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Jonathan Pollard, ou l’acharnement insensé d’un Etat contre un individu

 

Jonathan Pollard, ou l’acharnement insensé d’un Etat contre un individu (info # 012304/12) [Analyse]

 

 

Par Sandra Ores © Metula News Agency

Le 4 mars 1987, Jonathan Pollard, ancien officier de renseignement de la Marine américaine, a été condamné à la prison à perpétuité pour ses activités d’espionnage, entre 1984 et 1985, au profit d’Israël. En dépit de multiples requêtes de la part du gouvernement hébreu à Bill Clinton, George Bush et, plus récemment, à Barack Obama, afin d’obtenir la libération du citoyen américain, devenu, depuis, exclusivement israélien, les présidents US successifs n’ont pas accordé leur clémence au détenu.

De nombreux politiciens et journalistes, israéliens autant qu’américains, estiment que la sentence était disproportionnée, et qu’après vingt-cinq ans de détention, Pollard devrait être libéré. Or la Maison Blanche refuse toujours cette option, laissant entrevoir un acharnement certain à garder cet homme en prison. De hauts responsables des renseignements, du département de la Défense et de l’Armée s’opposent obstinément à l’élargissement de Pollard.

A en croire les autorités d’outre-Atlantique, Pollard aurait fait passer des milliers d’informations à Israël, mettant ainsi « en danger » la sécurité américaine ; il aurait notamment transféré à ses opérateurs le manuel détaillant le réseau mondial de surveillance électronique.

D’autres documents classifiés, particulièrement intéressants pour Israël, concernaient les activités militaires et stratégiques de plusieurs pays arabes, alliés ou ennemis des Etats-Unis, dont le développement d’armes chimiques en Iraq et en Syrie.

Un communiqué des procureurs fédéraux, soumis au tribunal avant le procès de Pollard, indiquait que ces fuites avaient menacé les relations américaines avec certains de leurs alliés arabes.

Outre le fait d’avantager Israël dans ses rapports de force avec les pays arabes, ces connaissances auraient, d’autre part, miné le pouvoir de négociation des Etats-Unis face à Israël, dans le domaine du troc d’informations.

L’accusé s’était cependant défendu, en arguant qu’il s’agissait d’informations que les USA auraient dû fournir à Israël, car les deux pays étaient alliés. Un article publié dans le Washington Post en 2010 précisait que cette catégorie de renseignements constituait un flux de données que les Etats-Unis échangeaient avec Israël, avant qu’ils ne le coupent, suite à la destruction par les Israéliens du réacteur nucléaire iraquien en 1981.

Les révélations de Pollard ont ainsi entaché les relations israélo-américaines dans les deux sens ; les Etats-Unis se sont estimés trahis par Israël qui leur a volé des informations ayant mis en danger leur politique ; de son côté, Israël a pris note de la rétention d’informations stratégiques capitales dont son allié a fait montre.

Le Premier ministre et le Président israéliens ont, ce mois-ci, remis la question de la libération de Pollard sur la table, en priant Barack Obama de bien vouloir accorder sa grâce au prisonnier ; les traces de l’affaire Pollard pourraient compliquer les rapports déjà pas évidents entre les deux pays, dans le cadre de la coopération entre Washington et Jérusalem sur la bombe atomique iranienne.

Certains groupes de soutien à Pollard le qualifient de héros pour les services qu’il a rendus au pays des Hébreux. Or, en fouinant plus profondément dans le dossier, il ressort que l’espion était davantage animé par l’appât du gain que par un engagement sans bornes pour Israël ; Bill Clinton écrivit ainsi dans sa biographie que Pollard avait vendu des secrets nationaux pour de l’argent, et non par conviction. Les activités d’espionnage de Pollard ne s’étaient d’ailleurs pas limitées à aider Israël.

Pollard avait également transmis des informations à un membre de la Marine australienne, ainsi que volé des documents concernant la Chine, afin d’aider sa femme à briller lors d’un entretien d’embauche.

Ronald Olive, l’agent de contre-espionnage ayant enquêté sur les activités de l’espion, a prétendu que Pollard avait passé des informations classifiées à l’Afrique du Sud, et tenté de vendre d’autres informations secrètes au Pakistan en de multiples occasions, dans l’espoir de se faire engager comme espion par Islamabad.

