Tunisie : l'islamisme d'Ennahdha est-il soluble dans la démocratie ?
Pierre Haski
Rue89
En décembre 1991, la victoire du Front islamique du salut (FIS) au premier tour des élections algériennes, avait créé un choc tel que le gouvernement d'Alger, ouvertement approuvé par les démocraties occidentales, s'empressa d'annuler le deuxième tour. Les dix années suivantes furent de « plomb », avec leur cortège de cadavres.
Vingt ans plus tard, les islamistes tunisiens d'Ennahdha arrivent en tête à l'élection à l'Assemblée constituante et se retrouvent au centre du jeu politique, sans susciter le même vent de panique. Pas plus que le poids des Frères musulmans, probables vainqueurs d'un futur scrutin libre en Egypte, ou la proclamation de la Charia comme fondement de la loi dans la nouvelle Libye libérée de son dictateur avec l'aide décisive de ... l'Otan.
L'islam politique a échoué
De quoi cette sérénité (relative) est-elle le signe ? Non pas d'une acceptation plus grande de l'islamisme comme idéologie, ou de la Charia comme référence légale, mais d'un double paradoxe :
Il n'empêche, neuf mois à peine après avoir fait partir leur dictateur, les électeurs tunisiens ont choisi un parti qui n'a joué aucun rôle dans cette révolution. Ils ont choisi la force la plus structurée là où les autres sont éparpillées et dispersées, et celle dont l'idéologie qui lui sert de programme est la plus simple à appréhender.
Ennahdha a donné plusieurs gages sur ses intentions démocratiques, s'engageant à respecter le statut de la femme, plus avancé en Tunisie que dans les autres pays arabo-musulmans, et celui des minorités. De surcroit, les islamistes ont proposé de gouverner en coalition avec d'autres forces, y compris du camp dit progressiste qui s'oppose à lui.
Le pari de ceux qui, comme l'opposant historique Moncef Marzouki, qui a fait un bon score aux élections, et a choisi de s'allier à Ennahdha, est que les islamistes tunisiens seront plus « turcs » qu'« iraniens », c'est-à-dire qu'ils seront une force politique conservatrice mais démocrate, plutôt qu'intégriste et aux penchants dictatoriaux. Le pendant musulman de la démmocratie-chrétienne européenne.
En février dernier, Marzouki déclarait déjà à Rue89 :
« En Tunisie, nous avons la chance d'avoir un islamisme modéré, plus proche de l'AKP à la turque. Les événements ont montré que cette analyse était juste, non seulement en Tunisie, mais aussi en Egypte. (...) Les peurs sur l'islamisme sont un peu rancies, qu'on arrête. »
Un pari raisonné des Tunisiens
Ce pari est d'autant plus raisonné de la part des Tunisiens qu'ils viennent de montrer qu'ils sont capables de renverser un régime autoritaire, qu'une société civile en réseau est susceptible de se mobiliser à la moindre alerte, et que les islamistes savent eux-mêmes que s'ils ont eu plus du tiers des voix, il y a encore près de deux tiers de Tunisiens qui n'ont pas voté pour eux.
Il n'empêche, des signes inquiétants existent aussi. Une surenchère de petits groupes salafistes, minoritaires mais déterminés, est capable d'empoisonner l'atmosphère comme lors de la diffusion de Persépolis sur une chaîne de télévision privée. Et la conversion démocratique d'Ennahdha est si fraiche qu'elle cède parfois le pas à de vieux réflexes absolutistes.
Cette poussée des islamistes, en Tunisie et sans doute demain en Egypte, coincide avec la brutale fin du régime de Kadhafi en Libye, remplacé par des nouveaux maîtres qui ont choisi de se référer à la Charia islamique comme source de la loi. Cela n'en fait pas une nouvelle Arabie saoudite, mais cela montre que révolution ne rime pas (encore ? ) avec laicité dans le monde arabe actuel.
Cette victoire d'un islamisme que le New York Times qualifie de « modéré » ne s'accompagne pas, non plus, de slogans antioccidentaux, contrairement à une époque pas si lointaine. Au contraire, la Charia libyenne est venue dans les fourgons de l'Otan, aidée par les avions français et britanniques !
Victoire de la démocratie
Alors oui, les islamistes ont gagné les élections tunisiennes en arrivant en tête, mais c'est, d'abord, la victoire de la démocratie.
Aux Tunisiens de faire en sorte que la démocratie ne fonctionne pas qu'une seule fois ; Au reste du monde d'accepter le choix des Tunisiens, quel qu'il soit, en faisant confiance à la maturité d'un peuple qui a su surprendre le monde.
A moins que la vérité ne soit dans cette réponse de la blogueuse Emna Ben Jemaa, ce mardi matin sur France culture : à la question « la révolution a-t-elle pris fin », elle a répondu : « elle n'a pas encore commencé »...
http://www.rue89.com/2011/10/25/tunisie-lislamisme-dennahdha-est-il-solu...
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