale pour l’islam. Ce personnage servira alors comme une vitrine ou une façade pour un soi-disant nouveau courant de pensé émergent dans les pays arabes et qui veulent rompre avec l’animosité héréditaire, qu’expriment leurs peuples, pour tout ce qui est sioniste... »http://ftouh-souhail.blogspot.ca/

 

On voit là ce qui se cache derrière cette accusation : ce seraient en réalité des Juifs d'extrême droite qui écriraient sous ce nom.

 

Le prix d'un engagement

 

Il est vrai que Maître Souhail Ftouh n'a jamais mystère de son engagement pour Israël et les Juifs, au nom de la justice et de la légalité. Il a écrit de nombreux articles, toujours signés de son nom, répondu à visage découvert à des interviews, entre autres prises de position claires. Avec une conscience parfaitement limpide. Rien qui ait pu justifier ou excuser le harcèlement, les manœuvres, les pressions auxquels il a été soumis. Son parcours montre à quel point s'engager en faveur des Juifs ou d'Israël dans un pays arabo-musulman, fût-il la Tunisie, qui fut connue pour sa modération dans ce domaine sous Ben Ali, était périlleux. Un engagement devenu impossible après l'arrivée au pouvoir des islamistes.

 

Intervention devant l'UNESCO sur le chemin de l'exil

 

Démentant les rumeurs contestant son existence même, Souhail Ftouh prononcera quelques mots lors de la manifestation organisée le 24 juin dernier par plusieurs organisations, dont Europe-Israël, France-Israël ou l'ABSI Keren Or devant l'UNESCO pour protester contre l'attitude de l'agence onusienne qui prétend qu'Israël menacerait le patrimoine chrétien et musulman de Jérusalem. Il y dira qu'on ne peut « judaïser Jérusalem, qui est une ville juive, et que sous la souveraineté d'Israël Jérusalem est ouverte aux trois religions. La diviser », dit-il, « ne serait pas le commencement de la paix, mais le commencement de la guerre ». Cette prise de parole publique lui vaudra d'être dénoncé à nouveau sur Facebook, cette fois par « le Mouvement des jeunes Tunisiens » [ militants du Parti islamiste au pouvoir ] qui écrivent : « souhail ftouh, le traitre tunisien !!! on doit lui retirer sa nationalité !!! »http://fr-fr.facebook.com/mouvement.des.jeunes.tunisiens/posts/143465842434710 .Une fois de plus il était donc voué aux gémonies.

 

Comment fut confisquée la « Révolution du Jasmin »

 

La « Révolution du Jasmin », Souhail Ftouh y a cru. Quinze jours exactement. Entre le moment où Mohamed Bouazizi - ce jeune Tunisien sans emploi, devenu petit vendeur de rues à qui les autorités avaient confisqué la marchandise lui permettant de survivre - s'immola par le feu, lançant un gigantesque mouvement de protestation sociale et le moment où fut autorisé le retour des islamistes du Parti Ennhada installés à Londres jusque-là. C'était le 30 janvier 2011. Souhail Ftouh perdit alors tout espoir dans l'avenir proche de la Tunisie.

 

« C'est à cause de cette autorisation qui légalisa le retour politique des islamistes que la Révolution a été confisquée », déplore-t-il aujourd'hui. Et il explique : « Il y a eu trahison de cette révolution, de ce qu'a fait Mohamed Bouazizi pour des raisons sociales et économiques. Pour Ennhada, qui a un passé loin d’être démocratique, mais foncièrement idéologique, c'est l'islam qui doit prédominer. Cela ne pourra qu'engendrer un régime totalitaire incompatible avec la démocratie étant donné que la plus haute autorité de l'islam, le Prophète, ne peut être contestée en rien. Placer ainsi la religion au cœur de quelque système politique que ce soit ne peut que mener à l'échec ». Il souligne que les comparaisons faites avec la Révolution française ne tiennent pas, car « il y a des différences fondamentales. En Tunisie la révolution a ouvert la voie vers le fait religieux. La Révolution française, elle, a neutralisé l’Église ».

 

Ce juriste déplore, par ailleurs, qu'une loi soit en préparation en Tunisie aujourd'hui pour qu'il soit désormais interdit de dire que les choses allaient mieux sous Ben-Ali. Une loi justifiée localement en référence à la loi qui, en France, interdit la négation de la Shoah. « Une absurdité », dit-il, ajoutant que « le seuil de la liberté d'expression va être altéré. Par ailleurs, en dépit de tout ce que l'on peut reprocher à Ben Ali, les indicateurs économiques montrent que la situation est pire aujourd'hui. Les investisseurs étrangers n'ont pas confiance, seuls les pays du Golfe apportent leur soutien au régime actuel. Le tourisme, source importante de revenus, est en berne... »

 

Il cite aussi comme exemple « les relations avec la France qui sont au point mort ». Autre aspect très dérangeant : « le combat mené aujourd'hui en Tunisie contre l'élite francophone tunisienne, surnommée par le chef du parti au pouvoir, Rachid Ghanouchi, «les ordures de la France », qui sont nombreux dans le domaine du cinéma, par exemple ».

 

En mars 2011, peu après la légalisation du Parti Ennhada, Maître Ftouh rencontrait, à sa demande, Farhat Rajhi, juge à la Cour de Cassation et très populaire ancien ministre de l'Intérieur, celui qui avait signé cette fameuse autorisation légalisant pour la première fois le Parti islamiste aujourd'hui au pouvoir. Il entendait, en effet, lui demander comment il avait pu signer cette autorisation alors que la loi tunisienne la rendait impossible puisque la législation en vigueur prohibait toute référence religieuse pour un parti politique. Réponse du ministre de l’époque : « j'y ai été obligé, sinon la rue allait brûler ». Commentaire de Souhail Ftouh : « Comment un juge peut-il se soumettre aux pressions de la rue ? ». Il répondit alors au ministre qu'au lieu de signer dans ces conditions il aurait simplement dû présenter sa démission et expliquer son geste publiquement en donnant une conférence de presse.