Pollard aurait, en outre, réussi à gagner l’aversion des autorités américaines, en se montrant arrogant et irrespectueux à leur égard après sa capture. Un arrangement préconisait que Pollard s’engagerait à ne pas divulguer ses connaissances publiquement. Trahissant cependant une nouvelle fois le gouvernement US lors d’une interview qu’il accorda au Washington Post depuis son lieu de détention, Pollard révéla, entre autres, des informations relatives à l’aviation militaire libyenne.

En dépit de l’étendue de sa faute, de nombreuses personnalités politiques américaines plaident pour sa libération, estimant que Pollard a assez payé pour les méfaits qu’il a commis. A l’instar de Lawrence Korb, adjoint au Secrétaire à la Défense au moment de l’arrestation de Pollard, qui considère la peine « exagérément disproportionnée ».

L’ancien sénateur de l’Arizona, Dennis DeConcini, qui a été autorisé à examiner les informations classifiées divulguées par Pollard, affirme, quant à lui, que, dans des cas similaires d’espionnage en faveur d’un pays allié, la sentence moyenne ne s’élève qu’à une période de détention de deux à quatre ans. Dix ans au maximum, s’accordent à estimer d’autres spécialistes.

C’est particulièrement vrai, lorsque l’on sait que tout le monde espionne tout le monde, alliés comme ennemis. Les Etats-Unis, à ce jeu-là, ne sont pas en reste, et ils ne se privent pas d’envoyer leurs agents sur le sol de l’Etat hébreu afin d’amasser des indices sur son supposé arsenal atomique, ou, plus particulièrement ces jours, dans le but de pêcher des informations sur les intentions de l’Etat hébreu par rapport à l’Iran. Ces pratiques relèvent d’ « une évidence, pour les experts de l’intelligence », citait le New York Times en 2011.

Washington ne se contente par ailleurs pas d’envoyer des agents en Terre Sainte, elle recrute également des Israéliens à son service, notamment afin de fournir des renseignements sur leur propre pays. Pour ce faire, la CIA utilise souvent l’argument selon lequel les deux nations sont amies, et œuvrent pour les mêmes intérêts stratégiques. A croire les recruteurs, « un Israélien qui renseigne l’agence sur Tsahal ne serait pas vraiment un espion ».

A la Ména, on soupçonne également depuis plusieurs années les Américains d’avoir employé à leur service des Israéliens très haut placés, y compris des ministres. Ce, dans le but, non pas uniquement de prendre connaissance des discussions les plus sensibles s’étant déroulées dans les gouvernements successifs, mais également, et c’est éminemment plus grave, d’influer sur leur cours.

Sur notre rocher septentrional on est également persuadé que le contre-espionnage hébreu était au courant de ces infiltrations, et qu’il en aurait tenu informé les 1ers ministres, mais que ceux-ci ont préféré ne pas ébruiter ces affaires, ce qui aurait eu des conséquences catastrophiques à différents points de vue.

Ainsi, durant de longues années, des gouvernements se sont constitués, tout en sachant qu’untel ou untel représentaient « aussi » les intérêts des USA. « Dans un sens c’était intéressant pour nous, puisque nous savions, en direct, quelle était l’opinion du président américain sur les sujets que nous évoquions », a confié à ce sujet, il y a quelques années, un ex-ministre israélien à notre rédaction.

Il avait ajouté, qu’ « en règle générale, les Américains ne demandaient pas aux ministres israéliens sous leur influence d’agir contre les intérêts de leur pays, mais », avait-il précisé, « lors de certaines discussions, les choses n’apparaissaient pas aussi tranchées ».

Dans ces conditions, pourquoi faire de Jonathan Pollard un bouc émissaire ? Ou plutôt une tête de Turc ?

Car Pollard croupit derrière des barreaux depuis vingt-cinq ans déjà, dont sept passés en cellule d’isolement ! C’est hallucinant, c’est de l’acharnement. Sa santé déclinante et les interventions de Shimon Peres et Binyamin Netanyahu n’ont pas incité les autorités américaines à réduire sa peine ; elles participent, au contraire, à la torture de cet homme dans les entrailles d’une prison de Caroline du Nord.

Leur obstination est d’autant plus incompréhensible, que des espions ayant opéré pour des pays carrément ennemis, notamment pour l’URSS pendant la Guerre Froide, ont déjà été relâchés, à l’instar de David Barnett. Cet homme, qui avait vendu aux Soviétiques, entre autres, les noms de trente espions américains, mettant leur vie en danger, a obtenu sa libération après dix ans d’enfermement seulement.