 

Éveils

 

Pourtant, si ce qu'exprime Maître Ftouh est toujours basé sur des faits ou des principes juridiques, si ce qu'il dit est parfaitement étayé, on peut s'interroger sur ce qui l'a amené à ne pas souscrire à la doxa en place en Tunisie comme dans maint pays arabo-musulman. Comment a-t-il été amené à rejeter cette vision manichéenne qui voit dans les Juifs et Israël une incarnation du Mal s'efforçant de détruire l'incarnation du Bien, les Palestiniens, voire le monde musulman, ou le monde entier...

 

Comment Souhail Ftouh a-t-il pu résister à un endoctrinement omniprésent qui prend pourtant si aisément, on le voit dans cette multitude d'exemples de haine d'Israël et des Juifs que l'on trouve dans le monde musulman, mais aussi dans la haine qu'il suscite dans son propre pays et l'a contraint à l'exil ? Comment a-t-il pu résister à la destruction progressive de son « entourage professionnel et familial [ sa famille du côté de sa mère l'ayant rejeté ], pour des idées » ? Comment n'a-t-il pas pris le parti de se taire, comme le font d'autres qui, pourtant, pensent comme lui, mais n'ont pas le même courage ?

 

Son parcours commence à Hamam-Lif, une banlieue de Tunis où vivaient ses parents. Dans l'immeuble en face de chez eux « viennent s'installer des personnes bruyantes, arrogantes, qui circulent avec de grosses cylindrées » se souvient-il. L'enfant qu'il était demande alors qui ils sont. « Des réfugiés palestiniens » lui dit-on. Le décalage entre le mot « réfugié » et ce qu'il voit l'interpelle. Mais à 10 ans on reste sur l'étonnement, on ne va pas plus loin.

 

Survient ensuite ce qu'il appelle « l'épreuve de l'armoire ». Nous sommes en 1991. En pleine « Guerre du Golfe ». Dans la rue tunisienne, se souvient-il, « les gens applaudissent la destruction du Koweït par Saddam Hussein. Ils applaudissent aussi les Scuds irakiens qui tombent sur Israël » où l'on distribue alors des masques à gaz par crainte de frappes d'armes chimiques . Moments terribles ramenant à la période pas si lointaine des chambres à gaz....

 

Or des oncles, tantes et cousins de Souhail Ftouh ont fui le Koweït où ils vivaient et racontent à leur famille les exactions irakiennes contre ce pays. L'enfant écoute ces témoignages directs et terribles de ces réfugiés, bien différents de ceux d'Hamam-Lif ou de Gammarth où vivait la hiérarchie de l'OLP, et qui sont en total décalage avec ce qui se dit officiellement, avec l'image qui est donnée d'un « Saddam Hussein, héros de l'Oumma » [ l'ensemble du monde musulman ].

 

Un jour, à l'école il contredit son instituteur en plein cours et tente de dire ce qu'ont été les erreurs commises par le dictateur irakien. Furieux et pour le ridiculiser aux yeux des autres élèves l'instituteur vide une armoire contenant des cahiers au fond de la classe et l'y enferme. Une dizaine de minutes qui paraissent une éternité à cet enfant qui s'est borné à dire le vrai et est maintenant l'objet des quolibets de ses petits camarades. Épisode violent, élément charnière dans son parcours, mais qui, pourtant, loin de le dissuader, le conforte dans sa prise de distance avec ce qui lui est présenté comme la réalité, une réalité dont il sait désormais qu'elle peut être totalement faussée.

 

Après le Lycée il choisit le Droit. Par fidélité à un grand-père avocat, mais aussi pour ce que représente la Loi. Ayant terminé sa licence à Tunis, il décide de faire un troisième cycle à l'université de Perpignan où son mémoire de recherche conséquent – plus de 400 pages - « est une étude comparative du Droit musulman et de son application dans les pays musulmans, du Droit chrétien et du Droit dans le judaïsme avec son application moderne dans l’État d'Israël ». A propos de cette application de Droits différents, il évoque et étudie le fait que les pays musulmans sont soit des théocraties, soit des dictatures, ce qu'il oppose à la démocratie israélienne.

 

A Perpignan il se préoccupe aussi de l'histoire des ces « réfugiés » palestiniens si affluents qu'il a croisés dans son enfance et d'Israël. Et il commencera à écrire de très nombreux articles sur le sujet, mais aussi sur le Proche et Moyen-Orient. Ce qui le mènera en ce 17 juin 2012 sur le chemin de l'exil. Avec cette inquiétude qui le taraude à l'aéroport de Tunis avant son embarquement pour la France. A la fois soulagement, puisqu'il se sentait menacé et déchirement, car quitter son pays pour ne plus pouvoir y revenir dans un avenir envisageable était un bouleversement.

 

Aujourd'hui, Souhail Ftouh, cette conscience du monde arabe, explique que pour un temps, il cessera de se manifester et d'écrire. Non pas qu'il ait en rien renoncé à ce en quoi il croyait, en ce pour quoi il s'est battu au risque de tout perdre, mais pour se consacrer, pour l'heure, à reconstruire sa vie. Avant de reprendre son combat pour la vérité et la démocratie.

 

Nous remercions Souhail Ftouh pour cet entretien.

Hélène Keller-Lind

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