Afin d’illustrer ce double standard, on peut citer le cas, en Israël, du lieutenant-colonel de l’armée Omar al-Hayeb, d’origine bédouine, accusé d’espionnage en faveur du Hezbollah, qui a été libéré avant même d’avoir purgé dix ans de détention.

Entre deux pays amis, le maintien en prison d’un condamné pendant tant d’années provoque assurément une zone d’ombre dans les relations. Ce point de discorde a déjà manqué d’entraîner l’échec de négociations entre Israël et l’Autorité Palestinienne sous l’égide de Washington ; au cours des accords de Wye Plantation, en 1998, en effet, Binyamin Netanyahu avait demandé à Bill Clinton la libération de Jonathan Pollard en échange de concessions.

Le directeur de la CIA de l’époque, George Tenet, s’était inconditionnellement opposé à la libération de l’espion, menaçant de démissionner le cas échéant.

Aujourd’hui, les services de renseignement américains se montrent toujours répugnés à l’idée de son affranchissement, affirmant que cela enverrait un message inopportun à ceux qui envisageraient de trahir les Etats-Unis. Pourtant, d’autres espions, infiniment plus dangereux que Jonathan Pollard, ont été relaxés après quelques années d’engeôlement, ou même, directement extradés sans passer par la case prison.

Un journaliste américain, Leo Rennert, soutient que le blocage qui caractérise la CIA au sujet de la libération de Pollard sert à maintenir le silence sur les erreurs que l’agence de renseignement a commises dans cette affaire.

La CIA aurait accusé Jonathan Pollard d’avoir transmis certaines informations aux Soviétiques. Or il s’avère, en réalité, que ces informations avaient été la conséquence des activités d’espionnage d’Aldrich Ames, un ancien officier de la CIA, et agent double pour le compte du KGB soviétique.

La CIA n’avait pas su détecter la taupe, malgré la présence d’indices flagrants. Ames avait orienté les soupçons sur Pollard afin de se couvrir, et ce n’est qu’après son arrestation, en 1994, qu’ils lui ont été attribués. Cette erreur mit en exergue l’incapacité de la CIA à contrôler ses propres services.

James Woolsey, chef de la CIA entre 1993 et 1995, confirme l’inexactitude de l’accusation portée contre Pollard, d’avoir trahi au bénéfice de l’Union Soviétique. En dépit de ces révélations, toujours selon Leo Rennert, la CIA ne se montre pas disposée à reconnaître son erreur, laissant Pollard payer pour les crimes d’un autre.

La rigidité dans l’exécution de la sentence de Pollard a également été le résultat de l’intervention du secrétaire à la Défense de l’époque, Caspar Weinberger. Ce dernier avait soumis une note au tribunal, dans laquelle il réclamait une sentence particulièrement dure, ce qui avait influencé le juge dans sa décision. Selon un accord tacite liant Pollard, le gouvernement US, et les propositions du procureur, l’accusé aurait pourtant dû être libéré après dix ans.

Lawrence Korb affirme que cette peine de prison à vie résulte de « l’aversion quasi viscérale » que Caspar Weinberger entretenait à l’encontre d’Israël. Le secrétaire à la Défense n’a jamais soumis aucune note du même type dans d’autres cas d’espionnage.

Aujourd’hui, Caspar Weinberger a publiquement reconnu, dans une interview réalisée en 2004, que la sentence avait été disproportionnée, et que l’affaire Pollard « était relativement mineure ». Un aveu de lâche et d’irresponsable, qui restera sans conséquence sur le destin du condamné quasiment emmuré vif jusqu’à la fin de son existence.

C’est au Président des Etats-Unis que revient aujourd’hui la décision de se prononcer sur la libération de Pollard ; en dépit des informations en sa possession, Barack Obama continue de se montrer inflexible et même arrogant envers ceux qui lui demandent la grâce du supplicié. Se pourrait-il qu’il nourrisse, lui aussi, une « aversion quasi viscérale » à l’encontre d’Israël ?

Car le cas Pollard échappe désormais à la catégorie des erreurs judiciaires et à celle de l’expiation, par l’emprisonnement, de fautes qu’un individu a pu commettre ; pour concerner une atteinte aux Droits de l’Homme, voire un crime de guerre (contre le meilleur allié des Etats-Unis ?), ou, plus prosaïquement encore, a-t-on affaire, dans ce dossier, à une nouvelle catégorisation d’assassinat : par sadisme d’Etat ?   

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